Midi
PLUS
Vendredi 20 mai 2005
LA LETTRE
de la COMEDIE
Rencontres
L'insouciance, la samba, la
fete, le football, la joie, la
chanson sont les masques
de camaval habituellement
plaques sur le visage de
chaque Brésilien. Rien de
desobligeant. Mais en levant
ces masques, on découvre
de passionnants etres
humains originaires de l'un
des pays émergents les plus
culturellement riches de la
planete. L'année du Brésil en
France permet de dépasser
les clichés, d'entrevoir l'am
de la cinquième nation du
monde, dirigée aujourd'hui
par un ancien ouvrier qui a a
pris comme ministre son
meilleur chanteur. Et c'est
une partie de cet autre
monde, avec ses
intellectuels, ses romanciers
qui vient à la Comédie du
livre de Montpellier peindre
de couleurs vives la
célébration du vingtième
anniversaire de notre
événement littéraire. Tant
mieux et bonne idée.
Mais une fois ce décor
chatoyant planté, peut-être
faut-il revenir à l'essentiel : la
fête du livre. Du papier, de
l'encre, des idées, du
talent... Certes. Que serait
cependant le livre sans la
rencontre virtuelle entre celul
qui l'écrit et celui qui le it?
Souvent s'installe dès les
premières phrases lues, par
une mystérieuse alchimie,
une certaine familiarité entre
l'écrivain et son lecteur. Rien
ne remplace toutefois un
contact réel entre l'auteur et
celui qui choisit son livre, le
lui achete après une breve
conversation d'avant
dédicace ou encore après
l'avoir entendu en
conférence. Les libraires, a
l'origine de la plupart des
salons du livre en France,
l'ont compris depuis
longtemps (vingt ans donc à
Montpellier). Et les écrivains
ne sauraient se passer de ces
échanges avec ceux qui
partagent leur littérature.
Jean-Charles REIX
Vous représentez tous les deux
le Brésil à la Comédie du livre.
Que diriez-vous de votre pays,
très vite?
Chico Buarque : Aucune
idée. Il faut au moins dix ans
pour réfléchir à la question.
Mais je pense que cette année
du Brésil en France essaie de
donner un portrait du Brésil,
une certaine idée culturelle
du pays
Gilberto Gil : C'est une mo-
saique
Buarque et Gilberto Gil, le duo
ENTRETIEN
→ Gilberto Gil et Chico
Buarque ont
révolutionné la musique
brésilienne à la fin des
années 60. Depuis, leurs
trajectoires se croisent.
Le premier, devenu
ministre de la Culture,
reste musicien. Le
deuxième est musicien
et écrivain. Ils sont
invités à la Comédie du
Livre. Entretiens croisés
A la fin des années 60, vous
étiez de ceux qui ont
révolutionné la musique
brésilienne en brassant
plusieurs styles musicaux,
bossa-nova, sambalan
rock... vous avez été censures,
vous avez vécu en exil, qu'en
reste-t-il ?
G.G.: On était jeunes, un
xieux, on voulait que tout aille
vite dans le processus de
transformation. Je ne suis pas
devenu un homme politique
en devenant ministre, je l'ai
toujours été
C.B. : Nous avons accompe-
gné le mouvement. Avec GE
berto Gil, nous appartenons à
la deuxième génération de la
nouvelle musique brésilienne.
On était amis et on le reste
même si nous nous éloignons
parfois avant de devenir mu-
siciens professionnels. Je me
souviens encore du jour ou
Des amis avant de devenir musiciens professionnels. Jean-Michel MART
taire, la production culturelle
était limitée, le pays était fer
mé politiquement. Un pays
qui ne vit
pas en démocratie a
des problèmes culturels, com-
me des problemes économi-
ques... la difficulté,
aujourd'hul, est d'aider la
culture à se diffuser dans le
pays : faire en sorte que des
auteurs de théâtre d'
nie puissent se produire à Rio,
que la production cinemato
graphique ne reste pas dans le
nord-est, la création musicale
a Bahia...
G. G.: J'ai un ministère fai
ble, pauvre, petit, qui doit s'im.
Vous croyez au rôle
poser. Il faut convaincre la so-
de la culture en politique ? ciété du röle stratégique de la
C.B.: Ca marche ensemble.culture.
On parlait des années 60 tout
à l'heure : sous le régime mili Vous faites partie des déçus de
Gilberto GU a gagné son pre-
mier cachet dans une boite de
nuit... Nous vivions dans un
pays bouleversé par la dictatu
re, en train de se construire
sur le plan économique, et en
même temps, il y avait une
nouvellement de la musique
populaire, tout un mouve
ment culturel avec la Bossa
Nova, le théâtre, le cinéma...
J'ai eu la chance d'avoir 15.
16 ans à cette époque-là. C'est
comme ça que je suis devenu
musicien, alors que je pensais
étre architecte pour accompa-
gner la construction du Brésil
COMEDIE DU LIVRE
La fête brésilienne de l'édition
Pour
our trois jours, d'aujourd'hui à dimanche
soir, la Comédie du livre, reprend
possession de l'Esplanade et de la place de la
Comédie à Montpellier, avec cette année le
Brésil pour thème. De quoi donner un éclat
particulier à cette 20 édition marquée par la
présence de plusieurs centaines d'auteurs et
autant d'éditeurs. Les visiteurs reconnaitront
sur les stands nombre d'écrivains connus et
pourront les écouter au long des 250 débats
prévus. Une affluence record est attendue
pour cette grande manifestation littéraire.
→ Voici le texte
qui a permis à Cristina
Amalric de l'emporter
La Comédie du livre se met à
l'heure brésilienne ? C'est une
native... de Rio que le jury du
concours de la critique littéral
re organisé par Midi Libre a
primée. Cristina Amalric, ma-
riée à un professeur de philo,
mere de trois enfants, maltre
de conférences à l'université
Paul-Valéry, est installée
Montpellier depuis 13 ans.
d'une oscillation paradoxale
mais féconde entre un désir
d'exprimer et une impossibili
té de traduire. A l'amour de la
langue maternelle nous de
vons les passages les plus sa-
voureux du roman, comme ce
jour, las d'étre moqué par
sa maitresse hongroise, José
Costa imagine une rupture pl-
mentée avec des mots brési-
liens, devenus pour l'occa
sion des injures fatales et irré-
vocables : des oxytons se ter
minant par dio (...) un langa
ge qui réduirait à néant son
hongrois.
Cristina Amalric. P. PANSANEL
Le dernier roman de Chico Buar-
que, musicien et écrivain bré
silien de renom, commence
par une erreur de syntaxe
commise en hongrois. De la
faute en elle-même le lecteur
Nous avons de prévenus
n'en saura jamais rien, puis
de la tenue de ce concours par-
que l'auteur n'écrit pas dans
rainé par Midi Libre el la
cette langue étrangere mais
Monde. Comme je suis en
dans sa langue maternelle.
congé maternite, je me suis
dit que c'était l'occasion de
Ainsi, Budapest se trouve
d'emblée sous le signe d'un ef-
re un roman, explique cette
fet d'illusion plaisant, car le
« Les langues, en cela que
enseignante du département
sujet principal de l'intrigue, multiples, selon l'expres-
de portugais. En dépit de la
une obsession du narrateursion de Mallarmé, tel est donc
distorsion liée à la traduction Netéraire, ma these portait José Costa pour la maitrise le thème le plus intéressant
c'est en français pour être
du hongrois, ne peut donner de Budapest qui les évoque
dans la perdre lecteur fran d'ailleurs sur ce sujet, savoir
cophone , qu'elle a souhaite comment lire pour transmet lieu à une approche réaliste concrètement.
Au thème de la langue se
aborder Budapest de Chico tre. Avec l'auteur de Buda de la question, étant donné
pest, Chico Buarque, l'universi-
l'ignorance totale de chacun joint celui de la littérature,
Cristina Amalric indique faire montpelliéraine a enfin
en la matière.
puisque tout dans Budapest
avoir écrit au feeling son
Cette langue qui occupe le n'est que texte et re-texte
retrouvé aussi une vieille
.
texte précis et parfaitement connaissance de la vie culturel narrateur n'a en fait qu'une sans auteur précis. La vie i
texture allusive qu'il s'agit jus- contée de José Costa, dont
pleine d'humour. Je n'avais le et militante brésilienne tement de rendre dans une l'honorable profession est
encore jamais écrit quelque . Lorsque j'étais petite mes autre, laquelle, en y faisant al d'être negre, et dont la carrie
chose d'aussi concis, dit-elle parents écoulaient déjà ses lusion, fait aussi illusion. Ce re culmine avec la rédaction
, -de du (fausse
J'adore le travail de critique chansons.
la politique du président Lula,
deux ans après son arrivée au
pouvoir
G.G.: L'exercice du pou-
voir demande de l'énergie, du
temps, de la patience, il faut
aussi avoir une certaine capa
cité à renoncer à la réussite.
Autrefois, c'est l'idéal qui gui
dait une décision Maintenant,
on essaie d'adapter l'idéal à la
réalité. Il faut donner du
temps à Lula
C.B. : Un peu, mais je com-
prends ses difficultés. J'ai
confiance en lui. La situation
économique ne nous permet
pas de grands changements.
Lula a été élu dans la méfian-
ce générale des milieux écono-
miques, financiers. Peut-être
qu'on attendait de lui une
aventure désastreuse pour le
pays. Il a su éviter ça. Mais il a
déçu ses vieux compagnons.
Maintenant, il lui faut faire un
choix entre ses vieux compa
gnons et ses nouveaux amis.
Pendant trois jours, à
Montpellier, on va parler de
litterature, une part méconnue
de la culture brésilienne...
C. B. : la musique populaire
du Brésil est connue partout,
elle voyage très bien, sans tra-
duction. La littérature est peu
connue. On n'a pas participé
au "boum" de la littérature his
pano-américaine dans les an
on croit que les Brésiliens écri
nées 60 - 70. Et aujourd'hui,
vent comme Vargas Llosa ou
Garcia Marques
Question spécifique pour Chico
Buarque. En France, le grand
public vous connait surtout par
"Essa Moça ta'differente", une
vieille chanson utilisée pour
une publicité. Dröle
d'histoire...
C. B.: Il n'y a que les Fran-
cas qui connaissent cette
chanson, à cause de la pub.
C'est un hasard complet. Je
l'avais enregistrée en Italie en
1969, et depuis completement
oubliée....
Recueilli par Sophie GUIRAUD
Gilberto Gil donne un concert ce
soir au Zénith de Montpellier,
20 h 30. Prix: 20 €.
Cristina Amalric, lauréate Critique La langue du diable
chico
Buarque
Burlapest
TEMPS FORTS
Le débat
des Brésiliens
"Actualité de la création
littéraire", aujourd'hui à
16 h 30, avec les auteurs
Chico Buarque, Milton
Hatoum, Tabajara Ruas et
Luis Fernando Verissimo.
Florence Aubenas
invitée virtuelle
Gilberto Gil chantera pour
Florence Aubenas et Hussein
Hanoun, des écrivains se
rendront au stand du Club
de la presse signer une
pétition, le public y trouvera
des bracelets de soutien
Le Brésil de Rufin
Une autobiographie deguisée ?
A écouter ce vendredi, salle
Rabelais, a 16 h 30:
Jean-Christophe Rulin,
president d'Action contre la
faim.
Prix Goncourt 2001 avec
Rouge Brésil, chez
Gallimard,
Dernier ouvrage :
La Salamandre.
Le Cuba de Valdes
Samedi 21 mal à 18 heures,
Zoe Valdes, poetesse et
romanciere cubaine exilée
présente son nouveau
roman Louves de mer, et lit
les poèmes du recueil
Une habanera à Paris,
Rocheteau
parle foot
Le footballeur
emblématique de
l'AS Saint-Etienne des
années 70 vient de publier
On m'appelait l'ange vert au
Cherche Midi. 22 mai,
15 heures.
L'intégralité du programme
est sur le site internet:
www.comediedulivre.com
biographie rédigée pour le gage et la réalité. Car il n'est
compte d'un autre, mais vraie ici jamais question du réel,
fiction) n'est jamais que du mais seulement d'un labyrin-
texte qui se fragmente. Tel le the de langage composé de
hongrois, langue du diable, en faux semblants et de mises en
grec diabolos - étymologique abime. Avec ce nouveau ro-
ment ce qui divise'. Structu man, Chico Buarque accede
re morcelée reflétant les par la postmodemité, pour qui
tages (entre Rio et Budapest, tout est dans le langage, la
entre Buda et Pest, entre Van preuve, Budapest n'est-il pas
da et Kriska), l'histoire invrai
la fausse biographie du narra
semblable de cette vie se
teur?
nourrit, c'est là le thème ulti-
me, de la scission entre le lan-
Reste que si du monde
nous n'en saurons pas plus
que du hongrois, c'est que Jo-
sé Costa, faute de pouvoir vi
vre et nous parler du Brésil
de Lala, prend illusoirement
la langue étrangère pour la
réalité : La réalité, Kosta,
viens à la réalité, lui ordonne
son professeur de hongrois.
Mais le drame du personnage,
c'est son oubli que la langue
la plus étrangère qui soit n'est
jamais qu'une mise en rela
tion avec le monde.
ib
Est-ce à dire que le Brésil
mondialisé est devenu si in-
compréhensible qu'il nous
faudrait pour le saisir appren-
dre le hongrois ?
0
Ocultar TranscriçãoMostrar Transcrição