Portrait
Gilberto Gil, 65 ans. Superstar de la chanson brésilienne et icône de la contre-culture,
il a été reconduit par Lula à la tête du ministère de la Culture. Où il ne fait pas de la figuration.
Il connaît la musique
ujourd'hui, il est en costume
cravate. Ça ne lui arrive pas
souvent. Quand il se déguise
en bureaucrate, c'est qu'il y a
nistère de la Culture. En l'oc
currence, un colloque sur le rôle de la té-
lévision publique à la représentation
régionale du ministère, à Rio de Janeiro
Le ministre, c'est donc lui, cet homme
courtois et souriant: Gilberto Gil,
auteur, compositeur, interprète, supers-
tar de la chanson brésilienne et icône de
la contre-culture. Le second Noir brési-
lien à s'être vu confier un maroquin,
après le roi Pelé.
Il s'est laissé pousser les dreadlocks mais
les porte attachées. Il a arrêté la fumette à
50 ans. Ilena 65, mais neles fait pas. Levi-
sage est lisse, la silhouette filiforme.
II
faut dire qu'il se traite bien: yoga, diete
macrobiotique et crèmes Gilberto Gil re-
vendique saepart féminines, mais il est
parfaitement hétéro. Marié quatre fois,
père de huitenfants (dont un tué dans un
accident de voiture) et plusieurs fois
grand-père.
Fin 2002, lorsque le leader de gauche
Lula, fraichement élu à la tête du Brésil,
fait appel à lui, Gil accepte, dit-il, pour
l'aider à relever le défi du changement
social. Mais les critiques ne tardent pas à
pleuvoir. Il exige en effet de ne pas aban-
donner totalement la scène. Au motif
que le traitement de ministre ne lui suf-
fit pas. 3300 euros, plus de treize fois le
salaire moyen. Pas grand-chose, il est
vrai, comparé à ses cachets, car Gil vend
des millions d'albums de par le monde.
Je ne parle pas de ma propre poche, mais
des quarante ou cinquante personnes qui
dépendent de mon travail pour survivre,
se défend-il alors.
L'an dernier encore, un journal le prend
en flagrant délit de culte de la personnali-
té. Un ouvrage réunissant ses discours fi-
gure sur la bibliographie recommandée
aux candidats au concours d'entrée au
ministère. L'ouvrage est aussitôt retiré.
Cela dit, Gilberto Gil prend le job de mi-
nistre très au sérieux, ce qui surprend
ceux qui ne lui donnaient pas six moisen
poste. Après tout, il a brillé par son ab
sence à la chambre municipale de Salva-
dor de Bahia, sa ville natale, où il a été élu
en 1988. «Je m'en sors mieux que je ne le
arriver à me levertoly, admet-il, non sans
humour
Alors que ses prédécesseurs faisaient de la
figuration, lui met en place une politique
culturelle et tente de démocratiser l'accès
à laculture. Son programme phare consis-
te à doter de fonds et de moyens techni
sent produire et diffuser leurs ceuvres. Le
les quartiers pauvres, afin qu'ils puis
budget du ministère est encore très insuf-
fisant, mais il a obtenu son triplement.
Fin 2006, quand Lula, réélu, lui propose
de rester, Gil hésite pourtant. Car son
maintien en poste représente un sacrifi-
ces pour lui, pour sa carrière, pour sa fa-
mille.L'administration publique exigedu
temps et de l'énergie. Je suis fatigué.
Savie se partage désormais entre Rio, ou Gilberto Gil
-,
Sans compter les déplacements, au Bré en 6 dates
sil et à l'étranger, avec des conflits bien 1942
plus amples que dans la vie personnelles à Naissance à Bahia.
gérer. Artiste consacré, Gilberto Gil ne Premier album
carrière, mais, depuis qu'il est ministre, il debere
n'a écrit que deux chansons et ne donne militaire
Arrété par la dictature
un ce soir à Juan-Les-Pins (Alpes-Mari- Mariage avec Flora,
plus que cinquante concerts par an,dont a
times), contre deux cents auparavant son actuelle épouse.
Le sacrifice n'est pas seulement finan-
cier. Il touche aussi mon désir d'expres- Devient ministre
sion et de communication, et la demande de la Culture de Lula.
de mon public,
Eté 2007
Lui, c'est done Gilberto Gil pas João Gil Concerts a Juan les Pins
berto, le père de la bossa-nova, avec le- et
quel on le confond parfois encore à
LIBERATION
VENDREDI 20 JUILLET 2007
une maison de disques et quitte la multi
nationale où il fait un stage, à São Paulo,
pour se consacrer à la musique.
Un an plus tard, c'est la révolution stro-
picaliste, mouvement d'avant-garde
dont il est l'un des chefs de file avec Cae-
tano Veloso. Les tropicalistas portent
des dashikis (tuniques africaines bario-
lées) et veulent réhabiliter les rythmes
traditionnels brésiliens, tout en puisant
dans les influences étrangères, comme
le rock. Ils ont consacré l'éclectisme qui
influence encore aujourd'hui notre musi
que», note Marcos Augusto Gonçalves,
chef du service culture au quotidien
Folha de São Paulo Mais à l'époque, Gil
et Veloso font scandale. La gauche na-
tionaliste conspue la culture pop, assi-
milée à l'impérialisme américain. La
dictature de droite flaire la subversion
dans leurs paroles libertaires et les jette
en taule, avant de les contraindre à l'exil.
En prison, Gil devient végétarien et
s'initie à la pensée orientale.
Aujourd'hui, il commence à revenir de
sa quête spirituelle. «A l'origine, j'étais
chrétien. Ensuite
je me suis intéressé aux
religions orientales, puis africaines, enfin
à la théosophie; et maintenant,
je sens que
je veux être en dehors de tout cas, décla-
rait-il récemment. Il y a deux ans, lors-
que le parti des travailleurs (PT), la for-
mation de Lula, a été épinglé dans un
scandale d'achat de voix et de finance-
ment illicite, Gilberto Gil n'a vu caucune
raison de démissionner. Je ne suis pas
du parti du Présidents, läche-t-il, tout à
coup moins zen que d'habitude.
Membre du Parti vert, ses relations sont
protocolaires, parfois même tendues,
avec le PT, qui briguait le portefeuille et
lui reproche d'avoir soutenu l'adversaire
de Lula aux présidentielles de 1994
et 1998. Gil a contrarié des intérêts, et
c'est à cela qu'il impute (parfois abusive-
ment)
les polémiques qui ont marqué sa
première gestion. Il a dû retirer son pro-
jet de régulation de l'audiovisuel, taxé de
wdirigistes. Le texte prévoyait une mesu-
re antitrust qui menaçait TV Globo, pre-
mière chaine du pays, mais aussi un droit
de regard de l'Etat sur la grille des télés.
De leur côté, les grosses pointures duci-
néma et du théâtre, qui se plaignaient de
la redistribution des subventions publi-
l'étranger... Fils de médecin, il fait partie ques, au nom du soutien aux débutants
de cette minorité de Noirs brésiliens qui ont ravalé leurs critiques et réclamé son
a échappé à la pauvreté. Dans les an- maintien. La hausse des financements a
nées 60, il prend conscience de sa negri- calmé les esprits. Du moins jusqu'au
tude et devient un militant de la fierté prochain bras de fer, cette fois avec ses
noire. Encore aujourd'hui, Gilest mem- pairs de la chanson. Cela concernera
bre des Fils de Ghandi, un des groupes l'assouplissement des droits d'auteur,
carnavalesques
dont il est déjà l'un
noirs de Salvador l'administration publique exige du des principaux de
de Bahia. Très jeu- temps et de l'énergie. Je suis fatigué.» fenseurs dans les
ne, il apprend à
forums interna-
jouer de l'accordéon, l'instrument du tionaux. Gilberto Gil donne l'exemple en
baião, rythme populaire du Nordeste autorisant l'accès à certaines de ses
Puis du violon, hommage à la bossa-no- chansons, pour la copie ou le remix, car
va. A la fac, il étudie la gestion d'entrepri- «le partage enrichit la créativités: «Moi-
Maria Bethânia, Gal Costa et Tom Zé, et je suis si je n'avais pas partagé l'oeuvre de
se. Ses amis s'appellent Caetano Veloso, même, je n'aurais pas été le musicien que
ils chantent ensemble à Salvador de Ba- tant d'autres qui ont créé avant moi
hia. En 1966, il décroche un contrat avec
CHANTAL RAYES
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