SPECTACLES D'UN TEMPS
au surplus, Kleist, qui a déjà prononcé sur sa mort prochaine,
nous livre-t-il ici quelque chose de sa plus profonde vérité)... C'est
maintenant Frédéric qui réclame lui-même sa mort, à l'encontre
de sa mère, de sa fiancée, de ses officiers, bouleversés par son sacri-
fice, et qui savent avoir encore besoin de lui. L'Electeur, heureu-
sement, mettra bon ordre à tout cela et imposera sa grâce à ce
héros, laissant à Nathalie le soin de déposer elle-même le laurier sur son
front, le jour de leurs noces.
J'ai dit combien la mise en scène de M. Vilar pouvait nous
satisfaire intellectuellement en faisant saillir du texte toutes ses
richesses. Resterait à dire combien elle nous satisfait visuellement
et auditivement, si l'on me passe ces mots barbares. Après Antoine,
après Gémier, après Copeau, après Max Reinhardt, après tant
d'autres qui, depuis cinquante ans, s'efforcent à revivifier l'art du
théâtre, il a trouvé, lui aussi, son parti-pris. Plus que ses prédéces-
seurs, il a réussi, semble-t-il, à faire du spectateur, non un acteur,
mais un participant du drame, en le plaçant, non devant, mais
au centre de ce drame. Point de rideau. La scène bée constamment
vers la salle et l'appelle, même pendant les entr'actes. Elle n'est
plus qu'un trou d'ombre, où de flottantes draperies ménagent des
intervalles, où des phosphorescences font apparaître parfois un
rudiment de décor, d'où surgiront ou plutôt descendront vers nous
des personnages qui viendront jouer sur un vaste proscenium,
bien au delà de ce qui fut la rampe (supprimée, elle aussi), c'est-
à-dire presque au milieu de nous, éclairés par des projecteurs, qui,
tour à tour, les isolent ou les regroupent, selon leur part dans le
dialogue. Il en va de même de la musique de scène, abondante ici
selon le voeu de M. Vilar, qui la considère, je crois, comme un
élément indispensable pour créer une atmosphère. Celle que M.
Maurice Jarre a composée pour Le Prince est fort belle et justement
'évocatrice. Elle nous vient de partout, du fond de la scène, des entours
de la salle. Cela est d'un effet saisissant, surtout dans le bref
instant de la bataille qui, littéralement, nous enveloppe. Mais on voit
par où la rigueur d'un tel parti-pris peut aboutir à l'exagération,
parfois même à l'erreur... Ce mobilier de scène n'est-il pas rudimen-
taire à l'excès ? Quelques escabeaux, quelques luminaires. N'omettons
pas cet étrange pupitre de musicien sur quoi l'Electeur s'appuie bien
incommodement pour méditer son plan de bataille et dicter ses
ordres. Il me gêne, souligne plus qu'il ne pallie cette absence de
mobilier. Il faudrait une table ou rien... Mais je crains que M. Vilar
ne tienne beaucoup à ce pupitre! De même, n'aurait-on pas préféré
que la marche funèbre pour les funérailles d'un héros se déroulât
au fond de la scène dans une pénombre propice, parmi des
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