SPECTACLES D'UN TEMPS
hotes cristallines, fermement lancée par soeur Blanche, que tombe le
rideau. Et nous continuons d'écouter en nous-mêmes le prolongement
de cet adieu... Quelle salle put se flatter jamais d'une telle résonance ?...
Bien qu'habitant d'autres régions de la pensée que Georges
Bernanos, mon ami Jacques Lemarchand - le plus judicieux proba-
blement, le plus sagace, le plus probe des critiques de sa génération -
a écrit, à propos des Dialogues, un article d'une pénétration admirable,
et où nous voyons l'émotion sourdre de l'intelligence. Il regrette
cependant dans ce spectacle - et c'est sa seule réserve - « un excès
de mise en scène ». Je ne le suivrai pas jusque-là, 'et crois au
contraire qu'il fallait à ces pages de missel ces précises enluminures,
et jusqu'à celle du verger fleuri où ces filles, en attendant le bourreau,
jouent aux grâces et dressent leur échelle pour cueillir leurs pommes...
Nul excès de fraîcheur en tout ceci, pas plus que noirceur dans les
pages sombres. Il fallait ces contrastes : la vie soi-disant uniforme
des cloîtres en est pleine. Il fallait ces symboles : car on ne peut
pénétrer que lentement dans ces mystères, et ces images nous en
ouvrent l'accès. Dirai-je que ce qui fait pour moi le prix de cette mise
en scène, c'est qu'elle joint l'exactitude du documentaire à la
noblesse de la composition. C'est à Mme Marcelle Tassencourt
qu'en échut le péril et qu'en revient l'honneur : car son éclatante
réussite, constatée aussi par toute la presse, fait d'elle, absente
pourtant de la distribution, l'interprète principale de cette pièce.
Déjà, avec le concours de M. Albert Béguin, elle avait adapté le
texte des Dialogues aux nécessités de la scène, avec le respect et
le tact qui s'imposaient, au prix seulement de quelques resserrements,
et sans y rien ajouter. Il était naturel qu'elle voulût mener jusqu'au
bout l'entreprise. Mais une difficulté surgissait : elle n'avait jamais
franchi le seuil d'un Carmel... Pouvait-elle, en une telle matière,
inventer ? Je pense ne trahir aucun secret, - et n'ai en vue que de
répartir équitablement la reconnaissance du public envers tous les
ayant-droit -- en révélant que, là encore, les religieuses qui s'étaient
d'abord alarmées d'un trop grand succès possible des Dialogues,
servirent ce succès avec la compréhension la plus généreuse dès qu'elle
crurent le pouvoir et le devoir. Puisque, de toute manière, cette cuvre
serait jouée, ne valait-il pas mieux qu'elle le fût dans une ambiance de
stricte vérité ? Des relations de parenté m'ouvraient l'accès d'un de
ces monastères, près de
Paris. Mme Tassencourt y trouva, en même
temps que l'accueil le plus affable, l'abondante documentation dont
elle sut se servir avec l'intelligence la plus fine, celle du coeur, pour
aboutir à cette authenticité qui rejoint celle du texte. Rien ici qui
ne soit d'un Carmel : l'habit des religieuses, leurs attitudes, leur voca-
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