L'Andhra Pradesh, grand état de l'Inde se situe dans le sud-est du continent. Le nom de Tholu Bomalata signifie "le jeu des grandes peaux" et indique la nature du matériau de fabrication des figurines de ce théâtre d�ombres qui reste aujourd'hui un des plus vivants en Inde (ceux du Karnataka et de l'Orissa ayant pratiquement disparu).
Ces figurines géantes possèdent une taille qui varie selon les différents lieux de l'Andhra Pradesh. A Telengana, les figurines mesurent de soixante-dix centimètres à un mètre de hauteur. Dans les Circars, elles atteignent plus d'un mètre et demi de haut. A Telengana et Rayalaseema, les personnages des dieux et des rois sont découpés dans de la peau de chèvre. Dans les Circars, tous les personnages sont faits de peau de chèvre, et parfois les montreurs utilisent de la peau de buffle pour présenter les démons. Les peaux découpées et travaillées présentent des transparences colorées (autrefois par des teintures végétales et aujourd'hui par des couleurs chimiques). La préparation de chaque peau se révèle longue et minutieuse. Elle est tendue et traitée par grattages et humectages jusqu'à devenir translucide et couleur d'ambre. Le montreur découpe alors les différents éléments du personnage et les assemble de façon à ce que chaque membre puisse se mouvoir séparément, par des pièces rondes de peaux faisant office de boulons plats. Chaque personnage possède un costume et des bijoux et ornements appropriés. Ceux-ci sont peints directement, en grands aplats sur la peau. Le montreur orne encore les lignes et les surfaces en découpant des motifs de couleur. Les surfaces présentent une multitude de petits trous en forme de pastilles, de fleurs, de stries ou de gouttes d'eau.
Les principales couleurs sont le noir, le rouge et le vert. A partir de mélanges le montreur obtient des tons dérivés et joue avec la texture ambrée et nervurée du support. Le visage est découpé et peint en dernier comme si le montreur craignait de charger le personnage avant de l'avoir terminé. Il achève son travail par la bouche, le nez et les yeux de la figurine.
Chaque figurine est soutenue au centre par un bambou fendu qui la parcourt de la tête jusqu'au bas du torse. Des bambous plus fins soutiennent parfois le bras et les jambes. Les jointures de la figurine s'articulent avec des boucles de fils que le montreur passe avec précision et rapidité grâce à une tige annexe perpendiculaire à la surface de la peau de la figurine, deux ou trois montreurs manipulent en même temps une figurine aux dimensions particulièrement imposantes en passant les baguettes perpendiculaires dans les boucles appropriées.
Aux moments de scènes importantes, qui prennent la forme de "tableaux", les montreurs épinglent quatre ou cinq figurines sur l'écran avec des épines d'acacia (tumma mullu). Il faut signaler que ce théâtre d'ombres ne comporte aucun élément de décor mais seulement des figurines anthropomorphes et zoomorphes.
Le spectacle de Tholu Bomalata se déroule toujours en plein air et il est gratuit car il fait partie d'une fête offerte par un propriétaire, un temple, ou un groupe de mécènes à l'occasion d'une fête religieuse. Le théâtre entier s'articule autour de l'écran (deux sari cousus) et d'une source de lumière placée au-dessus (autrefois des lampes à huile, aujourd'hui un tube de néon).
Les montreurs se tiennent derrière l'écran légèrement basculé par le haut vers le public, pour appliquer sur la surface de coton blanc, les figurines avec plus d'assurance. Les représentations peuvent durer de six à huit heures. Aussi emportent-ils des boissons et des provisions pour la durée du spectacle. Aucune interdiction n'est faite aux spectateurs de se déplacer derrière l'écran. L'espace du regard reste toujours très informel et aucune place n'est assignée au public presque toujours en mouvement. Au cours de la préparation d'une fête, les montreurs arrivent dans le village, invités par les organisateurs. Ils portent leurs ballots d'ombres sur la tête et commencent à chanter et à faire de la musique. Les sari pour l'écran sont fournis par le maire du village, les poteaux par les paysans et la lumière par le barbier. Les montreurs prennent soin, en installant l'écran, que celui-ci ne fasse jamais un angle droit avec le sol. De cette façon, la figurine peut glisser avec un mouvement quasi "naturel"(dans l'esthétique de ce théâtre) si le montreur doit la lâcher pour en plaquer une autre sur le haut de l'écran. A cause des transparences, les figurines sont tenues et manipulées très près de la surface de coton ; ce qui assure les meilleurs effets. Le montreur joue avec cette proximité élastique pour effectuer des flous, La façon dont sont faits les visages est un exemple unique. La souplesse de la peau permet au montreur de faire pivoter la matière sur elle-même.
Le rôle de la musique et du bruitage dans le Tholu Bomalata se révèle très différent de celui utilisé dans les spectacles de marionnettes à fils des différentes parties du pays. Pour ces théâtres de marionnette, un seul type de voix, souvent nasillarde et sifflante sert pour tous les personnages (par exemple, le Kathputli du Rajasthan). De cette façon, les mouvements des poupées doivent être très caractéristiques pour que les spectateurs repèrent immédiatement le personnage parlant. Dans le théâtre d'ombres au contraire, les montreurs accordent une attention spéciale aux nuances de la narration (changement de voix, chant, exclamations, choeurs, accompagnement musical, bruitage, etc...) si bien que parfois, les figurines d'ombres se contentent de mouvoir une main pour indiquer qu'elles parlent. Une troupe de Tholu Bomalata consiste en six ou sept personnes. Les montreurs étant nomades et d'un statut social très bas, la troupe comprend aussi des femmes (phénomène assez rare en Inde). Les instruments de musique forment un petit ensemble qui complète le chant exécuté par les voix de femmes et par les voix d'hommes: un harmonium, un mridangam (tambour), un mukhaveena (de la famille des hautbois), des kartal (cymbales). Parfois dans les troupes restées très pures, un shruti remplace l'harmonium. Il s'agit d'un plat en cuivre retourné, sur lequel le musicien pose l'extrémité d'une fine tige de bambou humide qu'il lisse avec la main. Cet instrument donne la note tonique. Jusqu'au début de ce siècle, les pièces présentées consistaient en de larges extraits du Ramayana et du Mahabharata (les deux grandes épopées hindouistes) ainsi que du Bhagavata. Quelques thèmes sociaux ont été introduits depuis et concernent par exemple la promotion du plan quinquennal pour le développement économique du pays. Cependant quel que soit le thème, l'ordre rituel de présentation est maintenu. Invariablement la musique d'ouverture, le Raga Nata, et la musique de clôture, le Raga Surati, encadrent l'oeuvre qui commence par des pièces et des invocations à Vigneshwara ou Ganesha, le dieu à tête d'éléphant qui possède le pouvoir de surmonter tous les obstacles et que le montreur épingle, pour un moment, au centre de l'écran. Quelquefois le montreur décore l'écran, pendant l'invocation avec des figurines d'oiseaux ou d'animaux. Puis le Sutradhara ou montreur chante un prologue. La langue employée, le Telugu, est parlée surtout dans l'état de l'Andhra Pradesh. Parfois, le montreur introduit quelques sloka (vers) en sanscrit pour montrer son érudition. Comme dans la plupart des théâtres d'ombres, le rôle du montreur principal est magique puisque cette expression appartient à un rituel à l'origine. S'il s'agit de distraire le public, le spectacle présenté concerne surtout la poursuite de la communication et du dialogue entre les hommes et les dieux. A cet effet, autrefois, les lampes à huile servant à l'éclairage des figurines étaient promenées par les montreurs autour du temple puis autour de l'aire de jeu. Plusieurs séquences dansées s'insèrent dans les pièces de Tholu Bomalata. La figurine qui danse est pressée contre l'écran tandis que le montreur imprime diverses torsions au cuir au niveau du cou, des hanches et des membres et que les pieds sont manipulés par un autre montreur. Ces artistes sont en général spécialistes pour les mouvements de danse et ont subi eux-mêmes un entraînement de danse, comme le Bharatanatyam. A la fin de la pièce, la troupe entière chante le Mangala, hymne pour remercier les puissances divines d'avoir bien voulu participer au spectacle. Une place importante réservée à l'intérieur de chaque pièce aux. personnages comiques, fait intervenir des clowns et des bouffons comme Keti-Gadu, (dont la tête surmontée d'une touffe de poils s'agite en cadence) Killekyata et Bangarakka. Parfois, des figurines érotiques sexuées font des apparitions, au moment des intermèdes. Ces intermèdes très appréciés par le public populaire donnent au cours de la pièce des informations sur la vie quotidienne (la quantité des récoltes, la dernière épidémie de choléra, le nombre de morts de la précédente inondation, l'adresse du centre de Planning Familial, etc...). Une troupe de montreurs de Tholu Bomalata constitue généralement une famille étendue. Les conditions de vie de ces artistes ambulants, se déplaçant au gré des fêtes et des invitations, devenant précaires, le nombre de ces familles d'artistes se restreint aujourd'hui. L'apprentissage se fait de bouche à oreille depuis plusieurs générations. Aucune note n'est écrite. La mémoire de ces montreurs en ce qui concerne la narration, le découpage des figurines, la manipulation, la danse, est gigantesque. Un lot de figurines de cuir constitue un patrimoine appréciable si bien qu'il fait quelquefois partie de la dot de la fiancée. Le chef de la troupe est toujours considéré avec grand respect par les villageois. Pendant la saison des pluies au cours de laquelle aucun spectacle n'a lieu, il tente de se livrer avec sa famille à d'autres occupations pour survivre. Cette période est consacrée généralement à la fabrication de nouvelles figurines. En temps ordinaire, tous les spectacles de Tholu Bomalata étant gratuits, les artistes dépendent des petites contributions en argent ou en nourriture données par les villageois. Le cinéma et la télévision ont causé un tort considérable à ces formes de spectacles vivants. Cependant, il semble qu'aujourd'hui en Inde, un nouvel intérêt s'éveille pour toutes les formes de marionnettes et de théâtres d'ombres.
Répertoire KEECHAKA VADHA (extrait du Mahabharata: Histoire de Keechaka).
Au cours de leur exil de douze ans, les Pandava tentent de quitter la forêt et de passer une année, incognito, à Viratapuri, capitale du territoire où règne le roi Virata (Viratapuri porte aussi le nom de Matsyapuri connu pour avoir été la ville la plus importante du royaume de Matsya).
Ils réussissent à se faire engager comme serviteurs au palais royal.
Dharmaraya, l'aîné des cinq frères Pandava devient le conseiller du roi sous le nom de Kanta Bhatta. Bheema, le second, devient cuisinier sous le nom de Valala, Arjuna, le troisième, après sa transformation en eunuque, prend le nom de Brihannala et devient le maître à danser de la fille du roi, la princesse Uttara. Quant aux jumeaux, Nakula et Sahadeva, l'un d'eux devient écuyer royal et l'autre chef des troupeaux sous les noms de Tankika et de Granthipala. Draupadi, leur épouse commune devient servante de la reine Sudeshna sous le nom de Sairandhri.
Après un certain temps de paix passé dans le palais royal, arrive Keechaka, le frère de la reine, un guerrier fameux, connu dans le pays entier pour ses prouesses. Il voit Draupadi-Sairandhri, tombe amoureux d'elle sur le champ et veut en faire sa concubine. Draupadi excédée refuse les avances grossières de Keechaka et s'enfuit de sa vue. Celui-ci arrive à convaincre sa soeur, la reine de lui envoyer Draupadi pour le servir à minuit. Draupadi se rend dans les cuisines et parle en secret à Bheema, un de ses époux, celui qui a le plus de force. Elle lui révèle son rendez-vous nocturne et lui demande de l'aide. Sur les conseils de Bheema-Valala, Draupadi-Sairandhri indique à Keechaka, la salle de danse comme lieu de rencontre nocturne. Lorsque Keechaka arrive paré et parfumé et commence à enlacer et à caresser Bheema caché derrière un rideau et qu'il prend pour sa bien-aimée, Bheema le laisse faire un moment, puis le saisit à la gorge et l'étrangle. La morale de cette histoire, s'il en est une dans le Mahabharata, est que la passion incontrôlée détruit un homme, même au comble de la puissance.
Les artistes:
V.N. CANAPAYYA (Chef de groupe et coordinateur artistique),
RAMA RAO (Chef montreur),
SARJEEVA RAO (Montreur et chanteur),
SADASHIVA RAO (Montreur),
MANJUNATHA (Montreur),
MUNISAMY (Musicien: Mridangam),
HANUMANTHAPPA (Musicien: Mukhaveena),
SHANTHAMMA (Musicienne: Shruti).