« Quand on a un talent comme le vôtre, aurait dit en substance à Alfred Stevens un peintre pompier du temps, on ne traite pas les sujets que vous traitez. Voyez-vous, l’art, c’est de faire de grandes choses. Promettez-moi de changer de genre et nous vous donnerons la médaille d’honneur. » A quoi l’artiste, superbe, aurait répondu : « Gardez votre médaille, moi, je garde mon genre. » Et c’est en effet le genre qui l’a rendu célèbre, la bourgeoise désœuvrée surprise, comme arrêtée, dans l’ordinaire anodin de sa vie. A première vue, l’œuvre semble se singulariser par l’absence complète de sujet alors qu’en réalité il y a manque d’action. Stevens est le peintre des attitudes immobiles, du geste suspendu. Dans Fleurs d’automne, il peint une femme, oui, mais dont le geste figé se motive par un détail accessoire, mannequin aimable qui pose, éclairée comme par un projecteur qui fait jouer la lumière et ruisseler les reflets. Stevens n’est pas un impressionniste. Il n’est pas épris de la lumière du plein air - du moins à cette époque, car il peindra plus tard d’assez jolies marines - mais il a compris que la lumière fait varier à l’infini ce qui demeure pour lui l’essentiel, une matière, une forme, un accord de couleurs. Ce n’est pas la femme qui est le sujet du tableau. C’est, selon le mot de Gustave Vanzype, la nature morte que composent les étoffes dont elle est vêtue et les choses qui l’entourent, semblable aux natures mortes que peignaient les vieux maîtres pour l’amour des couleurs somptueusement assorties et des pâtes lustrées. La virtuosité du coloriste est telle qu’il peut tout oser, comme cette symphonie en gris et noir. Avant Whistler, il veut « au moyen des couleurs rivaliser avec le musicien qui, lui, se sert des sons » : il plaque cette silhouette trapue sur un fond obscur, sans décor, ce qui est rare chez lui, et la fait ressortir par les falbalas de jais, le lustré du chignon châtain, l’éclat mat du profil, les fleurs pastel et le tapis de table richement décoré, tapis dont il s’était déjà servi dans Remember, également dans la collection du Musée. Stevens conseillait à ses élèves d’effacer au couteau la trace du pinceau, de rendre les touches lisses comme le marbre, car la matière unie rend le ton plus beau. 1867, année du tableau, année de l’Exposition Universelle de Paris : outre Fleurs d’automne, Stevens y montre dix-sept toiles. C’est l’apogée de son ascension.
Texte: Micheline Colin, Musée d'Art Moderne. Oeuvres choisies, Bruxelles, 2001, p. 46 © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles