Les états de service de François-Antoine Fauveau, né à Le Haulme (Val-d'Oise) le 18 janvier 1792, permettent d'associer un visage à cette cuirasse.
Le carabinier Fauveau exerçait la profession de beurrier avant son incorporation. « Visage allongé, front découvert, yeux bleus, nez aquilin, bouche petite, menton à fossette, cheveux et sourcils châtain ; visage marqué de rousseurs », il mesurait 1,79 m, ce qui a probablement favorisé son entrée dans le corps d'élite des carabiniers. Affecté le 21 mai 1815 au 2e régiment de carabiniers commandé par le colonel François Beugnat, et versé au 4e escadron, 4e compagnie, il est mort au champ d'honneur moins d'un mois plus tard, 18 juin 1815, à Waterloo.
Transpercée de part en part, et de face, par un boulet (pièce de 4) au niveau de la poitrine juste sous l'épaule droite, sa cuirasse atteste d'une mort en pleine charge : pour recevoir cette blessure, il devait se tenir face au feu de l'ennemi, dans une position découverte du côté de son bras armé.
À Waterloo, les 1er et 2e régiments de carabiniers font partie du IIIe corps de cavalerie commandé par le général Kellermann, duc de Valmy, dans la 12e division de cavalerie, 1re brigade. Contrairement aux cuirassiers qui y sont décimés, la brigade de carabiniers, commandée par le général baron Blancard, ne participe pas à la fameuse charge de cavalerie menée par le maréchal Ney entre Hougoumont et la Haie-Sainte. C'est d'ailleurs à ce moment que se produit la désertion du capitaine du Barail du 2e régiment de carabiniers, qui trahit et se rend auprès de Wellington, fait suffisamment rare pour être noté. Pendant deux heures, Kellermann, qui a cependant ordre de soutenir l'attaque sur la Haie-Sainte, maintient prudemment ses carabiniers en réserve auprès d'une batterie de la Garde impériale. C'est de là que, vers 18h45, le maréchal Ney les entraîne dans une ultime charge contre les carrés anglais qui occupaient la pente de la colline. Désespérée, improvisée, la charge eut pour seul résultat la mort de près de la moitié de la brigade.
Bien qu'elle soit incomplète, il manque la matelassure, où se trouvait la petite poche ventrale qui permettait au soldat de conserver ses papiers et, du système de fixation ne subsiste que la ceinture de cuir à boucle de laiton ; les épaulières qui solidarisaient plastron et dossière ont disparu, la cuirasse du carabinier Fauveau reste, pour toutes ces raisons, un objet très particulier dans les collections du musée de l'Armée. entre bravoure, désespoir et trahison, la terrible fin du 2e régiment de carabiniers fait écho au sort de l'ensemble de l'armée, et du rêve de Napoléon, ce 18 juin 1815.
En soi, les cuirasses de ce type ne sont pas exceptionnelles. Cependant, les mutilations infligées par la guerre confèrent à celle-ci une puissance évocatrice qui en a fait, dès sa découverte, un témoin de l'histoire, un objet de musée.
Son parcours ressemble à celui des nombreuses reliques recherchées par les passionnés dès le lendemain de Waterloo. Exhumée par un cultivateur, elle fut aussitôt acquise par le colonel Lichtenstein, descendant d'un officier du Premier Empire, qui collectionnait les souvenirs de l'épopée impériale. Or, Philippe Lichtenstein (1831-1892), en tant qu'officier d'ordonnance du président de la République entre 1879 et 1887, logeait au palais de l'Élysée. Curieux destin que celui d'une relique de l'ultime défaite de l'Empereur, qui en vient ainsi à incarner, dans le palais de la République, le sacrifice des soldats français.
Le collectionneur reconstitua avec patience le parcours de la cuirasse et de son porteur. Et c'est pour que cette histoire reste vivante longtemps après la mort des protagonistes, qu'il l'a rassemblée, racontée et transmise aux générations suivantes, à travers un don aux collections du musée.
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