SPECTACLES D'UN TEMPS
bulaire, leur rituel, les inscriptions sur leurs murs... Et sans doute
le public ne pénètre-t-il pas dans tout ce détail ; mais il s'en pénètre,
comme malgré lui... Quand nous apercevons par exemple la Prieure
et la Sous-Prieure assises aux deux bouts de la même haute cathédre,
laissant vide la place du milieu, on ne saurait nous expliquer que cette
place réservée signifie l'invisible présence de la Vierge. Mais cette
énigme même ne contribue-t-elle pas à nous situer dans un climat ?...
L'interprétation des Dialogues ressortit à cette haute qualité.
Point de vedettes, dans cette affiche, ou du moins de ces noms ainsi
qualifiés par une publicité routinière... et trop souvent fallacieuse.
On sait quelles déceptions nous ménage souvent un spectacle où
l'on a « collectionné les vedettes »... et comme un directeur se trouve
bien parfois d'avoir préféré à ce faux éclat la parfaite convenance des
artistes à leur rôle. Il n'en est pas ici qui ait trahi le sien, ou même ne
l'ait tenu avec une maîtrise proche de la perfection... Mme Tania
Balachova, dans la Mère de Croissy, aussi bien quand elle déchiffre
l'âme tourmentée de Blanche avant de l'admettre au monastère, que
lorsqu'elle s'offre pour elle en holocauste, atteint à une grandeur que
seule peut-être eût rejointe Ludmilla Pitoefl, quand, passées les
grâces fragiles de la jeunesse, elle s'approchait, elle aussi, de cette
terrible vérité qui luit obscurément au bout de chaque vie... Mme
Mona-Dol, dans Madame Lidoine, fait avec elle le contraste savoureux
et émouvant qu'il fallait : combien juste dans sa ronde bonhomie,
son courage qui refuse l'excès ! Mme Annie Cariel, dans Mère Marie
de l'Incarnation, serait une Sous-Prieure hautaine, rude et sèche, si
elle n'était d'abord une bonne religieuse : ce qui reste de ses façons
et de ses réflexes de grande dame est de la plus juste observation...
A Mme Hélène Bourdan était échu le rôle de Blanche de la Force,
le plus dur, peut-être, le plus dangereux, puisqu'il faut le maintenir
d'un bout à l'autre, sauf à la dernière minute, dans la gamme unique
de l'angoisse : eût-elle aussi bien réussi à nous faire partager sans
lassitude cette angoisse, si son propre émoi n'eût été puisé, hélas,
aux dures épreuves de sa vie ? Le rôle de M. Jean Lanier n'était
pas non plus sans périls ; il pouvait devenir monocorde, un peu
terne, s'il ne l'eût réintroduit dans la tragédie ambiante avec la plus
touchante conviction. M. Robert Fontanet, dans le jeune chevalier,
frère de Blanche, n'apparaît qu'à deux ou trois reprises : mais
ce peu lui suffit pour nous restituer l'élégance de cette époque
qui marqua la fin des grandes manières et du beau parler de
France. Ne fais-je pas bien de citer en dernier Mlle Annie Noël,
dans le rôle de soeur Constance, le plus jeune oiselet de cette sainte
volière, l'inséparable compagne de soeur Blanche, toute joie, tout
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