By Monnaie de Paris
Kiki Smith
Évadez-vous dans
l'univers syncrétique Kiki Smith
La Monnaie de Paris présente la première exposition d'envergure de l'œuvre de Kiki Smith en France, proposant un panorama complet de la pratique de l'artiste. Active depuis le milieu des années 1970, l’artiste américaine (née en 1954) redonne une place centrale aux arts décoratifs, a recours à des techniques variées, utilise des matériaux très divers et joue constamment des échelles. Mêlant le microscopique au cosmologique, le viscéral au végétal, ou encore la femme à la nature et aux animaux, elle donne à voir un univers poétique et syncrétique. Des œuvres des années 1980 jusqu'à celles réalisées spécialement pour l'exposition, toutes les périodes de création sont rassemblées. Le parcours a été pensé par Kiki Smith comme une alternance de "chaud" et de "froid", de "simple" et de "sophistiqué", avec la volonté de ne privilégier ni le chronologique ni le thématique, mais plutôt de générer des dialogues et entrecroisements.
Nous sommes accueillis dans l'exposition par ce pendentif monumental suspendu au-dessus de l'Escalier d'Honneur de la Monnaie de Paris. La préciosité de cette œuvre, l’agrandissement d’une broche de Kiki Smith, témoigne de l’intérêt de l’artiste pour les arts décoratifs, l'artisanat et l'ornement. Kiki Smith mêle art et art décoratif et dépasse ainsi les séparations traditionnellement établies entre les disciplines.
Le corps humain et son rapport à l’environnement naturel
Dans ce salon de représentation datant du XVIIIème siècle, nous sommes face à des œuvres de différentes époques et échelles, réalisées dans une large variété de matériaux. Les vitrines utilisées aux XVIIIe et XIXe siècles pour présenter des spécimens de minéralogie sont réutilisées pour exposer des œuvres de petites dimensions de Kiki Smith. Celles-ci illustrent des grands thèmes et techniques de prédilection de Kiki Smith : des sculptures d'organes internes en verre soufflé ou cristal datant des années 1990 à des corps célestes en métaux précieux réalisés très récemment, en passant par des petites porcelaines unissant femmes et animaux, emblématiques de sa création dans les années 2000.
Kiki Smith, Sleeping, Wandering, Slumber, Looking About, Rest Upon (2009/2019) by Kiki SmithMonnaie de Paris
À l’origine, cet ensemble sculptural en bronze a été imaginé pour être déployé au sein d’un vaste espace vert. Dans une atmosphère bucolique, femmes et animaux cohabitent de manière harmonieuse. Un sentiment de quiétude se dégage de cette imagerie pastorale, où les moutons semblent veiller leurs bergères assoupies. Caractéristique du tournant amorcé par Kiki Smith dans son travail à compter des années 2000, lorsque le corps féminin, la nature et le monde animal s’enchevêtrent, la scène semble échappée des contes et des légendes populaires que l’artiste apprécie tant.
Cette vitrine présente des petites porcelaines associant femmes et animaux inspirées des biscuits réalisés au XVIIIe siècle à la Manufacture de Sèvres. Ces œuvres permettent également de découvrir le bestiaire de prédilection de Kiki Smith dès le début de l'exposition. Vous verrez que nous retrouverons notamment le loup à de nombreuses reprises dans les salles suivantes...
Représenter l'enveloppe et l'intériorité du corps humain
Spirituel et corporel, masculin et féminin, les opposés s'entendent dans l'œuvre de Kiki Smith. Dans les années 1980-1990, affirmant se sentir "fragmentée", elle s'intéresse au corps humain et s'attache à le figurer dans toute sa physicalité. Elle cherche à représenter la réalité physiologique du corps humain, exhibe son intériorité, signifie la fragilité de la peau, et expose ainsi sa profonde vulnérabilité. Kiki Smith traite de la dualité entre intériorité et extériorité du corps humain, les opposés dialoguent et se mêlent dans son art.
Untitled (Skins) est une des premières œuvres pour laquelle Kiki Smith a utilisé le moulage sur le vif. Elle a mis à plat la surface totale d'une peau humaine, et donc rationalisé la limite poreuse du corps. Approchez-vous et tentez de discerner les morceaux de corps identifiables !
Kiki Smith, Untitled (1995) by Kiki SmithMonnaie de Paris
Marquée par l’affaissement prononcé du corps d’un Christ en croix accroché chez une connaissance, Kiki Smith réinvente cette iconographie dans une œuvre visuellement renversante. En assemblant le moulage de la partie supérieure de son propre corps à celui du bas du corps d’un voisin, elle donne forme à une crucifixion d’un nouveau genre. Dans son œuvre, la représentation du corps humain est indissociable de sa réflexion sur la place centrale que celui-ci occupe dans la religion catholique. Le recours au papier-mâché lui permet de restituer l’aspect sensible de la peau, tout en offrant une approche métaphorique de cet organe : il s’agit d’une frontière éminemment fragile, froissable et périssable.
L'aspect viscéral du corps humain
Parallèlement à la représentation d'organes internes et de l'enveloppe corporelle, Kiki Smith s'intéresse aux fluides s'échappant du corps humain (sang, urine, sperme...) Elle s'attache à les signifier dans une série de sculptures des années 1990. Celles-ci témoignent de son désir d'exhiber l'intériorité et le fonctionnement du corps humain, dans toute sa réalité physiologique.
Cette œuvre est inspirée de l’image d’une gargouille, dont le corps plié en deux est positionné à la verticale et non plus placé horizontalement sur la paroi d'une cathédrale. Le corps nu est à la fois replié sur lui-même et exhibé. L'œuvre acquiert une ambivalence avec le réseau de délicates perles de verre, dont la préciosité contraste avec le sujet, à la fois intrigant et grotesque.
Figures féminines
Dans l'œuvre de Kiki Smith, la femme est la représentante du genre humain. Dans son univers artistique, de grandes figures bibliques côtoient des héroïnes de contes et légendes, ou encore le personnage ambigu de la sorcière. Elle s'empare de ces figures féminines pour en réinventer les représentations traditionnelles.
Kiki Smith, Pyre Woman Kneeling by Kiki Smith and 2002Monnaie de Paris
Cette sculpture a été imaginée par Kiki Smith en réponse à l’appel diffusé par une ville allemande pour une commande dans l’espace public. À cette époque, l’artiste est frappée par la complète absence de monument à la mémoire des milliers de femmes assassinées en Europe, au fil des siècles, dans le cadre de procès en sorcellerie. Bien que son projet n’ait pas été retenu, Kiki Smith a réalisé trois versions de cette œuvre en leur hommage. Elle établit un parallèle entre la posture de la femme nue, agenouillée les bras ouverts dans l’attitude d’une orante, les yeux tournés vers le ciel, avec celle de Jésus en croix prononçant parmi ses dernières paroles : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Représentation du paysage cosmique
Cette salle présente les œuvres les plus récentes de Kiki Smith, emblématiques de l'extension de son champ d’exploration au thème du cosmos. En effet, la figure humaine laisse progressivement place à la nature et aux animaux dans son œuvre, avant de presque disparaître au profit de la représentation d'éléments célestes (astres, planètes, comètes...). L’être vivant n’est alors plus qu’une composante d’un vaste tout.
La série Red Light se compose de photographies représentant le phénomène de la "parhélie", ou "double soleil", un effet d'optique atmosphérique qui montre deux images du soleil dans le ciel. Ces œuvres témoignent d'un intérêt pour le cosmos et d'une vision holistique, tout en révélant l'intérêt de Kiki Smith pour la sérialité, à laquelle elle confère une dimension spirituelle.
Les tapisseries
Entre 2012 et 2017, Kiki Smith réalise un cycle de douze tapisseries sur l'invitation de Magnolia Editions. C'est en 1976, lors d'un voyage à Angers, que l'artiste a découvert la Tapisserie de l’Apocalypse (1377-1382) et Le Chant du Monde (1968), tapisserie de Jean Lurçat conçue en résonance avec le chef-d’œuvre médiéval. Elle a été profondément marquée par ces deux ensembles monumentaux, et s'en inspire plus de 30 ans plus tard pour ce cycle de tapisseries. Comme à son habitude, Kiki Smith revisite la technique traditionnelle, à travers un processus en plusieurs étapes. Elle réalise les cartons, sous forme de grands collages mêlant notamment dessins et photographies. Ceux-ci sont ensuite photographiés et retouchés numériquement avant d’être envoyés dans une manufacture qui les tisse sur métier Jacquard.
L'intention première de Kiki Smith était de "réaliser des tapisseries en mélangeant à la fois le Moyen-Âge, les folles années 1920 et l'art hippie afin de créer des images spectaculaires." Après avoir réalisé des tapisseries représentant la terre, le ciel ou les enfers, elle s'inspire pour les suivantes de sa vie à la campagne, figurant des animaux emblématiques de son bestiaire.
Une vision holistique
L’œuvre de Kiki Smith s’apparente à une quête romantique de l’harmonie entre les espèces, comme de leur union avec l’environnement naturel et le cosmos. Nourrie par les écrits de Saint-Thomas d’Aquin, l’artiste attire notre attention sur certains des dualismes qui imprègnent notre culture, tels que l’opposition rationaliste entre l’âme et le corps. Kiki Smith mêle spiritualité et poésie dans son appréhension de la figure humaine. Elle s'attache à affirmer la dimension terrestre et physique de figures spirituelles tout en s'intéressant au lien qu'entretient l'être humain à son environnement naturel et cosmique, en interrogeant sa place dans le monde.
Kiki Smith revisite une posture classique de l’iconographie de la Vierge Marie – les paumes de mains ouvertes à hauteur des hanches, la tête légèrement baissée. L’œuvre témoigne également de l’intérêt de l’artiste pour les liens invisibles unissant l’être humain à l’environnement naturel. Les astres ont été fondus à partir de moulages d’étoiles de mer.
Pour cette sculpture en cire, Kiki Smith s'inspire de la tradition des écorchés et des cires anatomiques utilisées aux XVIIIe et XIXe siècles pour l’enseignement de la médecine. L'artiste donne chair à une Virgin Mary dont le système musculaire est rehaussé d’une pigmentation rouge. En insistant sur l'aspect physiologique du corps de la Vierge Marie, elle ancre cette figure sacrée dans la réalité terrestre, souligne son humanité et questionne ainsi l'opposition entre le corps et l'âme. En associant à cette œuvre des vers réalisés en polymère, l'artiste donne à voir dans cette salle une sorte de "memento mori" rappelant la fragilité de la vie humaine. Kiki Smith tire une version en bronze de sa Vierge Marie, dont les veines, réseau vital, sont soulignées d’argent, comme le bras morcelé exposé à ses côtés.
Les "manifestations physiques du monde invisible"
L'œuvre de Kiki Smith est empreint d'une importante dimension spirituelle. Elle mêle diverses références, du catholicisme au bouddhisme, et notamment Guanyin, Bodhisattva de la compassion. Elle réinvestit des iconographies religieuses, notamment de grandes figures féminines. À propos de son intérêt pour la religion catholique, elle affirme que "si art et catholicisme s'accordent si bien, c'est parce que l'un et l'autre renvoient à la possibilité d'une manifestation physique du monde invisible."
Kiki Smith, Annunciation (2010) by Kiki SmithMonnaie de Paris
Kiki Smith décrit cette œuvre comme « une représentation androgyne de la Vierge Marie au moment de l’Annonciation », en référence à l’annonce faite à Marie, par l’Ange Gabriel, qu’elle enfantera le fils de Dieu. Elle l’a imaginée à la suite d’une rencontre fortuite avec une artiste portant un costume d’homme et les cheveux courts, dont l’allure lui a immédiatement évoqué l’Autoportrait aux cheveux coupés (1940) de Frida Kahlo (1907-1954). La figure peut également être perçue comme une incarnation de l’artiste face à l’inspiration créatrice, énergie invisible qu’elle cherche à recevoir de sa main levée.
Découvrez dans cette salle une nouvelle technique utilisée par Kiki Smith : le dessin sur papier népalais ! Les deux grands dessins présentés ici font partie d’un cycle consacré à sainte Geneviève, patronne de Paris, dans lequel elle apparaît nue et en compagnie d’un ou de plusieurs loup(s), animal qu'elle aurait le pouvoir de domestiquer. Selon la légende, sainte Geneviève aurait convaincu les Parisiens de ne pas fuir et de résister quand Attila menaçait d’envahir la ville. La présentation de ce cycle dans nos murs se dote d'une intéressante résonance. En effet, durant la Révolution française, la châsse contenant les reliques de la sainte a été ouverte et dépouillée de ses pierreries dans les ateliers de la Monnaie de Paris, avant d’être fondue.
Mêlant toujours son art à sa vie, Kiki Smith raconte avec humour qu'elle a pris comme modèle une de ses amies qui s'appelle Geneviève pour représenter la sainte patronne !
La sculpture présentant une femme majestueuse sortant d'un loup appartient au même cycle que les dessins. La richesse sémantique de son œuvre apparaît ici clairement dans l'hybridation des références. En effet, l’épisode de la libération du Petit Chaperon rouge par un chasseur fusionne avec l’histoire de sainte Geneviève. L'artiste s'inspire également de l’iconographie de Vénus sortant de l’eau sur une conque, ou de celle de la Vierge Marie foulant la lune à ses pieds.
Des motifs récurrents
Après avoir traversé les salons historiques avec vue sur la Seine de la Monnaie de Paris, empruntez les escaliers tapissés d'un papier peint créé spécialement pour l'occasion avec un motif réalisé par Kiki Smith et poursuivez votre visite au rez-de-chaussée.
La surface de cette œuvre est couverte de dessins aux traits fins, formant une cartographie imaginaire, à la fois maritime, terrestre et céleste. Girl with globe est réalisée en papier-mâché, matériau que Kiki Smith explore dans les années 1990. Si elle rattache le papier aux petits ballons japonais avec lesquels elle jouait durant son enfance, ce matériau signifie également la fragilité de la peau humaine. Soyez attentifs la prochaine fois que vous allez dans une librairie, vous pourrez retrouver cette œuvre, installée dans la prison sainte Anne d'Avignon, sur la couverture de l'édition poche du fameux livre "En finir avec Eddy Bellegueule", écrit par Edouard Louis !
Dans cette salle, nous retrouvons les grands dessins sur papier népalais, avec toujours des protagonistes féminines. L'œuvre Assembly III représente une assemblée de femmes issues de l'entourage proche de Kiki Smith, et traite ainsi des notions de transmission et de génération. C'est au tournant des années 2000, avec la mort de sa mère, que l'artiste s'intéresse à ces questionnements. Cette œuvre apparaît également comme une illustration de la notion de sororité, profondément féministe.
Cette œuvre poétique permet de rappeler le goût de Kiki Smith pour le métal, et notamment son intérêt, dans ses œuvres les plus récentes, pour le travail autour de la bidimensionnalité. Elle s'attache à insuffler de la vie à un matériau froid et inanimé. L'artiste représente ici une forme d'énergie fluide liant l'être humain avec l'espace environnant.
Blue Prints
Kiki Smith a réalisé en 1999 une série de quinze gravures représentant diverses figures féminines qui lui sont chères : la Vierge Marie, une femme-loup, le Petit Chaperon rouge, ou encore Dorothée du Magicien d'Oz. Pour cette série, l'artiste a mêlé les références. Elle s'est inspirée à la fois d'éditions illustrées de contes et légendes pour enfants datant des XVIIIe et XIXe siècles et de portraits photographiques de jeunes filles de l'époque victorienne. L'unité chromatique de cette série est obtenue par le recours à l'aquatinte, et confère ainsi une douce harmonie à l'ensemble.
L'exposition dans les salons historiques de la Monnaie de Paris s'achève avec ce pendentif précieux, témoignant de l'intérêt de Kiki Smith pour la déclinaison de motifs à différentes échelles. Nous avons déjà vu cette "nébuleuse spirale" dans une des vitrines du Salon Guillaume Dupré, de beaucoup plus petite taille... Rappelez-vous également que le motif de l'œuvre qui vous a accueilli dans l'Escalier d'Honneur provenait d'une broche, agrandie et transformée en pendentif monumental !
Dans les cours intérieures
Retrouvez deux sculptures de figures féminines appartenant au panthéon personnel de Kiki Smith dans les cours de la Monnaie de Paris.
Cette sculpture a été réalisée en bronze, puis recouverte de peinture de carrosserie ! Kiki Smith s'inspire ici d'un célèbre épisode d'Alice au pays des merveilles, lorsqu'Alice se contemple dans une flaque créée par ses propres larmes. Tout comme l'héroïne du roman, cette sculpture a subi de nombreuses variations de taille.
Voilà la dernière grande figure féminine de l'exposition dont les canons sont revisités par Kiki Smith ! Ici, la pécheresse Marie-Madeleine est représentée nue, dans toute son humilité, mais apparaît également proche de l'animal...
Dans le musée
L'exposition se conclut au sein du musée, avec une présentation d’œuvres de Kiki Smith, en résonance avec les collections patrimoniales, au sein desquelles l’artiste a fait une sélection, qui constitue un «parcours».
Lors des préparatifs de l’exposition, Kiki Smith a manifesté un vif intérêt pour les collections patrimoniales de la Monnaie de Paris, étant elle-même collectionneuse de monnaies traditionnelles.
Tout au long du parcours du musée, des pastilles vous signalent les monnaies traditionnelles, médailles et outils qui ont particulièrement retenu l’attention de l’artiste.
Dans la nef, quatre œuvres de Kiki Smith, révélatrices de son intérêt pour les médailles et les monnaies, sont exposées aux côtés des créations inédites qu’elle a réalisées en collaboration avec les ateliers de la Monnaie de Paris.
Une présentation exceptionnelle de pièces historiques, sélectionnées par l’artiste en dialogue avec l’équipe scientifique, complète cet ensemble.
Commissaires :
Camille Morineau et Lucia Pesapane. Avec la collaboration de Marie Chênel.
Remerciements à Lucia Pesapane, responsable de la programmation artistique de la Monnaie de Paris qui a commenté par sa voix l'exposition et à Anne-Charlotte Michaut pour ses commentaires explicatifs sur les œuvres présentées dans l'application.
You are all set!
Your first Culture Weekly will arrive this week.