Armure dite de Sully, vers 1630 Vue de face

L'appartenance de cette armure à Sully, le grand maître de l'artillerie sous le règne d'Henri IV, répétée traditionnellement depuis le XIXe siècle, apparaît sur le document de l'an V [« une dite de Sully... »] sans autre justification.
L'ensemble de cette pièce offre la particularité d'être réalisé dans des feuilles de laiton et d'être orné d'un décor d'une étonnante inspiration, gravé, peint, doré et verni, aujourd'hui très fortement altéré. La défense de tête, correspondant à une bourguignotte ouverte dont le timbre, forgé en deux parties, se prolonge d'un important gorgerin descendant sur les épaules et la protection du visage, est assurée par une visière fixe et un fort nasal mobile agrémenté à ses deux extrémités par un motif en forme de fleur de lys ; les épaulières sont égales ; le plastron en fer très épais et lourd [5,5 kg] est recouvert d'un habillage de laiton ; les cuissards sont articulés de 16 lames ; les gantelets ont disparu. Deux chanfreins, également en laiton, pourvus d'une longue pointe sur le frontal, accompagnent l'armure. Des vestiges des garnitures internes, en velours rouge, subsistent aux joues de la bourguignotte et, à l'intérieur des chanfreins, se discernent des fragments de textile bleu bordés de festons cernés d'un galon d'argent.
L'ornementation fastueuse repose sur la représentation d'un véritable bestiaire, qu'accompagnent des personnages issus de la mythologie. Les figures de Diane, de Ganymède et de l'aigle, apparaissent sur le colletin ; une frise de personnages en buste à l'antique, couronnés de lauriers, se déploie au timbre de la bourguignotte. Sur les autres pièces, entre des frises de rinceaux définissant des registres, s'enlève sans ordre apparent une profusion de motifs animaliers ; au centre de l'épaulière droite apparaissent entre des volatiles de toutes sortes dont un dindon, un ours poursuivi, semble-t-il, par un chasseur équipé d'une arbalète, une scène de combat opposant un loup à des chiens qu'entourent d'autres animaux : ours, hyène, cheval, dromadaire ; sur l'épaulière de gauche, on distingue un cerf, un renard, un singe et un raton laveur... Au plastron, ont été gravés un rhinocéros, un macaque, des chevaux, deux singes, sous lesquels prennent place un escargot et une araignée suspendue à son fil de soie ; sur la dossière, un dragon emplumé, un lion, un éléphant, des chiens furieux, une panthère, quelques trophées d'armes dont l'un complété d'un oriflamme fleurdelysé...
L'ornementation du chanfrein (inv. G 603) est également particulièrement riche : un singe, un perroquet, un faucon, la représentation de Junon, identifiée, détail singulier par une inscription latine « JANO SUPERBA », Ganymède et son aigle. Le chanfrein, (inv. G 604), reprend ces thèmes animaliers : une chauve-souris, des papillons, une sphinge, Ganymède et, le mot « AQUILA » est gravé auprès d'un aigle, «DUPLEX GENUS » s'insère entre deux perroquets et « STRUTIO EX CHINA » au voisinage d'une grue à aigrette.
Cette pièce, conçue pour les festivités de la cour plutôt que pour la guerre, offre le caractère d'un « unicum » insolite ; les thèmes iconographiques recherchés et utilisés privilégient non pas les dimensions cynégétiques mais davantage les singularités des mondes exotiques. Leurs sources iconographiques paraissent mal aisées à définir. On sait la diffusion en France, à l'époque, des ouvrages du naturaliste Gessner, l'auteur du « Livre des Oiseaux » dont le jeune Louis XIII, fasciné par le monde animal, fut l'observateur attentif des illustrations, celles des planches de l'Anversois Hoefnagel (v. 1579 - v. 1651) peuplées d'insectes divers de Nicolas de Bruyn (v. 1571 - v. 1656) ; on connaît « La Volière » de Henri Le Roy (v. 1579 - v. 1651), ainsi que les ouvrages contemporains d'Ulisse Aldrovandi, emplis de toute la faune avec ses oiseaux et ses rhinocéros.
La construction extravagante des chanfreins, équipés de longue pointe, nous introduit également dans l'univers des mythes, des licornes qui envahissent les scènes des carrousels contemporains, des courses à la bague, auxquels le souverain peut s'associer.