Souvenons-nous des femmes scientifiques oubliées de l'histoire

Conception : Google Arts & Culture

Texte de Zing Tsjeng

Mrs. Katherine G. Johnson at Work NASA Langley (1980-01-03), NASA , Bob NyeNASA

La curiosité humaine n'a pas de limite. Elle a conduit Cecilia Payne-Gaposchkin à observer le ciel étoilé pour en déduire la composition des astres. Elle a poussé Inge Lehmann à explorer les profondeurs de la croûte terrestre pour découvrir le noyau interne. Elle mené Ynés Mexía à la découverte de nouvelles espèces de plantes le long du fleuve Amazone. La curiosité amène les grands scientifiques et inventeurs à leurs découvertes, à la manière d'un ouvreur de cinéma qui indique leur place aux spectateurs. Elle n'a ni genre ni ethnie. Pourtant, l'histoire des sciences est étrangement unilatérale. Vous connaissez certainement Albert Einstein et Isaac Newton. Je suis prête à parier que vous n'avez pourtant jamais entendu parler des trois femmes scientifiques que je viens de citer.

Mikania antioquiensis var. subcuneata B.L.Rob.The Natural History Museum

Le mot "canon" est particulièrement intéressant. Il désigne un catalogue des auteurs et scientifiques les plus importants que vous devez connaître. Albert Einstein et Isaac Newton font partie du canon scientifique, mais ce n'est pas le cas de Cecilia Payne-Gaposchkin, d'Inge Lehmann ni d'Ynés Mexía. Cela signifie que ces trois femmes sont considérées comme étant en quelque sorte étrangères à la question scientifique, et que leurs découvertes sont donc moins pertinentes, moins importantes et moins significatives.

Vous pouvez ne pas être d'accord, mais d'aucun ne peut nier que leurs découvertes étaient tout sauf superflues. Les trois scientifiques ont permis de mieux comprendre les mécanismes du monde qui nous entoure. Dans certains cas, leurs découvertes ont même permis de comprendre comment le manipuler, comment le plier à notre volonté de la plus sublime des manières.

Lise Meitner at the Lindau MeetingLindau Nobel Laureate Meetings

Dans ma série de livres "Forgotten Women", consacrée aux femmes oubliées des canons, Cecilia Payne-Gaposchkin, Inge Lehmann et Ynés Mexía ne sont que 3 des 48 femmes dont je relate l'histoire dans "Forgotten Women: The Scientists". J'en ai choisi 48, car au moment de la rédaction, seules 48 femmes avaient gagné le prix Nobel depuis sa création en 1941. Non pas que dans toute l'histoire, seules 48 femmes auraient mérité de remporter ce prix, bien au contraire. Parmi celles dont je parle dans le livre, trois femmes ont, à mes yeux, été privées de leur dû. Leur histoire en dit long sur les raisons pour lesquelles les femmes scientifiques ont été reléguées au second plan par le passé.

Morningside Heights, Nyc - 1952 (1952), Gjon MiliLIFE Photo Collection

La physicienne juive autrichienne Lise Meitner a survécu à la Première Guerre mondiale et à l'Allemagne nazie, tout en menant des recherches qui ont donné lieu à la découverte de la fission nucléaire. Elle a finalement vu son collègue, Otto Hahn, s'en attribuer toute la gloire. La physicienne chinoise Chien-Shiung Wu a contribué à la confirmation de la théorie du processus radioactif de la désintégration bêta. Elle a pourtant été écartée du prix Nobel remporté par ses collègues en 1957. Rosalind Franklin, cristallographe anglaise, a pris le cliché qui a permis à James Watson et Francis Crick de découvrir la double hélice de l'ADN, découverte récompensée par un prix Nobel. James Watson a toujours soutenu que ce prix aurait également dû être attribué à Rosalind Franklin. Malheureusement, le comité Nobel ne décerne pas de titres posthumes, et la cristallographe était décédée quatre ans plus tôt.

20-Chien-Shiung-WuNational Women's Hall of Fame

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles des femmes comme Lise Meitner, Chien-Shiung Wu et Rosalind Franklin n'ont pas été récompensées comme elles auraient dû l'être. Il n'était pas rare que le mérite des femmes soit attribué à leurs collègues ou supérieurs masculins. Il a parfois fallu attendre leur mort (comme dans le cas de Rosalind Franklin), pour que leurs contributions au monde scientifique soient vraiment reconnues. Dans d'autres cas, elles ont été réduites à un rôle d'assistante plutôt que d'être considérées comme des scientifiques en tant que telles. Les Harvard Computers (un groupe de femmes du XIXe siècle qui ont cartographié les étoiles avec une très grande précision à l'observatoire de l'université de Harvard) étaient considérées comme rien d'autre que des calculatrices surestimées. Elles étaient aussi connues sous le nom de "Harem de Pickering", du nom du directeur qui les avait engagées.

Dr. Jane Wright (1980), Ernest T. CrichlowDuSable Museum of African American History

Dans d'autres cas, les projets de femmes ont été entravés par les normes de l'époque qui régissaient la société et les relations entre les sexes. Il n'y a pas si longtemps, on attendait de certaines femmes qu'elles se retirent une fois mariées. La brillante physicienne australienne, Ruby Payne-Scott, a été forcée de quitter son poste, car la législation de l'époque interdisait aux femmes mariées d'exercer une fonction dans le service public.

À moins que vous ne vous intéressiez aux sciences ou à l'histoire des femmes, il est peu probable que vous connaissiez la tragique fin de carrière de Ruby Payne-Scott ou les rêves de prix Nobel inassouvis de Chien-Shiung Wu. Pourtant, vous devriez. L'histoire des sciences ne se résume pas qu'à un groupe d'hommes accomplis. En effet, elle a toujours impliqué des femmes. Parfois, elles devaient endosser le rôle d'assistante ou de calculatrice pour obtenir l'expérience ou le poste qu'elles visaient. Elles devaient même parfois recourir à la tromperie. Au XVIIIe siècle, par exemple, la mathématicienne Émilie du Châtelet, s'est déguisée en homme afin de pouvoir parler d'équations avec ses homologues masculins. En dépit de l'adversité, elles ont toujours fait partie du paysage scientifique. Comme l'a un jour dit l'afro-américaine Jane Cooke Wright, pionnière dans la recherche contre le cancer : "Une femme doit travailler deux fois plus dur."

Portrait Katherine G. Johnson (1971-03-18), NASA , Bob NyeNASA

L'histoire ne consiste pas seulement à défendre l'égalité des sexes, elle vise également à être juste. Elle doit être précise. De nombreuses choses en lien avec la science font partie de l'histoire. Comment réagiriez-vous si un scientifique était dépossédé de la moitié de sa méthodologie ? C'est ce que les livres d'histoire tentent à présent de corriger.

Dorothy Vaughan par NASANational Women’s History Museum

Je suis heureuse de voir que les choses changent petit à petit. Le film biographique "Les Figures de l'ombre" retrace le parcours de trois mathématiciennes afro-américaines de la Zone de Calcul Ouest, qui ont travaillé à la NASA durant la course à l'espace. Son succès démontre que le public est friand d'histoires scientifiques exhaustives et représentatives. Ce film a généré quelque 235,9 millions de dollars de recettes à l'échelle mondiale, ce qui est énorme pour une production à petit budget. Simplement en apprendre davantage sur ces femmes, telles que celles de la Zone de Calcul Ouest, ne suffit pas. Elles doivent entrer dans le canon scientifique. Nous n'atteindrons notre objectif que lorsque des femmes comme Katherine Johnson ou Mary Jackson, toutes deux calculatrices à Langley, seront connues de tous.

Mary Jackson par NASANational Women’s History Museum

Le plus grand signe de changement ? Au moment où j'ai commencé à rédiger "Forgotten Women", seules 48 femmes avaient remporté un prix Nobel. En un an, ce nombre est passé à 51. Deux de ces prix ont été attribués à des femmes scientifiques. Frances H. Arnold a remporté le prix Nobel de chimie, et Donna Strickland celui de physique. Lorsque cette dernière a été informée de sa victoire, elle a déclaré : "Nous devons célébrer les femmes physiciennes, parce que nous sommes là, et espérons qu'avec le temps, les choses s'accéléreront. Je suis honorée d'être l'une de ces femmes."

Frances Arnold PortraitNational Inventors Hall of Fame Museum

Crédits : tous les supports
Il peut arriver que l'histoire présentée ait été créée par un tiers indépendant et qu'elle ne reflète pas toujours la ligne directrice des institutions, répertoriées ci-dessous, qui ont fourni le contenu.
Voir plus
Thème associé
Once Upon a Try
Un voyage au cœur des inventions et découvertes
Afficher le thème
Accueil
Découvrir
Jouer
À proximité
Favoris