Refusant de suivre les études de droit souhaitées par son père et après un échec dans la carrière d'officier de marine, Édouard Manet (1832-1883) entre en 1850 dans l'atelier de Thomas Couture, où il commence sa formation de peintre. Refusé par les expositions officielles, le jeune artiste joue un rôle de premier plan dans la « bohème élégante » de Paris, ou il fréquente les peintres Fantin-Latour et Degas, qui lui apportent leur soutien, et des hommes de lettres comme le poète Baudelaire ou le romancier Zola, dont il peint un portrait resté fameux. Manet accueille avec enthousiasme la création du Salon des Refusés, où il peut exposer en 1863 son très célèbre Déjeuner sur l'herbe et deux ans plus tard Olympia.Entre 1868 et 1873, Manet passe souvent l'été sur la côte normande, qu'il connaît bien depuis sa jeunesse. Il y peint de nombreuses marines, à Boulogne-sur-Mer en 1868, 1869 et 1871 et à Berck-sur-Mer en 1873. Avec son format oblong et son style épuré, Bateaux en mer, soleil couchant de 1868 est une œuvre singulière. La composition est reprise de la partie supérieure d'une étude à l'aquarelle aujourd'hui conservée à Bâle. Accentuant l'horizontalité de l'ensemble, Manet ajoute dans la peinture un bateau en haut à droite. Mais il coupe le motif principal et rejette hors du champ du tableau la coque du bateau qui se trouve au premier plan et qui est visible intégralement sur l'étude préparatoire. La continuité du plan d'eau et du ciel, noyé dans un camaïeu de gris délicats, interdit toute illusion de profondeur. Seuls les bateaux esquissent leurs silhouettes transparentes dans un subtil contre-jour.Bateaux en mer, soleil couchant trahit l'influence des estampes japonaises révélées lors de l'Exposition universelle de 1867. Le pavillon japonais de l'exposition consacre cette mode et les estampes d'Hiroshige ou le manga de Hokusai – le carnet de croquis dans lequel l'artiste croque des scènes de la vie quotidienne au Japon – contribuent au renouvellement du regard occidental. L'engouement des collectionneurs et des écrivains pour l'art japonais ne peut qu'influencer un artiste comme Manet, en rupture avec l'art officiel de son temps. Manet ouvre un espace lumineux au rayonnement diffus qui n'est pas sans évoquer les harmonies colorées de Whistler, également adepte de l'art japonais.