L'île de Sado, au nord du Japon a, au cours des siècles, accueilli les nobles, les intellectuels et les artistes exilés de la cour et des autres îles du Japon (dont Zeami, le créateur du nô). Ceci explique l'incroyable foisonnement de formes artistiques différentes qui coexistent à Sado. Les marionnettes bunya ningyo en sont un exemple. Il y a actuellement onze troupes de bunya ningyo sur l'île de Sado.
Les bunya ningyo, premières marionnettes "portées", remontent au XVIe siècle. Ce sont les descendantes des boules de chiffons emmanchées ou de têtes que le moine frappait sur le sol en scandant les versets sacrés du bouddhisme. Ces moines itinérants, souvent aveugles, chantaient et étaient accompagnés d'un musicien. Cette expression originelle se nommait samgaku. Les marionnettes se répandant dans diverses provinces prirent une forme très raffinée dans la région de Kyoto et devinrent au XVIIe siècle le bunraku.
Les marionnettes, hautes de 80 cm, possèdent une tête finement sculptée et peinte, et portent une robe. Sous le costume, les deux bras amovibles aux mains plates s'enfilent dans les manches des divers kimonos superposés. La tête est montée sur une tige tenue par la main gauche du manipulateur, qui saisit aussi le bras gauche de la marionnette. La main droite du manipulateur est glissée dans la manche droite de la marionnette et exécute les différents mouvements. Le répertoire est tiré des épopées japonaises. Il met en scène des aventures de bandits au grand coeur ou de criminels qui se transforment en saints au contact d'un moine ou d'une femme pieuse, ou comme ici des histoires d'amour contrariées par le sort.
Le Bunya Ningyo a été classé patrimoine culturel immatériel par le gouvernement japonais.
LES ARTISTES
Takeshi Nishihashi est le fondateur et chef de la troupe Saruhachi-za. Il est le manipulateur des deux personnages principaux. Né en 1948, il fait des études théâtrales à l'Université de Waseda et devient en 1970, un marionnettiste de bunraku sous la direction de Minosuke Yoshida et prend pour nom de scène Minoshi Yoshida. Il passe régulièrement au Théâtre National de Tokyo, au Asahiza d'Osaka, dans de nombreuses villes de provinces du Japon et entre p rend deux t o u rnées à travers l'Europe. Mais en 1979, il quitte le Théâtre National de Bunraku, qui présente, aux yeux de tout marionnettiste japonais, la plus belle consécration professionnelle. Il s'éloigne donc de la voie royale afin de se lancer pleinement dans une dimension artistique en concordance avec ses véritables aspirations et déménage dans l'île de Sado où il devient membre d'Osaki-za, une troupe de bunya. Il partage son temps entre le théâtre et la fabrication de figurines en argile dans le seul but de faire vivre son art. En 1995, il monte sa propre troupe, la Saruhachi-za (Saruhachi est le nom du petit hameau niché sur les hauteurs d'une montagne de l'île où il s'est installé) avec comme objectifs de transmettre la tradition du bunya, mais aussi d'explorer, avec des conteurs, des musiciens et d'autres artistes, les moyens d'enrichissement de cette tradition. En 1998, la Saruhachi-za est invitée par la Fondation culturelle Kodo pour accompagner les percussionnistes de Kodo durant leur tournée au Royaume Uni et ils donnent une représentation au Festival d'Edimbourg et à Londres.
Le Canadien Johnny Wales est l'un des rares marionnettistes occidentaux à faire partie d'une troupe japonaise. Il apprit la manipulation des bunya et la fabrication des marionnettes à Sado dans les années 70 auprès du maître Moritaro Hamada que la Maison des Cultures du Monde avait accueilli en 1983. Depuis, il défend cet art en le pratiquant à Sado et en animant des ateliers à l'éranger.
Chieko Wales, l'épouse de Johnny Wales, est manipulatrice et habilleuse de marionnettes. Née à Tokyo, elle y fait des études d'histoire. Après avoir travaillé pendant quatre ans pour une grande société, elle s'installe avec son mari à Sado où pendant deux ans elle apprend, en plus de l'art de la manipulation, la technique du tissage traditionnel.
Ai Hirasawa est née à Tokyo en 1978. Enfant, elle visitait souvent sa grandmère à Sado. Après avoir terminé ses études de stylisme à Tokyo, son intérêt grandissant pour la culture et les traditions de Sado la poussent à s'y installer. Sa rencontre avec les marionnettes bunya et Takeshi Nishihashi l'incitent à rejoindre la Saruhachi-za. Ai Hirasawa qui étudie toujours l'art de la manipulation rêve de pouvoir combiner son amour de la vie à l'ancienne sur l'île de Sado avec ses études de stylisme et d'autres centres d'intérêts plus contemporains.
Bunsei Shirai est né à Sado en 1938. Son oncle était le célèbre marionnettiste Gohei Kuzuhara (1894-1984) directeur d'une troupe de bunya à Sado, Osakiza. Bunsei Shirai a commencé comme marionnettiste en 1971, puis a décidé en 1974 de devenir tayu ou chanteur-narrateur. Depuis 1992, Bunsei Shirai accompagne régulièrement trois troupes de bunya ningyo de l'île de Sado : Osaki-za, Yamato-za et Saruhachi-za.
LA PIÈCE, SHINODA-ZUMA
Il y a environ mille ans vivait à Kyoto un homme appelé Abe no Seimei. C'était un célèbre astrologue auprès de la cour impériale. Il avait de tels dons de prescience et de voyance que plusieurs histoires circulaient sur son compte, tentant d'expliquer les causes de son pouvoir extraordinaire.
Cette version de la pièce écrite en 1674 décrit comment Abe no Semei était en fait l'enfant d'un homme et d'une renarde. Quelques années avant le début de l'histoire, Abe no Yasuna sauve la vie d'une renarde blanche poursuivie par des chasseurs. Blessé, Yasuna est ramené chez lui et soigné par une superbe jeune fille, Kuzunoha, qui devient son épouse. Mais Kuzunoha n'est autre que la renarde métamorphosée en femme.
Shinoda-zuma
Acte 1 La pièce commence avec l'apparition de Yasuna et de Kuzunoha, de Doji, leur fils âgé de cinq ans, et de sa gouvernante. Ils vivent heureux, retirés dans une maison en pleine campagne. Un jour d'automne, Yasuna va comme de coutume travailler dans ses champs. Pendant que l'enfant dort, sa mère travaille à son métier à tisser. Elle jette un regard sur les chrysanthèmes, et s'oublie à tel point dans ce magnifique spectacle qu'elle reprend sa forme originelle, celle de la renarde sauvée jadis par Yasuna.
Doji s'éveille alors et, horrifié, pousse des cris. Avant que la gouvernante n'accourre, Kuzunoha a repris sa forme humaine et elle lui demande de calmer l'enfant.
Maintenant que son secret a été révélé, elle doit reprendre sa forme animale et retourner vivre en forêt. Après avoir allaité l'enfant une dernière fois, elle écrit une lettre à son mari dans laquelle elle dit sa souffrance d'avoir à les quitter. Puis elle calligraphie un poème sur un paravent : «Si vous pensez à moi avec tendresse, venez me voir. Je serai dans la forêt de Shinoda, sous les feuilles amères de la vigne de kudzu.» Enfin, elle s'en va. Doji se réveille et cherche frénétiquement sa mère. La gouvernante entre, rejointe par Yasuna qui revient des champs et trouve la maisonnée en proie à la désolation. Il lit le poème et la lettre et découvre la terrible vérité sur la nature de son épouse. Il décide de partir en forêt pour ramener Kuzunoha. Et comme l'enfant insiste pour l'accompagner, il l'emmène avec lui.
Acte 2
Dans la forêt, le Chasseur a tendu un piège et la renarde manque de justesse d'être attrapée. Elle parvient cependant à le leurrer et à s'échapper. Yasuna et Doji s'enfoncent dans la forêt à sa recherche, mais en vain. De désespoir, Yasuna veut se suicider et Doji manifeste le désir de mourir avec lui. Au moment où Yasuna brandit son épée pour tuer l'enfant, la renarde intervient et se change une dernière fois en femme. Pour assurer à Doji l'avenir glorieux de voyant qui sera le sien, elle lui fait deux cadeaux précieux et convainct Yasuna de se résigner à l'inévitable séparation. Yasuna part donc, emmenant avec lui un Doji inconsolable. Kuzunoha, en pleurs, les regarde s'éloigner avant de disparaître pour toujours, redevenue renarde, dans la forêt de Shinoda.
Remerciements à Madame Anne Appathurai et à Madame Claire de Bréban.