Une immense colonne de soldats avance péniblement dans un paysage désolé et glacial couvert de neige, au milieu de cadavres et de blessés. Les tons de gris colorés dominent la composition. À travers cette image tragique, Charlet illustre la fin de la campagne de Russie, voulue par Napoléon parti en 1812 à l'assaut de ce gigantesque empire. L'entreprise se clôt par un échec et une retraite meurtrière de la Grande Armée au cours de l’hiver, durant laquelle décèdent plus de 300 000 soldats français, victimes du froid et des assauts ennemis.
Réalisé plus de vingt ans après l’événement historique, ce tableau est présenté au Salon de Paris, en 1836, où il connait un grand succès. cette époque, se développe un véritable culte autour du personnage de Napoléon et des victoires de ses armées, qui sera ravivé par le retour, en 1840, de ses cendres pour les inhumer aux Invalides. Charlet contribue à la création de cette légende et à sa diffusion par ses peintures, mais aussi et surtout par de nombreuses lithographies, qui mettent en avant les humbles soldats des armées de l’Empire.
Au-delà de l’événement historique et militaire, l’artiste exprime dans cette œuvre sa vision de l’Histoire, mettant en avant, non plus les seuls généraux commandant la bataille, mais les hommes qui la jouent, dans toutes les affres de leurs souffrances. Comme l’écrit Alfred de Musset en commentant ce tableau, « c’est la grande armée, c’est le soldat, ou plutôt c’est l’homme ; c’est la misère humaine toute seule, sous un ciel brumeux, sur un sol de glace, sans guide, sans chef, sans distinction. C’est le désespoir dans le désert ». Le déchaînement des éléments et l’inspiration toute romantique conduisent même les contemporains à le comparer à une autre image de la souffrance humaine, Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault (1819, Paris, musée du Louvre).