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Le vote des violettes

Françoise Giroud1969-05-26

Fonds de Dotation Francoise Giroud

Fonds de Dotation Francoise Giroud
Paris, France

Rôle et place des épouses de Président en France

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  • Title: Le vote des violettes
  • Long Description: Escamotées, les épouses. Englouties dans le bœuf en daube et les rosiers à tailler. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, où un prétendant à la Maison-Blanche ne saurait faire campagne sans être, en tous lieux, assorti de celle qui porte son nom. Laquelle manifeste, par sa présence, que le prétendant marque à sa femme — donc aux femmes — de la considération. Nos candidats à la présidence de la République en manqueraient-ils ? Les choses sont, semble-t-il, un peu plus compliquées. Les Français n'ont jamais eu le goût d'exhiber leur vie privée. Il fallait jadis qu'elle fût véritablement scandaleuse — et où commence le scandale ? — pour qu'on en fît grief à un personnage public. La politique se jouait entre hommes. Par une sorte de complicité tacite, il était convenu entre électeurs et postulants qu'on ne juge pas un homme à la femme qu'il s'est donnée ou par laquelle il s'est laissé prendre, que l'on ne critique pas la façon dont un mari accommode la monogamie. La faute était toujours du côté de l'emmerdante, de l'emmerdeuse ou de l'emmerderesse, pour reprendre l'énumération de Paul Valéry, chacun en ayant une dans sa vie, et l'aimant bien à la fin. Mais quoi ! Louis XIV et Napoléon en avaient fait d'autres ! Précieuse indulgence d'un pays peu doué pour l'intolérance, où qu'elle s'exerce. Curieusement, cette indulgence les femmes la pratiquaient également, dès lors qu'il s'agissait du mari des autres. À moins qu'il ne se conduisît comme un malfrat, l'homme léger ne souffrait d'aucun préjugé défavorable. Parfois même on aimait que, séduisant, il ne fût pas confisqué. Du rôle d'une femme dans la vie d'un homme public, chacun avait son idée : la même. Et savait, par devers soi, que la plus incolore des épouses, fût-ce par besoin de la contrarier, exerce une influence déterminante. Peut-être pas sur les grandes options comme on dit — encore que les exemples abondent — mais sur le tissu qui se forme autour du chef de parti, de gouvernement, d'Etat. Mme de Gaulle elle-même a joué, à cet égard, un rôle non négligeable. Il n'y a pas de fer qu'une lime ne puisse user. Mais l'admettre publiquement, en présentant son épouse à l'électorat, c'eût été formuler ce que l'on préférait, entre hommes, laisser informulé. Et puis, voilà que les femmes ont reçu le droit de vote. Voilà que l'élection du président de la République au suffrage universel les conduit à intervenir massivement dans un choix où les tendances politiques ne sont pas seules à jouer. L'épouse du président élu dessine, qu'on le veuille ou non, une certaine image du pays. Son image féminine. Dès lors, l'inconscient s'ébranle. Et l'incertitude qui peut encore régner dans l'esprit des électrices quand il s'agit de la force de frappe, du Marché commun ou de l'Otan, disparaît quand il s'agit d'apprécier la physionomie d'une future « présidente ». Or les électrices sont largement majoritaires avec 53 % des voix contre 47. Davantage : les trois quarts d'entre elles ont entre 40 et 85 ans. Sans doute n'iraient-elles pas jusqu'à choisir un candidat par sympathie pour sa femme. Mais de quel coefficient positif ou négatif celui-ci est-il affecté par son double ? Dans l'incertitude, nos candidats laissent leur légitime compagne dans l'ombre. Les épouses elles-mêmes, il est vrai, n'ont, pour deux d'entre elles en tout cas, aucune envie d'en sortir prématurément. Mme Gaston Defferre, fine, délicieuse, propre à séduire les plus exigeants, est discrète par nature. C'est par respect pour elle que son mari lui inflige le minimum indispensable de participation à sa vie officielle. Mme Georges Pompidou a de bonnes raisons d'être écœurée par les remugles de la vie publique. On le serait à moins. Directe et simple, elle se résignera, si cela devenait nécessaire, à jouer sa part de comédie. Mais c'est également par respect pour elle que son mari répugne à la lui imposer. Mme Alain Poher, quant à elle, est d'une spontanéité qui s'exprimerait volontiers, mais que les siens veillent à tempérer. Celle qui se retrouvera à l'Elysée fera de son mieux. Mais il faut avoir vu de ses yeux vu la pauvre Mme Coty, saisie à son domicile, aveuglée par les flashes, pressée de questions, ramassant en hâte son chignon, pour savoir ce qu'est la panique. Encore n'avait-elle plus rien à faire perdre ou gagner à son mari. Le scrutin était clos dont elle accepta, pour finir, le verdict avec une bonne grâce extrême jointe aux ressources d'une éducation bourgeoise telle qu'on la recevait autrefois dans les provinces. Mais après — après l'élection — la tâche est relativement plus simple. Des garde-fous se mettent en place. La fonction porte. Le tout est de trouver son style et son couturier. Le cœur, quand il existe, fait le reste. Le secrétariat veille sur les interviews et les clichés. C'est avant que tout est piège. La photo-vérité... La petite phrase candide... Les amitiés que l'on se refuse à renier... Le vernis grossier dont des supporters zélés badigeonnent une image présumée impopulaire. Mais qu'est-ce qui est populaire ? La timidité : elle manque d'aisance. L'assurance : elle se croit déjà à l'Elysée, ma parole ! L'élégance : ne demandez pas ce qu'elle dépense. L'inélégance : elle est vraiment mal fringuée. Le naturel : c'est, comme toujours, la voie royale. Mais il faut du temps pour le conquérir sur le désir de plaire ou la peur de déplaire. Plaire à l'immense majorité de l'électorat féminin, c'est paraître bonne ménagère, pas gaspilleuse, avenante mais sans insulter par son éclat, habillée avec soin mais sans cette nuance supplémentaire qui distinguerait du commun. Il n'est pas mauvais d'aller à la messe et excellent d'aller au marché. Il serait détestable d'afficher des prétentions intellectuelles mais fâcheux d'être gaffeuse. Grand-mère ? Bon. Très bon. Trompée ? La pauvre. Ce que c'est que de nous, les femmes... Trompeuse ? Rédhibitoire. Est-ce que je trompe mon mari, moi ? Et pourtant, ce ne sont pas les occasions qui m'ont manqué. Mais enfin quoi, on se respecte ! Est-ce dureté des femmes, qui ont tant de mal à pardonner aux autres leur propre rigueur et à ne pas projeter sur les supposées libertines le cinéma de leurs propres tentations ? Ou exigence légitime de « dignité » ? Cette exigence-là demeurera toujours à l'égard de la femme de César. Dans sept ans, l'électorat féminin aura peut-être assez sensiblement rajeuni pour situer la dignité ailleurs que dans les vertus de la violette doucement fanée à la chaleur des fourneaux. Pour l'heure, le vote des violettes mériterait que les candidats se baissent pour les cueillir.
  • Creator: Françoise Giroud
  • Date: 1969-05-26
  • Publisher: L’Express
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