Plein air. De Corot à Monet : La Naissance de l'impressionnisme (1860-1874)

Pour capter une sensation visuelle, il faut renoncer à la précision du dessin et favoriser les effets d'ombre et de lumière. Dans les années 1860, la plupart des futurs impressionnistes choisissent de relever le défi du grand jour mais c'est Claude Monet qui incarne le plus justement la figure du peintre de plein air. Il travaille près d'Eugène Boudin avant de rencontrer Johan Barthold Jongkind qui achève son initiation au travail sur le motif. 

Paysage d'Italie vu par une lucarne (C. 1856-1859), Edgar DegasMusée des impressionnismes Giverny

Le jeune Edgar Degas complète son éducation artistique par un long séjour en Italie et s'arrête dans un premier temps à Naples.

Peu après son arrivée en 1856, il peint, dans la plus pure tradition de Corot, cette admirable étude sur papier exécutée sur le motif depuis une lucarne du Castel Sant'Elmo.

Après Naples, le peintre se rend en 1857 à Rome où il fréquente les pensionnaires de la Villa Médicis et où il rencontre Gustave Moreau l'année suivante. En 1858, il séjourne à Florence chez sa tante Laure Bellelli puis à Venise. Au cours de ce voyage, il étudie les œuvres de l'Antiquité et de la Renaissance et peint quelques études sur le motif. Mais il renouvellera très rarement l'expérience et les paysages qu'il exécutera par la suite s'inspireront de souvenirs ou de visions fugaces.

Sur les pentes du Vésuve (III) (1871/1872), Giuseppe de NittisMusée des impressionnismes Giverny

Le peintre Giuseppe De Nittis, fondateur l’école de paysage de Resina près de Naples, est fortement influencé par les expériences des macchiaioli. Vers 1860, il déclare : « Je restais quelquefois, heureux sous les averses. L’atmosphère, voyez-vous, je la connais bien. J’ai dû la peindre. Je sais toutes les couleurs, tous les secrets de la nature, de l’air et du ciel. Oh ! le ciel ! J’en ai fait des tableaux ! Rien que des ciels avec de beaux nuages ! Voyez-vous, la nature, je suis tout près d’elle. Je l’aime ! Elle m’a donné des joies, des joies ! » (Giuseppe De Nittis, "Notes et souvenirs du peintre Joseph de Nittis", Paris, ancienne maison Quantin, librairies-imprimeries réunies May et Motteroz, 1895)

Twelve Studies of Vesuvius (1872/1872), Giuseppe De NittisGalleria d'Arte Moderna - Milano

Installé en France depuis 1868, De Nittis sera invité par Edgar Degas à participer à la première exposition impressionniste en 1874. Ami de Gustave Caillebotte, il retrouve celui-ci lors de son séjour à Naples en 1872. Cette année-là, De Nittis explore les pentes du volcan où il peint une série d'études d'après nature.

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Cette vue actuelle du Vésuve témoigne encore aujourd'hui du paysage peint par De Nittis.

Une route à Naples (1872/1873), Gustave CaillebotteMusée des impressionnismes Giverny

De son côté, Caillebotte peint les ruines de Pompéi sur fond de Vésuve. C’est très probablement son ami De Nittis qui apparaît ici, dissimulé par le châssis d’une toile posée dans la calèche sur fond de volcan (collection particulière, Comité Caillebotte, Paris).

Anvers (1866-08-26), Johan Barthold JongkindMusée des impressionnismes Giverny

Le peintre hollandais Johan Barthold Jongkind arrive à Paris en 1846, après avoir débuté son apprentissage à La Haye auprès du paysagiste Andreas Schelfhout. À son contact, il avait compris l’importance de la pratique de l’aquarelle en plein air. Au cours de ses excursions, il fixe à l’aquarelle ses impressions de la nature, destinées à l’élaboration de ses tableaux.

Ses études, souvent annotées, au dessin sous jacent et rehaussées par des éclats de gouache blanche, témoignent de son intérêt pour les effets changeants de la lumière.

À partir de 1862, Jongkind se lie avec Eugène Boudin qu’il retrouve sur les côtes normandes. Il fait également la connaissance de Claude Monet qui, en 1900, reconnaîtra : « [Jongkind] fut, à partir de ce moment, mon vrai maître, et c’est à lui que je dus l’éducation définitive de mon œil ».

Frais et tout calbotté (c. 1848-1853), Eugène BoudinMusée des impressionnismes Giverny

Eugène Boudin, né à Honfleur, mène, dès le début des années 1860, des campagnes très productives sur les côtes normandes. L’artiste dont Baudelaire admirait les « beautés météorologiques », ne se lasse pas de noter les effets du ciel et de la lumière de l'estuaire de la Seine. Il adopte l'aquarelle, le pastel ou, comme ici, l'huile sur papier pour transcrire ses impressions. Parfois, il inscrit sur ses études l'heure ou le moment du jour. Mais c'est une sensation qu'il indique ici – « frais » – suivie d'un mystérieux « tout calbotté » qui, en langage cauchois, désignerait le lait caillé.

Soleil couchant (c. 1865), Claude MonetMusée des impressionnismes Giverny

Sur la côte normande, Claude Monet travaille près d’Eugène Boudin dans une proximité telle que leurs œuvres ont parfois été confondues. Ils pratiquent le pastel en plein air et l’on trouve de nombreux exemples d’études d’effets atmosphériques fugaces. Le pastel, dont le matériel était moins encombrant à transporter, était un excellent moyen pour rendre le sentiment d’instantanéité.

C’est en 1858, à Rouelles, que Monet comprend, en regardant Boudin travailler dehors sur le motif : « j’avais saisi ce que pouvait être la peinture ; par le seul exemple de cet artiste épris de son art, et d’indépendance, ma destinée de peintre s’était ouverte. » (Claude Monet, « Eugène Boudin et Claude Monet », Havre-Éclair, 1er août 1911). Monet deviendra très vite l’archétype du peintre de plein air.

Dame en blanc sur la plage de Trouville (1869), Eugène BoudinMusée des impressionnismes Giverny

Boudin s’est rendu célèbre avec les délicates scènes de plages « à crinolines » qui illustrent la vie mondaine des élégantes, finement croquées, qui fréquentent les stations balnéaires à la mode sous le Second Empire. Boudin cherche à capter les impressions fugitives de l’atmosphère. Le 30 août 1869, il écrit à son ami le peintre Ferdinand Martin : « Je suis toujours aux prises avec mes figures de dames qui me donnent un grand tourment, j’en ai cependant ébauchées un certain nombre mais j’ai dû dessiner beaucoup avant de réussir. Nous sommes d’ailleurs abîmés par le vent d’est qui nous procure le temps le plus assommant qu’on puisse avoir pour la peinture. »

Eugène Boudin peignant sur la jetée de Deauville (1896), AnonymeMusée des impressionnismes Giverny

Longtemps condamnés au petit panneau, les artistes sont désormais libres de travailler en plein air sur des formats moyens comme le révèle notamment cette photographie montrant Eugène Boudin sur la jetée de Deauville en 1896. Boudin dispensera ses précieux conseils sur le matériel indispensable à la pratique du plein air à son ami Ferdinand Martin : l’ingénieux tabouret-chevalet, le parasol articulé, les petites boîtes anglaises de poche de Radney auxquelles il préfère les couleurs françaises en pastilles de Panier Paillard, ou encore la petite sacoche qui se porte en bandoulière.

Les Promeneurs. Étude pour « Le Déjeuner sur l’herbe » (1865), Claude MonetMusée des impressionnismes Giverny

Au cours de l’été 1865, Claude Monet entreprend, à Chailly, en forêt de Fontainebleau, le projet ambitieux d’un paysage avec figures, aux dimensions spectaculaires, soit environ 4,60 sur plus de 6 mètres, qu’il destine au Salon de 1866. L’artiste procède alors par des petites études sur nature, puis compose l’ensemble à l’atelier. « Les Promeneurs. Étude pour ‘’Le Déjeuner sur l’herbe’’ », où il fait poser sa future épouse, Camille Doncieux, ainsi que son ami le peintre Frédéric Bazille, compte parmi ces études rapidement brossées, mais elle a les dimensions d’un tableau.

Bougival La Grenouillère par E. L. D.Musée des impressionnismes Giverny

La Grenouillère était un établissement de bains situé sur l’Ȋle de Croissy, en face de Bougival. Relié à Paris par le train, ce lieu connaît son heure de gloire de 1860 à 1889.

Bathers at La Grenouillère (1869), Claude MonetThe National Gallery, London

En 1869, Claude Monet vit avec Camille dans le hameau de Saint-Michel à Bougival. Auguste Renoir, installé chez ses parents à Voisins, près de Louveciennes, lui rend régulièrement visite. Ils transportent leurs chevalets à la Grenouillère où ils exécutent une suite de pochades sur le motif. Le 25 septembre 1869, Monet fait part de sa quête à son ami Frédéric Bazille : « J’ai bien un rêve, un tableau, les bains de la Grenouillère, pour lequel j’ai fait quelques mauvaises pochades, mais c’est un rêve. Renoir, qui vient de passer deux mois ici, veut faire aussi ce tableau ». Le grand tableau ne vit pas le jour, mais, en 1876, Monet présenta l’une de ses études, dont trois versions nous sont connues, en tant qu’œuvre autonome à la deuxième exposition impressionniste.

La Grenouillère (1869), Auguste RenoirNationalmuseum Sweden

La Grenouillère de Renoir présente une composition proche de la version de Monet conservée au Metropolitan Museum of Art.

Au premier plan, à droite le café flottant...

...à gauche la passerelle menant au « camembert » ou « pot-à-fleurs » planté d’un arbre, avec les élégantes endimanchées ou les baigneurs gesticulant...

...puis, à l’arrière-plan, les canotiers ou les voiliers.

En 1881, dans "La Femme de Paul", Guy de Maupassant y situe la scène de sa nouvelle : « Sur une petite plate-forme, les nageurs se pressent pour piquer leur tête. Ils sont longs comme des échalas, ronds comme des citrouilles, noueux comme des branches d'olivier, courbés en avant ou rejetés en arrière par l'ampleur du ventre, et, invariablement laids, ils sautent dans l'eau qui rejaillit jusque sur les buveurs du café. »

Négligeant toute anecdote, Renoir et Monet cherchent avant tout à saisir, par une exécution vigoureuse et une touche fractionnée, les reflets vibrants de la lumière sur l’eau par une journée ensoleillée. Ces études sont aujourd’hui considérées comme la quintessence même de l’impressionnisme.

The Beach at Trouville (1870), Claude MonetThe National Gallery, London

Claude Monet a grandi au Havre, où il a passé ses premières années d’apprentissage. Au cours de l’été 1870, il réside avec sa famille à l’hôtel Tivoli, dans la célèbre station balnéaire de Trouville, où il retrouve Eugène Boudin. Le cadrage serré montrant les deux figures féminines en gros plan, à la manière des instantanés photographiques, souligne encore l’originalité de cette toile.

Il fait ici poser Camille, sa jeune épouse – assise, en robe d’une blancheur éclatante, au chapeau de fleurs artificielles et sous une ombrelle...

...et, selon toute vraisemblance, la femme de Boudin – en habit noir –, sur la plage.

L’artiste a su préserver la fraîcheur de l’émotion immédiate et la luminosité de l’atmosphère, sans même chercher à dissimuler les grains de sable et les fragments de coquillages incrustés dans la peinture.

Trouville. Hôtel des Roches NoiresMusée des impressionnismes Giverny

Ce point de vue est celui adopté dans les compositions de Boudin et de Monet, derrière les cabines de bain, aujourd’hui disparues, se profile l’hôtel des Roches Noires.

Crédits : histoire

L’exposition « Plein air. De Corot à Monet », dont le commissariat a été assuré par Marina Ferretti, spécialiste de la période impressionniste et postimpressionniste, assistée de Vanessa Lecomte, attachée de conservation au musée des impressionnismes Giverny, qui devait initialement se tenir du 27 mars au 28 juin 2020 au musée des impressionnismes Giverny a dû être annulée compte tenu de la pandémie du Coronavirus (Covid-19).

Remerciements :
Sylvie Brame, Comité Caillebotte, Clémence Ducroix, Romain Dugast, Benjamin Findinier, David Gadanho, Galleria d'Arte Moderna di Milano, Annette Haudiquet, Charlotte Hellman Cachin, Peter Huestis, Anna Jansson, Ivona Soldà.

www.progettomarzotto.org
www.gam-milano.com
www.bramelorenceau.com
www.muma-lehavre.fr
www.musees-honfleur.fr
www.museedartsdenantes.nantesmetropole.fr
www.nga.gov
www.archives.yvelines.fr
www.nationalgallery.org.uk
www.nationalmuseum.se

Nous vous invitons à découvrir l’ouvrage publié à cette occasion par le musée des impressionnismes Giverny en coédition avec les Éditions Gallimard, Paris. www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Livres-d-Art/Plein-air

Crédits : tous les supports
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