SPECTACLES D'UN TEMPS
du meilleur métier et nous possédait par le moyen d'une sorte de
stupeur sacrée.
Ce n'est pas que d'autres objections, d'un tout autre ordre,
n'aient été formulés à l'encontre de ces Dialogues eux-mêmes, aussi
bien que de leurs représentation... Pourquoi taire qu'elles émanaient
surtout de certains milieux religieux, et même, de certains monastères
du Carmel ? Bernanos, y murmurait-on, n'était pas assez imbu du
véritable « esprit carmélitain ». Profondément chrétien, sans doute,
et de très bonne foi, il s'était trop laissé mener au gré de sa fantaisie
de poëte et de visionnaire. Déjà des « réponses » s'élaboraient dans
l'ombre de quelques cloîtres. L'une d'elles, fort mesurée, parvint
jusqu'à moi. On y contestait surtout, je crois, cette « vocation du
martyre » que la sous-prieure, Mère Marie de l'Incarnation, en l'ab-
sence de la Prieure nouvellement élue qu'on lui avait préférée (proba-
blement à cause de ses manières plus amènes), cherchait à infuser
à ces filles, sitôt le danger révolutionnaire apparu : encore trop engagée
elle-même, sans doute, dans une conception de l'héroïsme et de
l'honneur selon le siècle, et cédant à l'appel d'un sang noble, trop
impatient de souffrir. Mais en réplique à ce portrait (où la hauteur
peut-être, atténue un peu trop, en effet, la grandeur). Bernanos n'a-t-il
pas tracé celui, non moins admirable, de Madame Lidoine, cette
Prieure de plébéienne origine, tout exempte par là de ce faux point
d'honneur, et qui raisonne avec son simple bon sens autant qu'avec
sa foi, quand elle déclare que le martyre est une Grâce qu'il faut
mériter, qu'on l'accepte quand il s'impose, mais que la sainteté la
plus scrupuleuse ne saurait aller au devant de lui pour le provoquer.
A peine revenue de
Paris, où elle a tenté de retrouver sa brebis
perdue, la petite Blanche, Madame Lidoine relèvera donc ses filles
de leur voeu imprudent. Mais il ne s'en faut que de quelques instants
qu'elle soit jetée en prison avec elles et n'ait plus d'autre tâche que
de les préparer à mourir. Comment redire la tranquille effusion de
cette âme vouée à la petite voie ordinaire », lorsqu'elle découvre le
sombre déflé par où elle devra mener ses filles à la victoire ? N'est-ce
pas alors que s'éclairent, comme des sommets abandonnés par la brume
et touchés par les premiers rayons du natin, les aspects les plus
mystérieux de cette oeuvre, et que les moins informés de ces choses,
les moins préparés à comprendre ces mystérieuses réversibilités,
commencent de pénétrer le sens secret dont Bernanos a voulu
charger son dernier message ? Et ne se résume-t-il pas, ce sens, à
la singulière liberté de la Grâce, à l'infinie variété de ses moyens, quand
elle manoeuvre des âmes qui ont accepté de s'interchanger dans
l'offrande ou le sacrifice ? Si Mère Marie de l'Incarnation accepte,
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