Conception : Le Centre d'Art - Haïti
Le Centre d'Art - Haïti
Le conte du Hibou #1 (1988), Jasmin JOSEPH et Jasmin JOSEPHLe Centre d'Art - Haïti
La série du conte Hibou : une commande inachevée
Jasmin Joseph commence à peindre
la série inspirée du conte Hibou en
décembre 1986. L’artiste est alors âgé 62 ans et travaille au Centre d’art
depuis 38 ans. Le conte haïtien Hibou, abordant
les thèmes de la différence et de la confiance en soi, avait été collecté quelques
années plus tôt par la conteuse américaine Diane Wolkstein dans son recueil de
contes The Magic Orange Tree and Other
Haitian Folktales (1978). Cette dernière raconte que la narration du conte par
Rosemarie Masse, à Masson au Sud de Port-au-Prince, était la plus fascinante à
laquelle elle ait eu l’occasion d’assister. Il est possible que cette série
soit le fruit d’une commande de Diane Wolkstein elle-même. Commande qui, pour
des raisons encore inconnues, n’a pas abouti.
L’ensemble des tableaux a été
réalisé en deux temps. Une première série d’épisodes est créée entre décembre
1986 et février 1987 et illustre les moments clés du récit. Ces peintures sont
identifiables par leurs couleurs : des bruns, des beiges et des verts clairs. Une deuxième série de tableaux est réalisée entre août
1988 et janvier 1889. Ces oeuvres peintes deux voire trois ans après les
premiers tableaux ont une coloration nettement plus verte et un cadrage plus
large – les personnages étant légèrement plus petits. Les notes retrouvées dans
les archives du Centre d’art indiquent que l’artiste a reçu des instructions pour
créer des épisodes introductifs à l’histoire et développer d’autres moments clés
comme les scènes de danses. Le commanditaire demande également d’ajouter ou de
modifier certains détails pour être plus fidèle au récit, ce qui ne semble pas
toujours avoir été réalisé par l’artiste.
Le conte du Hibou
Hibou
croyait qu’il était très laid. Un soir cependant, il rencontra une fille avec
laquelle il conversa. Elle tomba amoureuse de lui. « S’il faisait jour, pensa
Hibou, et qu’elle avait vu mon visage, elle ne m’aurait jamais aimé. » Hibou alla
la voir le lendemain soir. Puis le soir d’après. Et encore le suivant.
Chaque
soir, à sept heures, il arrivait chez la jeune fille et ils s'asseyaient pour
dialoguer poliment dehors devant la maison.
Puis un soir, une fois Hibou parti, la mère de la fille lui demanda, « Pourquoi est-ce que ton fiancé ne vient pas te rendre visite durant la journée ? » « Maman, il me l’a déjà expliqué. Il travaille le jour. Il doit ensuite rentrer chez lui pour se changer. Il ne peut arriver ici avant sept heures. » « N’empêche, je voudrais quand même voir son visage avant le mariage, déclara la mère. Invitons-le à notre demeure pour une danse, ce dimanche. »
Hibou fut enchanté par l'invitation. Une danse en son honneur ! Mais il était tout autant effrayé. Il parla de la fille à son cousin, M. Coq, lui demandant de l’accompagner à la fête. Mais ce dimanche après-midi, alors qu’ils se trouvaient sur leurs chevaux faisant route pour la danse, Hibou jeta un regard examinateur vers Coq. Coq se tenait avec une telle assurance, il était si élégamment vêtu à la mode, qu’en imaginant la fille les voyant arriver tous les deux côte-à-côte, Hibou se sentit rempli de honte.
«Je ne peux pas continuer, souffla-t-il. Poursuivez seul et dites-leur que j'ai eu un accident et que je serai là plus tard. »
Alors Coq chemina en solitaire jusqu’à la danse. « Tss tss ! Pauvre Hibou ! », expliqua-t-il. Il a eu un accident et il m'a chargé de vous faire savoir qu'il sera là plus tard. »
Quand il fit assez sombre, Hibou attacha son cheval à une bonne distance de la danse puis il marcha jusqu’à la maison de la fille.
« Pssst », chuchota-t-il à l'oreille d'un jeune homme assis là. « Est-ce que Coq est là ? » « Eh bien, en ce moment, je ne sais pas. » « Allez voir. Dites-lui qu’un ami l’attend au dehors près du mapou. »
Coq sortit en l’appelant. « HIBOU! » « Chuuuuuut » « Hibou! » « Chuuut » « Hibou, qu'est-ce que vous portez sur votre tête, je veux dire votre visage? », demanda Coq. « C’est un chapeau. N’avez-vous jamais vu un chapeau auparavant? Écoutez, allez leur dire n’importe quoi. Dites-leur qu’une branche a égratigné mes yeux alors que je chevauchais vers vous et que l'éclairage – même la lumière d'une lampe – les rend douloureux. Et assurez-vous de guetter le lever du jour et de m’avertir de l’arrivée du premier rayon de soleil en chantant pour que nous puissions partir. » « Oui, oui, répondit Coq. Venez que je vous présente aux parents de la demoiselle. »
Coq présenta Hibou à tout le monde, en expliquant ce qui était arrivé à Hibou. Hibou fit le tour de la salle, serrant la main à tous, son chapeau couvrant presque complètement son visage. Hibou voulut se retirer dans un coin, mais la jeune fille le rejoignit.
« Venez dans la cour et dansons », dit-elle.
Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ! Dong ga da ! Dong ! Eh-ee-oh !
Hibou dansait. Et il dansait bien. La fille était fière de Hibou. Même s'il portait son chapeau étrange et avait les yeux sensibles, il pouvait danser.
Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ! Dong ga da ! Dong ! Eh-ee-oh !
Coq faisait de même. Lorsque Hibou remarqua que Coq dansait au lieu de surveiller le jour, il eut peur que son ami oubliât de l'avertir, et il s'excusa auprès de sa partenaire. Il courut hors de la cour, dépassa les maisons et s’arrêta dans une clairière où il pouvait voir l'horizon. Non, il faisait encore nuit. Hibou retourna danser.
Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ! Dong ga da ! Dong ! Eh-ee-oh !
Hibou fit signe à Coq, mais ce dernier était possédé par la danse. Hibou s'excusa à nouveau auprès de la jeune fille, puis courut à la clairière. Non, il faisait encore nuit. Hibou rebroussa chemin.
Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ! Dong ga da ! Dong ! Eh-ee-oh !
Hibou essaya de s’éclipser une fois de plus, mais la jeune fille le retint. « Oui, restez avec moi », dit-elle. Et ils dansèrent, et dansèrent.
Dong ga da ! Dong ga da ! Dong ga da ! Dong !
Dong ga da ! Dong ! Eh-ee-oh !
Pendant ce temps, le soleil s’éleva petit à petit dans le ciel, jusqu'à ce qu'il remplisse la maison et la cour de sa lumière.
« Maintenant, voyons le visage de ton fiancé!», dit la mère.
« Cocorico! », chanta Coq.
Et avant que Hibou ne puisse se cacher, elle enleva le chapeau de son visage.
« MES YEUX! », cria Hibou. En couvrant son visage avec ses mains, il se précipita vers son cheval.
«Attendez, Hibou! », la jeune fille s’écria.
« Cocorico! », chanta Coq.
«Attendez, Hibou, attendez. » s’écria encore la jeune fille.
Et comme Hibou baissa ses mains pour détacher son cheval, la jeune fille vit son visage. Il était frappant et féroce. La fille se dit que c’était le plus beau visage qu'elle ait jamais vu.
« Hibou !»
Mais Hibou était déjà sur son cheval, sa monture s’éloignant de plus en plus loin.
La jeune fille l’attendit tous les soirs. Hibou ne revint plus jamais.
Puis, elle épousa Coq. Elle était heureuse sauf parfois le matin, quand Coq chantait "cocorico-o-o », elle pensait à Hibou et se demandait où il était.
Le conte du Hibou #23 (1989), Jasmin JOSEPH et Jasmin JOSEPHLe Centre d'Art - Haïti
Quelle morale pour le conte du Hibou ?
« Je sens que je suis un moraliste, je n’aime
pas la violence. Ma peinture tend à sermoner les hommes, à les moraliser.
J’aimerais un monde plus uni, plus harmonieux. »
Jasmin
Joseph, Archives du Centre d’art
Le conte du Hibou surprend
par la subtilité de ses personnages et des thèmes abordés. L’histoire suit le
schéma narratif classique du conte à savoir :
-
Une situation initiale relativement stable :
Hibou et la fille se rencontrent chaque soir pour discuter. La relation est
positive même si Hibou pense que si la fille voyait son visage, elle ne le
trouverait pas séduisant et ne l’aimerait plus.
-
Un élément perturbateur : la fête organisée par
la mère de la fille pour le rencontrer. Hibou s’inquiète pour son apparence,
notamment lorsque qu’il voit Coq si élégant sur son cheval.
-
Les péripéties correspondent aux tentatives de
Hibou pour cacher son visage : il prend un chapeau, se cache le visage en
rencontrant la famille de la fille, s’assoit dans un coin pendant la fête, ne
veut pas danser puis guette sans arrêt le lever du jour pour pouvoir s’échapper
à temps.
-
Le point culminant de ces péripéties est la
découverte du visage de Hibou par la mère et la fille. À ce moment, on pourrait
penser que l’histoire va amener un dénouement positif puisque la fille apprécie
ce visage.
-
La situation finale clôt pourtant le récit
assez subitement. Le hibou toujours honteux de son physique disparaît malgré
l’amour que lui porte la fille. Celle-ci l’ayant attendu sans jamais le revoir
se marie finalement avec Coq.
Le conte Hibou présente contre toute attente un dénouement malheureux, le
héros ne parvenant pas à surmonter son complexe initial. La particularité de
Hibou est que ce personnage attire rapidement la sympathie et la compassion du
lecteur par ses faiblesses très humaines : manque de confiance en soi, complexe
par rapport à son physique, complexe probablement aussi par rapport à son
origine sociale. Hibou ne montre pas de vice particulier, au contraire. À
travers le regard de la fille, on comprend qu’il possède un charisme unique, une
personnalité forte qui le distingue des autres. Le lecteur-spectateur souhaite
que ce héros puisse vaincre son manque de confiance. Mais celui-ci choisit la
fuite, laissant l’interprétation de cette histoire ouverte.
En ne résolvant pas le
complexe de Hibou, le conte apparaît comme un avertissement. Il met en garde
contre la comparaison excessive avec les autres, le pessimisme et le fatalisme
qui peut accompagner la vision de soi. La perception obsessionnelle de Hibou
pour son apparence qu’il pense disgracieuse l’empêche en effet de comprendre que
la fille apprécie ses qualités et son physique particulier. Comme Hibou, qui
s’avère être au fil de l’histoire un bon danseur, le conte souligne aussi que
chacun possède des talents à mettre en valeur. L’histoire encourage donc chacun
à s’assumer physiquement, à prendre conscience de ses capacités afin de gagner
en assurance et ne pas laisser passer les occasions qu’offre la vie.
Quelle morale pour le conte du Hibou ?
« Je sens que je suis un moraliste, je n’aime pas la violence. Ma peinture tend à sermoner les hommes, à les moraliser. J’aimerais un monde plus uni, plus harmonieux. »
Jasmin Joseph, Archives du Centre d’art
Le conte du Hibou surprend par la subtilité de ses personnages et des thèmes abordés. L’histoire suit le schéma narratif classique du conte à savoir :
- Une situation initiale relativement stable : Hibou et la fille se rencontrent chaque soir pour discuter. La relation est positive même si Hibou pense que si la fille voyait son visage, elle ne le trouverait pas séduisant et ne l’aimerait plus.
- Un élément perturbateur : la fête organisée par la mère de la fille pour le rencontrer. Hibou s’inquiète pour son apparence, notamment lorsque qu’il voit Coq si élégant sur son cheval.
- Les péripéties correspondent aux tentatives de Hibou pour cacher son visage : il prend un chapeau, se cache le visage en rencontrant la famille de la fille, s’assoit dans un coin pendant la fête, ne veut pas danser puis guette sans arrêt le lever du jour pour pouvoir s’échapper à temps.
- Le point culminant de ces péripéties est la découverte du visage de Hibou par la mère et la fille. À ce moment, on pourrait penser que l’histoire va amener un dénouement positif puisque la fille apprécie ce visage.
- La situation finale clôt pourtant le récit assez subitement. Le hibou toujours honteux de son physique disparaît malgré l’amour que lui porte la fille. Celle-ci l’ayant attendu sans jamais le revoir se marie finalement avec Coq.
Le conte Hibou présente contre toute attente un dénouement malheureux, le héros ne parvenant pas à surmonter son complexe initial. La particularité de Hibou est que ce personnage attire rapidement la sympathie et la compassion du lecteur par ses faiblesses très humaines : manque de confiance en soi, complexe par rapport à son physique, complexe probablement aussi par rapport à son origine sociale. Hibou ne montre pas de vice particulier, au contraire. À travers le regard de la fille, on comprend qu’il possède un charisme unique, une personnalité forte qui le distingue des autres. Le lecteur-spectateur souhaite que ce héros puisse vaincre son manque de confiance. Mais celui-ci choisit la fuite, laissant l’interprétation de cette histoire ouverte.
En ne résolvant pas le complexe de Hibou, le conte apparaît comme un avertissement. Il met en garde contre la comparaison excessive avec les autres, le pessimisme et le fatalisme qui peut accompagner la vision de soi. La perception obsessionnelle de Hibou pour son apparence qu’il pense disgracieuse l’empêche en effet de comprendre que la fille apprécie ses qualités et son physique particulier. Comme Hibou, qui s’avère être au fil de l’histoire un bon danseur, le conte souligne aussi que chacun possède des talents à mettre en valeur. L’histoire encourage donc chacun à s’assumer physiquement, à prendre conscience de ses capacités afin de gagner en assurance et ne pas laisser passer les occasions qu’offre la vie.
Sans titre (Ours blancs) (2000), Jasmin JOSEPH et Jasmin JOSEPHLe Centre d'Art - Haïti
Le bestiaire de Jasmin Joseph
« J’aime élever des animaux : des lapins, des colombes… J’ai l’intention de faire un élevage de bétail. Je n’ai pas pu m’y consacrer encore. Quoique je fasse, je suis avant tout un artiste. »
Jasmin Joseph, Archives du Centre d’art
Tout au long de sa carrière, Jasmin Joseph voue une véritable passion pour les animaux. Pour interpréter ce conte, il choisit de représenter le personnage féminin, la « fille », par un oiseau blanc proche de la colombe. L’artiste ajoute à l’histoire originale d’autres animaux-personnages inspirés de son répertoire habituel : des singes et des chats musiciens, un lapin guitariste, des souris, des grenouilles dansantes et même quelques ours blancs. Les épisodes du conte sont ainsi peuplés par un joyeux bestiaire évoluant autour des personnages principaux, mettant en valeur les scènes centrales tout en y ajoutant des notes d’humour et de légèreté.
Comme souvent dans l’œuvre de Jasmin Joseph, les animaux sont vêtus et se déplacent comme des humains, mimant leurs poses et leurs comportements. Le conte Hibou prend ainsi l’apparence d’une fable, miroir de la société. Certaines scènes illustrent en effet des règles et coutumes sociales comme la mère de la fille demandant à rencontrer Hibou, la présentation de Hibou à la famille ou les scènes de fête.
Cependant, Jasmin Joseph ne réalise aucune caricature, les personnages gardent leur faciès d’animaux et évoluent dans l’environnement naturel structuré propre à l’artiste : au premier plan le motif constant de l’arbre entouré d’une liane, au second plan des collines avec des maisons arrondies couleur de terre.
Le premier épisode de la série, avec le héros Hibou debout au centre sur son rocher, surplombant les autres animaux encore à l’état sauvage, s’avère être une excellente scène d’introduction à l’histoire. Ce tableau annonce le glissement du monde animal tel que nous le connaissons vers la fiction qui va suivre.
La fuite en Egypte (1985), Jasmin JOSEPH et Jasmin JOSEPHLe Centre d'Art - Haïti
Jasmin Joseph : la douceur d’un style
« J’utilisais au début des couleurs très vives : noir, indigo etc… maintenant je peins principalement avec des couleurs douces : blanc, brun, bleu très clair. »
Jasmin Joseph, Archives du Centre d’art
Jasmin Joseph utilise une palette de couleurs unique dans l’art haïtien. Les teintes de peinture à l’huile sont systématiquement travaillées et adoucies par un mélange de blanc qui leur donne un aspect presque velouté. L’artiste développe ainsi de nombreuses tonalités de verts pour rendre compte de la variété de la végétation. Le blanc est lui-même une couleur très importante dans l’œuvre de l’artiste. Utilisé pour les ours, mais aussi pour certains félins et oiseaux, il n’est jamais appliqué pur mais travaillé avec des touches bleutées ou brunes qui lui donnent toute sa matérialité et sa douceur. Jasmin Joseph utilise quelques rares touches de couleurs vives comme le magenta, le jaune, le orange ou encore le bleu, réservées aux accessoires et aux vêtements des personnages.
L’artiste conçoit ses figures avec des formes douces et subtiles qui traduisent toute l’attention et la tendresse qu’il porte à ces animaux personnages. Son goût pour les lignes souples et sinueuses est caractéristique et demeure particulièrement visible dans les scènes de danses où les corps se balancent et se cambrent allègrement.
Sans titre (Sculpture de la villa Créole) (1957), Jasmin JOSEPH et Jasmin JOSEPHLe Centre d'Art - Haïti
Jasmin Joseph sculpteur : les briques d’argile ajourées
« Mais sachant comment Joseph manie l’argile, soudainement il me vint à l’esprit de lui demander d’expérimenter une forme de briques percées avec le sujet tout juste travaillé au centre. »
DeWitt Peters, Archives du Centre d’art
En 1957, Jasmin Joseph réalise une commande de sculptures en terre cuite pour l’Hôtel Villa Créole à Pétionville. Composée de treize fenêtres encastrées dans un mur, cette paroi ajourée était située à l’extérieur, au niveau du restaurant. En partie détruit par le tremblement de terre de 2010, le site est désormais voué à un nouveau projet immobilier. Dans un soucis de sauvegarde du patrimoine, les pièces exposées ont pu être extraites de la Villa et gracieusement prêtées au Centre d’art à l’occasion de l’exposition. Ces sculptures, relativement altérées par le temps et leurs déplacements successifs, demeurent un témoignage précieux des débuts de la carrière de Jasmin Joseph.
C’est au milieu des années 50 que l’artiste expérimente cette nouvelle technique de sculpture. Encouragé par DeWitt Peters, il procède en creusant directement le bloc d’argile, retirant peu à peu la matière pour faire émerger ses figures. Un premier travail d’ampleur lui est confié pour la cathédrale Sainte-Trinité de Port-au-Prince. Cette commande inaugurée en 1955 se compose d’un Chœur d’anges au niveau de l’orgue et de Douze apôtres sur la balustrade de la galerie du chœur. Dès lors, les commandes de briques ajourées affluent. L’artiste réalise ainsi des décors d’extérieur pour des particuliers en Haïti ou aux Etats-Unis. La fragilité des pièces rend cependant leur transport et leur installation très délicats.
Dans son travail de sculpteur, Jasmin Joseph expérimente déjà ses sujets de prédilection : musiciens, sirènes, anges, oiseaux et autres animaux. Souvent encadrées d’un décor végétal, ces figures rondes aux détails incisés manifestent la même douceur et la même bonhomie que l’on observe dans ses peintures.
Biographie
Jasmin Joseph est né le 27 mars 1924 à Grande Rivière du Nord en Haïti. Orphelin à 6 ans, il vit auprès de sa tante à Port-au-Prince puis avec une femme qui le prend sous son aile jusqu’à ses 19 ans. A partir de 1942, il travaille à l’usine de brique Baudry proche de Cabaret et commence à modeler chez lui quelques petites figurines d’argiles qu’il fait cuire. En 1948, la rencontre avec le sculpteur américain Jason Seley, professeur au Centre d’art, est décisive. Seley sculpte des pièces en argile qu’il dépose régulièrement à l’usine Baudry pour la cuisson. Remarquant les petites figurines du jeune homme, il est impressionné par son talent et en rapporte quelques exemples au Centre d’art. Dewitt Peters l’invite alors à rejoindre le groupe d’artistes du Centre. Jasmin Joseph accepte et loge pendant 9 ans dans une chambre au sous-sol du bâtiment où il sculpte l’argile. Jasmin Joseph réalise en 1950 sa première peinture, Loa Vert, inspirée par la culture vaudou. Converti ensuite au protestantisme, il s’intéresse aux thématiques chrétiennes et traite dans ses sculptures de sujets bibliques : crucifixions, anges musiciens et scènes de la vie des saints. En 1955 sont inaugurés à la Cathédrale Sainte-Trinité de Port-au-Prince des ensembles de briques d’argile sculptés et ajourés : un Chœur d’anges servant de paravent à l’orgue et Douze apôtres formant la balustrade de la galerie du choeur. Le sculpteur travaille par ailleurs sur des représentations de la vie quotidienne, notamment des femmes et des hommes au travail. Ces sculptures en argile connaissent un grand succès et l’artiste répond à de nombreuses commandes en Haïti et pour l’étranger. Au début des années 60, Jasmin Joseph délaisse progressivement la sculpture pour la peinture. Il développe un univers où les animaux sont mis en scène dans des épisodes d’inspiration biblique ou personnifient les mœurs et les travers de la société. Il réalise des commandes importantes, notamment en 1963 avec les deux portes intérieures de l’orgue de la Sainte-Trinité représentant un paysage d’animaux sauvages, ainsi que les sculptures de Stations de Croix. En janvier 1965 est inaugurée la Tourelle, construite dans le jardin de la villa de Pierre Monosiet. Cette œuvre est composée de plusieurs architectures et de fenêtres d’argile ajourées représentant des animaux et des scènes d’inspiration religieuse. Parmi les peintures les plus notables de l’artiste, Agnus Dei (1960) représentant un agneau crucifié tel le Christ sur un mont Golgotha parsemé de lapins blancs, L’Arbre de vie (1969) montrant un Christ se fondant entre les branches d’un arbre gigantesque, L’ange de l’Apocalypse (1974) mettant en scène le combat de l’ange contre la Bête de l’Apocalypse dans un paysage parsemé de crânes et d’os, et enfin Le mariage d’Adam et Eve (1989). Jasmin Joseph participe à plusieurs expositions à l’étranger : en 1978 au Brooklyn Museum à New York à l’occasion de l’Exposition haïtienne, mais aussi à Waterloo et en Guadeloupe en 1983, à Boston en 1983. Il est à l’honneur pour le 50ème anniversaire du Centre d’art en 1994. Durant toute sa carrière Jasmin Joseph reste fidèle au Centre d’art. Il siège au conseil d’administration de l’institution entre 1997 et 2004. L’artiste décède à Port-au-Prince le 31 octobre 2005, à l’âge de 81 ans. Le 7 novembre est organisée au Centre d’art une veillée en son honneur. Ses oeuvres sont aujourd’hui conservées dans de nombreux grands musées : le Figge Art Museum à Davenport, le Milwaukee Art Museum, le New Orleans Museum of Art, le Wadsworth Atheneum Museum à Hartford, le Waterloo Museum of Art, le Musée d’Aquitaine à Bordeaux ainsi que le Musée d’Art Haïtien du Collège Saint-Pierre à Port-au-Prince.
Commissariat : Axelle Liautaud, Louise Perrichon Jean, Florence Conan
Le Centre d’art remercie ses partenaires : la FOKAL avec un remerciement spécial à Lorraine Mangonès et Michèle Pierre-Louis, la Fondation Daniel et Nina Carasso avec un remerciement spécial à Marina et Sasha Nahmias, Marie-Stéphane Maradeix et Philippe-Loïc Jacob, l’Ambassade Américaine, la Coopération Suisse, la Fondation pour le rayonnement de l’art haïtien ainsi que l’Institut Français d’Haïti.
Nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de l’exposition et du catalogue. Nous remercions tout particulièrement Franck Louissaint pour la restauration des tableaux, Patrick Vilaire et son équipe pour la restauration des sculptures, ainsi que Gary Victor pour la réécriture du conte.
Aux membres du Conseil d’Administration du Centre d’art :
Axelle Liautaud, Mireille Pérodin Jerôme, Christine Chenet, Gisèle Fleurant et Daniel Dorsainvil.
A l’équipe du Centre d’art :
Wendy Desert, Pascale Monnin, Love-Mary Coqmar, Gasner François, Alex Bellefleur, Marie Arago, Pétion Jeanty, Francklin Thony et Samuel Saintinor.
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