Cette esquisse à l’huile, très enlevée, représentant la tête d’un homme en quatre poses différentes est sans aucun doute l’une des œuvres les plus populaires de Rubens conservées aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, sinon de son œuvre tout entier. Pendant longtemps, l’attribution à Rubens, ou bien Van Dyck, fut discutée. Les découvertes les plus récentes en matière de technique picturale semblent donner raison au Musée, où le nom de Rubens fut toujours maintenu. On comprend aisément pourquoi cette œuvre connaît une telle faveur auprès du public. La maîtrise de la technique picturale –rapide, virtuose et rythmique- y est évidente. Le sujet si humain, exempt de toute mythologie compliquée ou de thématique religieuse, plaît d’emblée. Les uns sont charmés par l’exotisme d’un homme venu d’un pays lointain, rendu de manière si expressive, d’autres sont conquis par la représentation pleine de dignité d’un membre de la population souvent discriminée, d’autres spectateurs encore se sentent encouragés ou consolés par ce visage empreint d’une simple et manifeste joie de vivre. Rubens lui-même aurait probablement été quelque peu surpris par l’engouement suscité par ce petit chef-d’œuvre. Il a donné sans aucun doute à cette étude la pleine puissance de son talent. Il a en outre élevé la technique de l’esquisse à l’huile, qui s’était développée auparavant en Italie, à un niveau artistique inconnu jusque-là, comme on peut le voir dans l’exceptionnelle série de "modelli" pour la Torre de la Parada, également conservée au Musée de Bruxelles. Rubens a veillé à ce que ses fils puissent disposer de telles esquisses s’ils voulaient aussi devenir peintres. Cependant, des études de ce type ont pour objet des motifs individuels qui devaient ensuite s’intégrer dans diverses compositions plus achevées et beaucoup plus ambitieuses. Ces esquisses, d’une grande justesse d’observation, pouvaient ainsi servir avec une étonnante économie de moyens aux œuvres les plus variées, grâce aux différents points de vue à partir desquels le modèle avait été étudié. C’est ainsi que la même tête se retrouve dans L’adoration des mages, qui appartient aussi au Musée. Elle représente un sage enturbanné, incorporé de façon parfaitement organique au plan médian de ce retable monumental très fini, qui connaît aujourd’hui beaucoup moins de succès et jouit d’une moins grande attention que l’esquisse.
Texte: Joost Vander Auwera, Musée d’Art ancien. Oeuvres choisies, Bruxelles, 2001, p. 124 © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles