Ker-Xavier Roussel. Jardin privé, jardin rêvé

Depuis ses débuts nabis dans les années 1890, et jusqu'à la fin de sa carrière en 1944, Ker-Xavier Roussel a excellé dans la réalisation de grandes compositions décoratives, destinées à des collectionneurs privés ou répondant à des commandes publiques. En parallèle de la rétrospective que lui consacre le musée des impressionnismes Giverny du 27 juillet au 11 novembre 2019, découvrez ici certaines de ces œuvres.  

Réunion des dames (1893), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Cette peinture est un des premiers témoignages de l’intérêt de Roussel pour la question du décor. Le peintre concourt au projet de la mairie de Bagnolet qui souhaite décorer les murs de la salle des fêtes. Qu’il n’ait pas été retenu par le jury finalement n’empêche pas le critique avant-gardiste Arsène Alexandre de saluer sa proposition comme « d’une grande noblesse et d’une grande simplicité, en même temps que d’une rare harmonie ».

La schématisation des corps est une des spécificités nabies, accentuée ici par la robe de laine à motifs noirs disposés de façon régulière sur la surface du tissu, sans égard pour le modelé. Par ailleurs, la jeune femme est très probablement la sœur d’Édouard Vuillard, Marie, que Roussel épouse au même moment que la conception de ce panneau. Elle apparaît de tableau en tableau à cette époque, et jusqu’au début du XXe siècle.

Roussel a banni le détail réaliste; il a gommé la banalité des scènes de square pour organiser une grande composition atemporelle. Il contourne la réalité, comme quand il peint ces balustres réduits à des signes verticaux qui scandent une bande horizontale dans le tiers supérieur de l’œuvre. Des taches rousses forment le feuillage d’automne et se détachent d’un bleu monochrome. Frondaisons et ciel forment à eux deux un motif stylisé, rythmé de bleu et d’or ocre, qui court sur tout le panneau pour en assurer l’unité.

Faune dansant au tambourin (1900/1904), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Cette œuvre est certainement une des meilleures illustrations de l’attirance de Roussel pour le paysage méditerranéen, et surtout ce qu’il symbolise de pureté retrouvée. L’inspiration est clairement nietzschéenne et exprime également un idéal d’harmonie arcadienne qui appartient aux idées anarchistes du peintre.

La nudité « à l’antique » et la danse ancestrale accompagnée du tambourin – instrument archaïque qui évoque la sèche musique de la Grèce antique – rappellent au regardeur que seul ce retour à la simplicité originelle peut garantir la paix et l’égalité pour l’humanité.

Cette figure de femme alanguie écoutant le chant de son compagnon est typique de l’art de Roussel. Elle est traitée de la même façon que les alentours et le fond, par grosses touches qui pixellisent les contours de son corps et la texture de sa chair. On pourrait même penser à un canevas, et le jeu des segments de couleurs rappellent, vu de très près, les imbrications des chaînes et des trames d’une tapisserie.

Eurydice mordue par un serpent (1913), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Tout l’art de Roussel tient dans ce tableau. La mythologie – le mythe d’Orphée et Eurydice –, le jardin du peintre clairement reconnaissable qui sert de décor au sujet, et l’introduction de la danse, du mouvement chorégraphié des protagonistes de la scène.

Le jardin de l’Étang-la-Ville (Yvelines) a souvent servi de cadre aux scènes bucoliques imaginées par l’artiste; soigneusement aménagé, entretenu et constamment soumis aux terrassement, percements, plantations, il évolue dans son ensemble pour former le décor d’une grécité idéale.

Eurydice est surprise par un serpent qui lui mord la cheville. Elle esquisse un mouvement d’une douleur très dansée, similaire au répertoire des figures inventé par Isadora Duncan qui révolutionne alors l’art de la danse dans les années 1910.

Les poiriers en fleur sont une des figures préférées de Roussel pour évoquer le printemps. L’efflorescence joyeuse de la nature, le vitalisme floral renvoie à la philosophie de Friedrich Nietzsche. L’arbre en fleur est un thème que l’on rencontre au fil des œuvres de Roussel, comme fond d’une composition ou comme sujet principal du tableau.

Le Cortège de Bacchus (1912), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Roussel se voit confier, avec Maurice Denis, Édouard Vuillard et Aristide Maillol, la décoration du tout nouveau théâtre des Champs-Élysées en 1912. Le peintre choisit, pour ce rideau de scène imposant, d’illustrer les arts du théâtre par son allégorie, Bacchus, personnification de la tragédie et de la comédie. Le peintre conçoit alors un vaste panorama méditerranéen dont Bacchus, drapé de rouge, occupe la place centrale, entouré de sa troupe de bacchantes et accompagné par des fauves, dans la droite ligne de la tradition picturale en vigueur depuis la Renaissance italienne et le classicisme français du XVIIe siècle.

Ces bacchantes sont en fait prises d’ivresse. Le vin est en effet un des attribut de Dionysos, qui, outre le théâtre, règne aussi sur la vigne.

L’ensemble de la toile est très relevé en couleurs chaudes, et notamment en orange. Roussel avait conçu sa gamme chromatique et ses valeurs en atelier, mais, en installant et en utilisant les éclairages du théâtre, il réalise que son œuvre est très en deçà de ce qu’il avait escompté. Au dernier moment, il reprend ses pinceaux et ses pots de couleurs pour tout « remonter ».

Dans ce paysage allégorique, celui du mythe éternel de la bacchanale, Roussel introduit des éléments de son siècle, comme ces environs de Saint-Tropez où il séjourne régulièrement depuis l’hiver 1898-1899, chez Signac ou à proximité de chez lui. Le peintre aime faire coulisser le temps contemporain dans le temps mythique ; l’amalgame des deux univers est là pour nous rappeler l’actualité des mythes antiques.

Le Pêcher en fleur ou Printemps. Étude pour la décoration du Kunstmuseum Winterthur (1916), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Pendant la Première Guerre mondiale, Roussel, traité en Suisse pour une grave dépression, reçoit une nouvelle commande publique : il s'agit de deux panneaux destinés à orner les escaliers du tout nouveau Kunstmuseum de Winterthur.

Il multiplie les esquisses consacrées à ces compositions monumentales. Ici, dans l'une des premières études pour le panneau représentant le Printemps, l'artiste reste fidèle à l'atmosphère dionysiaque déjà évoquée dans le rideau de scène du Théâtre des Champs-Elysées.

La nature exubérante, matérialisée ici par un pêcher en fleur flamboyant, est également une constante chez Roussel.

La Cueillette des pommes ou Automne. Étude pour la décoration du Kunstmuseum Winterthur (1917), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Le deuxième panneau représente l'automne. Le thème des saisons est récurrent chez Roussel, et symbolise, depuis ses débuts et jusqu'à la fin de sa carrière, le passage du temps.

Au loin les montagnes bleues nous rappellent que l'artiste a sous les yeux le paysage du lac Léman, en Suisse, et non plus les rivages méditerranéens ou la campagne francilienne.

La Fontaine de Jouvence (1924), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

Comme les saisons, la fontaine de Jouvence est un des thèmes que l’on rencontre régulièrement dans l’œuvre de Roussel.

Allégorie de l’éternelle jeunesse, Roussel y retrouve le principe de jeunesse et de vitalité qui constituent le fond de sa grande narration mythologique.

Ce panneau a été conçu pour décorer la salle à manger de Marcel Monteux, un riche industriel parisien. On reconnaît ici le jardin de l’artiste à L’Étang-la-Ville.

L'Enfance de Jupiter (1923/1924), Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

C’est l’autre panneau de la décoration pour la salle à manger de Marcel Monteux. Elle évoque l’enfance de Jupiter. Un troisième panneau, non localisé aujourd’hui, montre la déesse de la chasse, Diane, se reposant étendue contre un arbre.

On notera la couleur intense du ciel, uniformément bleu, qui sert d’unité d’un panneau à l’autre...

...et le décor de nature qui décrit le même jardin que "La Fontaine de Jouvence".

La Danse. Esquisse pour la décoration du palais de Chaillot par Ker-Xavier RousselMusée des impressionnismes Giverny

En 1936, l’État commande à Roussel, ainsi qu’à Vuillard et Bonnard, les décors pour le théâtre de Chaillot, nouvellement édifié sur la colline du Trocadéro. Roussel adapte son sujet au lieu qui lui est destiné ; dans la tradition de la peinture allégorique française, l’artiste propose une grande figuration de la danse, dont voici ici le projet le plus abouti.

Prenant pour décor un coin de son jardin, il travaille à nouveau un de ses sujets favoris, la danse, qui affleure partout tout au long de son œuvre.

La guirlande de fleurs rouges, parfaitement décorative et invraisemblable, évoque l’aspect dionysiaque de la scène et la vitalité à l’œuvre dans le principe de toutes choses.

Sa fille Annette s’est prêtée à poser pour la personnification de la danse. Il lui est souvent arrivé de se prêter au jeu du modèle, apparaissant parfois en fontaine de jouvence, parfois en Aphrodite sortant de l’onde.

Crédits : histoire

Cette exposition virtuelle est à découvrir en parallèle de la rétrospective "Ker-Xavier Roussel. Jardin privé, jardin rêvé", présentée par le musée des impressionnismes Giverny du 27 juillet au 11 novembre 2019.

Crédits : tous les supports
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