14 avril 1953
Professeur
Louis de Broglie
94, rue Perronet
Neuilly-sur-Seine, France
Monsieur de Broglie,
J'ai reçu votre aimable lettre du 9 avril et je suis content que vous soyez d'accord d'ajouter vos propres remarques à l'article de David Bohm. Cela me permettra de savoir ce que vous pensez de l'interprétation des fondements de la théorie quantique. Je suis par ailleurs désolé d'avoir indirectement et involontairement causé votre trouble.
Vous pouvez envoyer votre contribution directement à l'éditeur du volume de Max Born (le Dr Robert Schlapp de l'université d'Édimbourg, en Écosse). Il ne sera pas nécessaire de la faire traduire en anglais ; la mienne sera publiée en allemand. J'enverrai également celle de David Bohm directement au Dr Schlapp. J'ignore évidemment s'il acceptera ces contributions tardives, en particulier celles qui concernent les apports de tiers. Je vous dis cela pour que vous ne soyez pas contrarié si l'éditeur n'a pas la possibilité d'imprimer vos remarques. Il serait en tout cas prudent de lui demander son avis avant de vous mettre au travail. Mais même si vos commentaires et ceux de M. Bohm ne pouvaient pas figurer dans le volume en question, il me semble fort souhaitable qu'ils apparaissent ensemble quelque part, car je sais que les questions de principe intéressent vivement la plus jeune génération de physiciens.
Toute cette affaire me rappelle un peu le récit biblique de la tour de Babel : "Et le Seigneur dit : Maintenant, rien ne les retiendra de faire tout ce qu'ils ont projeté. Allons ! Descendons et, là, brouillons leur langage afin qu'ils ne se comprennent plus mutuellement." Dans notre cas, le Seigneur a non seulement brouillé le langage, mais également les pensées. Il a donc perfectionné sa technique.
Cordialement,
Albert Einstein.