Plongée dans l'univers insolite et foisonnant de Jean Rameau. Cet écrivain landais a connu la gloire littéraire au tournant du XXe siècle, avant de se retirer dans son domaine du Pourtaou, entièrement façonné à son image.
Jean Rameau : un artiste aux mille facettes
Ce poète et romancier landais est né Laurent Labaigt en 1858. Il s'installe un temps à Bordeaux où il prend le nom de Jean Rameau puis à Paris où il gagne en notoriété. Extrêmement prolifique, il compose plus de 50 romans, 7 recueils de poésie et 2 500 contes, inspirés le plus souvent par son pays natal, qui, jusque vers les années 1920, obtiennent un réel succès. Il perd son fils au cours de la Première Guerre mondiale et se replie dans son domaine du Pourtaou à Cauneilles. Jean Rameau se transforme alors en peintre, sculpteur, concepteur de sa maison, de ses jardins et de sa « gloriette », créateur de mobilier et assembleur d'objets créant ainsi une œuvre unique !
Façade méridionale du Pourtaou (c.1905), Jean RameauFondation du patrimoine
Jean Rameau achète le Pourtaou le 10 août 1899. L'ensemble fait alors plus de 65 hectares et lui est vendu pour la somme de 78 000 francs. Cette acquisition et les travaux qui s'en suivent, constituent le point d'orgue de la réussite parisienne du poète, traduisant dans la pierre son ascension sociale.
Dans la première moitié du XXe siècle, le Pourtaou passe du statut de ferme à celui d'une demeure aux allures de villa italienne.
De nombreux dessins annotés et une quantité importante de notes et de lettres apportent de précieuses informations sur le processus créatif de Jean Rameau qui ne laisse aucun détail au hasard.
Il réalise lui-même les nombreuses sculptures en ciment qui ornent les façades de la maison, comme ici sur la face sud.
Façade orientale du Pourtaou (c.1905), Jean RameauFondation du patrimoine
La façade orientale est la première à être achevée en 1905. Jean Rameau apporte à la façade déjà existante quelques embellissements dont les mascarons sur les platebandes des ouvertures. La modification la plus importante est l'édification d'un pavillon en saillie, en partie sur l'emprise d'une ancienne étable.
Une photo de son fils Jean Rameau et sa mère Julia Ovens le 3 octobre 1905, le jour du départ au service militaire du premier, atteste de cet état.
Trône du perron d'entrée du Pourtaou (c.1920), Jean RameauFondation du patrimoine
Situé sous le porche de la façade occidentale, ce fauteuil est l'illustration parfaite des éléments décoratifs réalisés par Jean Rameau.
Autour de colonnettes en terre cuite, il exécute un fauteuil en ciment orné d'une tête de guerrière nordique, de lyres, de tournesols ou encore de cochons couronnés : le tout forme un ensemble de symboles typiques de l'univers du poète.
Si la figure guerrière semble être un hommage à son fils tombé pendant la Première Guerre mondiale, les cochons couronnés rappellent avec ironie les désillusions du poète après sa perte de notoriété.
Façade occidentale du Pourtaou (c.1905), Jean RameauFondation du patrimoine
La façade ouest est réorganisée bien plus tardivement, en 1928.
Elle est composée de deux pavillons encadrant un corps central. À son organisation classique et italianisante s'ajoute un programme ornemental qui se démarque du reste de la demeure par son éclectisme.
Détail de la façade occidentale du Pourtaou (c.1905), Jean RameauFondation du patrimoine
Aux têtes d'hommes à l'antique des chapiteaux du premier étage, s'ajoute tout un univers animal et végétal, inspiré de Buffon et de Rodolphe Pfnor, situées au dessus des fenêtres du rez-de-chaussée.
Ainsi s'affiche ici un bestiaire peuplé de lions, canards, moutons, loups, oies...
Façade occidentale du Pourtaou (c.1905), Jean RameauFondation du patrimoine
Jean Rameau acquiert également, lors d'une vente aux enchères, ce couple de griffons qu'il fait appliquer sur les pilastres de sa façade occidentale.
Entrée de la librairie du Pourtaou (Premier quart du XXe siècle), Jean RameauFondation du patrimoine
Située au premier étage du Pourtaou, la Librairie est la pièce maîtresse de la demeure de Jean Rameau.
Pour concevoir ce lieu, le poète se passe d'architecte. Dans un décor d'inspiration antique, trônent les portraits peints de Jean Rameau et de son fils, enchâssés dans les trumeaux des portes, ainsi que ceux sculptés de Chateaubriand et Lamartine.
Le fronton triangulaire qui surmonte l'entrée de cette Librairie est orné d'un bas-relief intégralement créé par Jean Rameau.
Une allégorie de la Renommée domine une foule dont les bras tendus portent les attributs de tout ce qui peut chercher la gloire : palette, livres, chapeau de magicien, masque de comédien ou encore pied et ballon de footballeur...
Entrée de la librairie du Pourtaou (Premier quart du XXe siècle), Jean RameauFondation du patrimoine
La figure de la Renommée, associée, en arrière-plan, à des oiseaux de mauvais augure et, sur les côtés, aux sculptures de cochons,rappellent l'amertume du poète suite à son échec parisien, comme en témoigne ce poème écrit en 1937 :
« Oui j'ai souffert. Tous les chagrins, toutes les transes,
Tous les déchirements du monde, je les eus.
Qui donc, sur ce vieux globe aux tragiques errances
Connut plus de navrances ?
Marie, au Golgotha, ne perdit que Jésus.
Moi, j'ai perdu le mien – mon fils – et père et mère,
Et femmes et sœurs ; la Gloire aussi je la perdis
Car j'ai voulu, fouettant la croupe à ma chimère
Aller plus haut qu'Homère
Et je tombe au puits noir des poètes maudits.
J'ai reçu tous les coups, subi tous les supplices,
Trouvé sur mon chemin toutes les trahisons.
Jeune, si j'ai pu mordre au pain blanc des délices,
Vieux, au fond des calices,
Je n'ai bu que des fiels, des larmes, des poisons... »
La porte des Empereurs (Premier quart du XXe siècle), Jean RameauFondation du patrimoine
La porte dite "des Empereurs", est un bon exemple des ambitions et des admirations de Jean Rameau.
Située au premier étage du Pourtaou, elle donne notamment accès à la Librairie.
Cette porte doit son nom aux médaillons représentant des empereurs romains de profil, incrustés dans les pilastres encadrant la porte.
Homère et Victor Hugo dominent cette mise en scène sur un linteau parsemé d'abeilles impériales.
La porte elle-même est ornée d'un médaillon à l'effigie de Napoléon Ier figuré au centre d'une lyre, tandis que les médaillons centraux représentent Caligula et Octave.
La partie basse de la porte est occupée, en toute simplicité, par le monogramme de Jean Rameau.
Roseraie du Pourtaou (Premier quart du XXe siècle), Jean RameauFondation du patrimoine
Jean Rameau ne se contente pas de mettre sa patte dans le décor et l'aménagement de sa maison, il se prend également de passion pour le jardinage.
Dès les années 1910, il crée une roseraie composée des essences les plus rares.
Détail de la tonelle de la roseraie du Pourtaou (Premier quart du XXe siècle), Jean RameauFondation du patrimoine
À l'image de son intérieur, Jean Rameau peuple son jardin de sculptures.
Cette tonnelle en ciment, trônant au centre de la roseraie et dont les chapiteaux sont ornés par des têtes à l'antique, en est l'un des plus beaux exemples.
Poème le jardinier poète (1915), Jean RameauFondation du patrimoine
Ce poème témoigne des inspirations de Jean Rameau au sein de son jardin.
En voici un extrait :
Tout métier, noble ou vil, demande apprentissage,
Celui d'horticulteur est des plus délicats
Un poète un peu fol - autant vaut dire un sage -
En fit l'expérience, un jour. Voici son cas :
Son jardinier étant parti pendant la guerre,
Ce poète gémit : "Seigneur, je ne vois guère
Un tailleur de rosiers dans ce bourg. Quel souci !
L'ennemi est le seul bois qu'on taille cet an-ci,
Devrai-je manier le sécateur moi-même ?...
Je sais tailler la strophe, élaguer le poème.
Faire chanter la rime alerte au bout des mots,
Mais non faire jaillir des fleurs sur des rameaux.
Je suis moins bachelier en pétales qu'en proses.
Oh ! si j'allais avoir d'inavouables roses,
Laide, pâles, avec des maigreurs d'avortons..."
Roseraie du Pourtaou (Premier quart du XXe siècle), Jean RameauFondation du patrimoine
Disparue avec l'écrivain, la roseraie a été recréée par la propriétaire actuelle des lieux : Jacqueline Sarthou.
Cette descendante de la nièce de Jean Rameau a retrouvé les plans du poète et replanté les rosiers anciens selon les souhaits de son ancêtre.
La Gloriette du Pourtaou (1928), Jean RameauFondation du patrimoine
C'est au cœur de ce parc, au sommet du Belvédère ouvrant sur un panorama époustouflant sur les Pyrénées, que Jean Rameau fait ériger cette gloriette au sein de laquelle il demande à être enterré debout afin d'admirer son cher paysage pour l'éternité.
Après avoir établi plusieurs projets, Jean Rameau choisit finalement un belvédère circulaire à trois niveaux, inspiré notamment du Tempietto de Bramante à Rome.
Les trois oculi du rez-de-chaussée abritent, à l'origine, les bustes de Jean Rameau, de sa femme et de son fils.
Au-dessus, la galerie circulaire est scandée de quatorze colonnes, dont les chapiteaux sont ornés de sculptures figurant les Sept Sages et les Sept Folles de la Grèce antique. L'ensemble est dominé par une terrasse et un dôme surmonté d’une lyre aux initiales JR.
Couverture du recueil Beauté (1950), Jean RameauFondation du patrimoine
C'est cette Gloriette qui orne la couverture du recueil Beauté, réunissant Cent et un poèmes de Jean Rameau, publié en 1951.
Ce symbole de la gloire et du repos éternel du poète a subi les outrages du temps. C'est pour lui redonner toute sa grandeur que la Fondation du patrimoine et le Mission Bern ont fait de sa restauration un projet emblématique pour l'année 2019 !
Cauneille : Loto du patrimoine , la Gloriette de Jean Rameau par Jacqueline Sarthou par Jean RameauFondation du patrimoine
Rencontre avec Jacqueline Sarthou propriétaire du Pourtaou qui nous présente le domaine et la Gloriette, bénéficiaire du Loto du patrimoine de la Mission Bern.
Tous nos remerciements à Jacqueline Sarthou, propriétaire du Pourtaou, pour son accueil et ses explications, ainsi qu'à Éric Cron, chef du service Patrimoine et Inventaire de Nouvelle-Aquitaine, pour son aide précieuse.
Pour soutenir la restauration de la Gloriette : cliquez ici
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