L’OURS DES CAVERNE
L’ours des cavernes (Ursus spelaeus) est le représentant de la mégafaune qui a le plus fréquenté la grotte Chauvet faisant de cette dernière un site paléontologique européen majeur pour l’étude de cet animal [1].
Ours des cavernes (Caverne du Pont d'Arc, Ardèche) (2015-04-25/2015-04-25), smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Pourquoi « Ours des cavernes » ?
A l’instar de certains ours actuels, Ursus spelaeus recherchait des endroits calmes et protégés où passer l'hiver afin d'hiberner. Durant la saison douce, l’ours des cavernes constituait des réserves de graisse.
Il n'était pas rare que l'ours mourût pendant l'hibernation par manque de réserves. Or, c'est précisément au fond des grottes (espaces protégés où la conservation des vestiges est importante) qu'on a trouvé la plupart des restes d'ours des cavernes. C'est la raison pour laquelle cet ours est ainsi déterminé.
L’ours
des cavernes : origine, répartition, comportement
Adulte, l’ours des cavernes pouvait atteindre environ 1.30m au garrot. En position dressée, l’ours des cavernes dépassait trois mètres de hauteur. L’espèce présentait un fort dimorphisme sexuel. Ainsi, les mâles adultes pouvaient peser jusqu’à 500kg (environ moitié moins pour les femelles adultes) [3]. L’aire de répartition de l’ours des cavernes englobait toute l’Europe jusqu’aux forêts des contreforts de l’Oural. Il semble avoir favorisé les espaces boisés avec des reliefs différenciés où les ressources alimentaires abondaient. On retrouve des vestiges d’ours dans une grande partie de la France (à l’exception des zones de plaine), dans le sud de l’Angleterre, le sud de l’Allemagne et dans le nord de l’Espagne. La Crimée, les Balkans et les montagnes du Caucase étaient des espaces géographiques qu’il fréquentait également.
Stop frontal de l'ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche)La grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Bien qu'appartenant à l'ordre des Carnivores en raison de ses caractéristiques anatomiques, Ursus spelaeus avait un régime alimentaire omnivore, voire intégralement herbivore, comme l'attestent ses molaires adaptées au broiement des végétaux[4].
Possédant un crâne marqué par une dépression fronto-nasale accentuée nommée « stop frontal », l’ours des cavernes se singularisait également par une obliquité prononcée du dos due à un allongement des membres antérieurs et à un raccourcissement des tibias.
Ours des cavernes (Caverne du Pont d'Arc, Ardèche) (2015-04-25/2015-04-25), smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Les ossements d'ours dans la grotte du Pont d'Arc sont si nombreux et si bien conservés qu'une équipe scientifique a pu reconstituer le profil génétique d'un individu mort il y a 32.000 ans.
Cette étude[5] a permis de mettre en évidence que l'ours brun, l'ours polaire et l'ours des cavernes avaient un ancêtre commun qui existait il y a 1,6 million d'années.
Ossements d'ours des cavernes (2006/2006), Jean ClottesLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
On y a découvert, rien qu’à la surface des sols, 4040 ossements animaux dont, parmi ce cortège imposant, 3700 proviennent d’ours (au moins 190 individus mâles, femelles, adultes et juvéniles[2]).
Les ours des cavernes investissaient la grotte Chauvet pour y hiberner. A côté des ossements ursins, d’autres vestiges dus aux ours existent : bauges, surfaces rocheuses polies, griffades sur les parois, et pistes d’empreintes au sol. A noter que les hommes du Paléolithique supérieur ont déplacé, voire mis en scène, des ossements d’ours des cavernes sans que l’on puisse déterminer l’intention qui a motivé ces gestes culturels.
Accumulation d'ossements d'ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Les échantillons d’ossements ursins prélevés dans la grotte pour datations au carbone 14 ont livré des âges intéressants. Trente dates fiables ont été obtenues. Elles permettent de contraindre les phases d’occupation de la grotte par les ours[6].
Deux périodes d’occupation de la grotte ont été mises en évidence :
- Entre -48.000 et -41.500 ans
- Entre -33.500 et -32.700 ans
La seconde phase d’occupation de la grotte par les ours correspond avec la première phase d’ornementation humaine de la grotte. Cette simultanéité n’implique pas que les ours et hommes aient été présents dans la grotte en même temps.
Cave Bear Bones (Chauvet Cave) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Aucun âge plus récent que 32.700 ans a été obtenu sur les ossements d’ours. Parallèlement, il est admis que l’ours des cavernes disparaît il y a 25.000 ans, probablement en raison d’un refroidissement qui a affecté toute l’Europe et les écosystèmes fréquentés par l’ours des cavernes. Pourquoi n’existe-t-il pas des ossements plus jeunes que 32.700 ans dans la grotte Chauvet ?
D’une part, explication très prosaïque, il se peut que les échantillons plus récents que 32.700 existent mais qu’ils n’aient pas été collectés. Egalement, l’ours des cavernes a pu être empêché d’entrer dans la grotte en raison des écroulements du porche survenu dès -29.000 ans[7] et qui ont peu à peu obturé puis totalement fermé l’entrée naturelle empêchant de fait l'accès de la cavité aux grands animaux.
Crâne d'ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Les vestiges les plus nombreux dans la grotte Chauvet-Pont d'Arc sont ceux qui témoignent de son abondante fréquentation par la faune préhistorique : avec 4 040 ossements inventoriés (environ 90 % du potentiel affleurant au sol d’après les chercheurs), la grotte Chauvet-Pont d’Arc est un gisement important de ressources paléontologiques.
A noter que les ossements d’ours des cavernes sont plus abondants dans les parties profondes de la grotte. Les zones proches du porche, donc davantage soumises aux aléas climatiques et aux prédateurs ont été moins occupées par les plantigrades.
Ossements ursins (Caverne du Pont d'Arc, Ardèche) (2015-04-25/2015-04-25), smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
L’ours des cavernes (Ursus spelaeus) représente la très grande majorité des vestiges répertoriés : plus de 3 700 restes osseux pour un nombre minimum d’individus identifié (NMI) de 190. Aucun squelette n’a été retrouvé en connexion, même lâche ; Les segments articulés se limitent à des portions de colonnes vertébrales.
Les ossements sont éparpillés, principalement par des facteurs naturels (ruissellement d’eau en nappe, déplacements des ours, décomposition et altération des ossements…) ou, plus exceptionnellement, humains (déplacements volontaires des ossements). Les ossements les plus conservés sont aussi les plus massifs (crânes, humérus, bassins, grosses vertèbres) aux dépens des ossements de dimensions réduites (dents, côtes, carpiens, phalanges,…etc).
A côté des ossements, d’autres vestiges attestent de l’occupation de la grotte par les ours des cavernes.
Surface rocheuse polie par le passage des ours (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
En cheminant dans les parties profondes de la grotte, dans l’obscurité totale, les ours se repéraient en frottant leurs flancs contre les parois de la grotte.
Les sections saillantes des parois étaient alors décapées de leur l’argile et la roche polie.
Bauges d'ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche)La grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Pour hiberner dans la grotte, les ours des cavernes formaient des dépressions circulaires dans les sols. Appelées bauges, ces dépressions sont au nombre d’environ 300.
Souvent d’un diamètre d’environ 50cm, les bauges sont regroupées, constituant de véritables « dortoirs ».
Griffades d'ours des cavernes (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Les ours griffaient les parois de la grotte. Des milliers de griffades sont recensées dans la grotte, les plus nombreuses se trouvant dans les salles les plus profondes.
Souvent associées aux zones où sont concentrées les bauges, les griffades se présentent sous forme de 3 ou 5 sillons parallèles de profondeur et d’épaisseur millimétriques. La hauteur moyenne des griffades se situe majoritairement entre 1.50m et 2m.
Pistes d'ours (grotte Chauvet, Ardèche)La grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Dans les salles dont les sols sont plats, des pistes longues de plusieurs dizaines de mètres et composées de pieds et mains d’ours permettent de reconstituer la déambulation des plantigrades dans la grotte.
En dépit du grand nombre d’ossements ursins identifiés en surface, les pistes correspondent à un faible nombre d’individus. En outre, ces pistes et empreintes isolées démontrent une grande variabilité des individus à l’instar de celle des ossements. Enfin, par leurs dimensions et morphologies, des empreintes d’ours identifiées dans la salle des Bauges et la salle Hillaire semblent correspondre à Ursus arctos, une autre espèce d’ours ayant fréquenté la grotte Chauvet.
Ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
L’ours
des cavernes dans l’art pariétal de la grotte Chauvet
Les ours des cavernes sont peu représentés dans l’art pariétal paléolithique d’Europe. Seule une soixantaine de représentations ont été dénombrées.
A elle seule, la grotte Chauvet en regroupe quinze, dénotant ainsi l’importance de cet animal pour les cultures paléolithiques qui ont orné la cavité ardéchoise.
Salle du cactus (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Les représentations d’ours se concentrent dans la première moitié de la grotte, le secteur rouge. Treize ours y sont dénombrés, majoritairement rouges. Dans le secteur noir, l’ours est représenté une fois avec du charbon de bois et deux fois par raclage de l’argile.
La salle du Cactus possède des représentations d'ours, dont l'un des plus majestueuses de la grotte.
Ours de la galerie du Cactus (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Le style employé pour le dessin est homogène. Ils sont représentés tête abaissée, dégageant la ligne de dos et le garrot. Le crâne est comporte bien le « stop frontal ».
Ces ours rouges semblent avoir été réalisés en trois lignes à l’instar de ce qu’écrivent les préhistoriennes Valérie Feruglio et Dominique Baffier[9]: « La première [ligne] dessine le front et le stop, et se termine en virgule pour indiquer la narine. La deuxième dessine la bouche et la troisième le menton et la bajoue ».
Ours noir (grotte Chauvet, Ardèche)La grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
La représentation de l’ours des cavernes montre une singularité par rapport aux treize autres espèces animales du bestiaire de la grotte Chauvet. L’œil n’est jamais représenté. En outre, ils ne sont jamais présents au sein des fresques monumentales.
L’ours du secteur noir a été dessiné au charbon et, à l’instar des ours rouges, ses contours ont été en partie estompés.
Aménagements
et mises en scène d’ossements d’ours
En dehors de l’art pariétal, la grotte Chauvet possède d’autres témoignages culturels, parfois aussi spectaculaires. Il est avéré que des ossements d’ours des cavernes ont été manipulés, parfois mis en scène par les hommes offrant ainsi un regard neuf sur l’investissement de la grotte Chauvet par les hommes du Paléolithique supérieur.
Humérus d'ours associé à un crâne d'ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Deux humérus ont été trouvés en position verticale dans le sol. L’un d’eux, situé contre une paroi, semble avoir été fiché intentionnellement.
La position verticale de l’humérus associé à un crâne d’ours est plus incertaine. Situés à une distance d’environ 10m l’un de l’autre, ils se trouvent à proximité du porche naturel par lequel animaux et humains pénétraient dans la grotte.
Accumulation d'ossements d'ours des cavernes (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Il a été dénombré environ 130 accumulations d’ossements dans la grotte. Ces ossements concentrés sur de faibles surfaces ont été naturellement charriés par des eaux de ruissellement ou encore déplacés par les animaux.
Des actions humaines pourraient également expliquer certains amoncellements semblant avoir été mis en scène tels que ces deux crânes d’ours disposés l’un près l’autre.
Crâne d'ours des cavernes mis en scène (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
La
salle du Crâne
Dans la salle du Crâne, un bloc rocheux naturellement tombé de la voûte est surmonté par un crâne d’ours femelle volontairement déposé par un/des humain(s) il y a plus de 21.000 ans lorsque la grotte était encore accessible.
Sur la surface du bloc et sous le crâne, sont présents de nombreux fragments de charbon de bois.
Crâne d'ours des cavernes mis en scène (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
En périphérie de ce crâne sont recensés 53 crânes d’ours recouverts d’une formation de calcite formée lorsque la salle est en eau. Aucun autre ossement du post-squelette n’est visible en surface.
Quelle est l’origine de ces crânes d’ours disposés sans organisation apparente ? Ont-ils une origine naturelle (ours morts in situ, ossements déplacés par des animaux ou transportés par des eaux de ruissellement) ? Ou ont-ils été amenés et déposés par les hommes ? L’origine de ces crânes d’ours reste débattue.
Crâne d'ours des cavernes mis en scène (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO
Un
culte de l’ours des cavernes ?
Avec la grotte Chauvet, il est tentant de mettre en avant un lien symbolique fort entre l’homme et l’ours des cavernes. Malgré les vestiges de la grotte Chauvet, il n'existe pas de faits tangibles grâce auxquels il pourrait être montré que l'ours tenait une place majeure dans la spiritualité humaine il y a 36.000 ans.
Plus largement, l'examen du matériel archéologique de sites européens n'appuie pas l'hypothèse d'une place symbolique particulière pour l'ours au sein des cultures humaines du Paléolithique supérieur. A ce jour, le culte de l'ours, entretenu depuis les années 1920, ne peut être confirmé par des faits archéologiques tangibles.
Le Syndicat mixte de l'Espace de restitution de la grotte Chauvet (SMERGC) remercie la Ministère de la Culture et de la communication. Cette exposition a été créée dans le cadre d'une convention liant ces deux partenaires pour la valorisation de la grotte Chauvet et de son contexte géographique et historique.
Le SMERGC est concepteur/réalisateur et propriétaire du site La Grotte Chauvet 2 (anciennement Caverne du Pont d'Arc) et a constitué et défendu le dossier de candidature de la grotte Chauvet sur la Liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO.
http://lacavernedupontdarc.org/
https://www.facebook.com/lagrottechauvet2/
Le SMERGC remercie également l'Institut Art & Culture de Google, notamment Valérie Pivan et Sixtine Fabre.
Eléments de bibliographie
(1)NOM INSTITUTION
URL : https://www.researchgate.net/publication/283364757_Ursides_pleistocenes_des_Pyrenees_Elements_de_paleontologie_et_de_paleobiologie
(2) https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_2005_num_102_1_13340
(3) http://www.sekj.org/PDF/anzf36/anzf36-093p.pdf
(4) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/jqs.2883
(5) https://pdfs.semanticscholar.org/5fda/ceb8dc9d8a74823e3e42b89a7634e74a9d17.pdf
(6) http://www.pnas.org/content/113/17/4670
(7) http://www.pnas.org/content/109/21/8002
(8) https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_2005_num_102_1_13340
(9) http://www.seuil.com/ouvrage/la-grotte-chauvet-jean-clottes/9782021022087