Un problème
d'architecture.
beaucoup plus tard que l'Art du Théâtre connut l'évolu-
tion paradoxale dont nous avons parlé plus haut. Alors,
il se transforma. Il abandonna l'arène, la place publique,
le tréteau populaire; il s'enferma — le mot est signifi-
catif dans des <hôtels ». il avait été le moyen d'expression le plus sincère et le plus direct des peuples. il devint un art de vanité, le simple divertissement d'un soir à l'usage de quelques spectateurs privilégiés. il cessa de rassembler et divisa, comme le note si justement vilar. bref, tout se passa comme si une partie du public avait < volé » le théâtre aux foules, de la même manière qu'on râfle une denrée sur le marché. le théâtre de nos jours se rapporte avant tout à un problème d'architecture. c'est l'architecture qui a rape- tissé et rabaissé le théâtre. c'est l'architecture qui peut aujourd'hui le sauver et le rendre à son destin. a partir du moment où le théâtre s'enferme à l'hôtel (hôtel du marais, hôtel de bourgogne) il devient la proie d'un certain public qui l'accommode à sa manière et le plie à son évolution sociale. c'est ainsi que naît la salle de théâtre dite à l'italienne, celle que nous connaissons encore de nos jours, construite non plus en vue du spec- tacle, mais des spectateurs. qu'est-ce qu'une salle à l'italienne ? c'est essentielle- ment une salle en hauteur. pourquoi ? 1° parce que le théâtre, devenu art de vanité, exige une façade imposante; 2° parce que son public, ce public qui a volé le théâ- tre aux foules, exige, lui, de s'y retrouver tous les soirs dans le cadre des conventions sociales où il vit. le résul- tat de tout cela est le compartimentage des spectateurs en autant de catégories sociales qu'il en existe à l'époque où la salle est construite. de l'<a href="/entity/m05lls" data-gacategory="annotation" data-gaaction="clicked" data-galabel="assetpage_injected_link_v1">Opéra de Paris aux
Théâtres municipaux de province, on retrouve le
même procédé architectural et les mêmes frontières >>
infranchissables. D'abord, les loges pour les notables, les
officiels. Ensuite le parterre, pour les gens riches. Puis le
premier balcon, pour les mondains. Le second balcon
pour les bourgeois simplement aisés. Le troisième balcon
pour les petits commerçants, les artisans, etc... Enfin,
le poulailler pour le petit peuple.
Il existe ainsi, dans une salle traditionnelle de Théâtre
à l'italienne, plus de dix prix de places, correspondant
rigoureusement à dix catégories sociales — les dix caté-
gories sociales d'il y a un siècle. Cor aujourd'hui, la
plupart de ces catégories sociales ont disparu. Et le
Cinéma l'a bien compris, qui, naissant avec le siècle et
ne s'embarrassant que de logique, en est venu simple-
ment à deux prix de places, à trois au maximum. Toute
cette hiérarchie de parterres et de balcons ne répond
donc plus à rien. Mais ce n'est pas là son pire défaut.
Son pire défaut est que, nécessitant la construction
en hauteur, elle n'a pu le faire qu'au détriment du confort
et de la visibilité. Est-il utile de le souligner ? Nous avons
X tous le souvenir de « mauvaises places » au Théâtre et
de
spectacles dénaturés par l'endroit d'où on les voyait.
On aura tout dit en rappelant un chiffre : dans les salles
à l'italienne, la visibilité parfaite n'est obtenue qu'à
concurrence de soixante pour cent.
Une dimension
bâtarde.
Tout cela est donc absolument contraire à la logique,
ou plutôt répond à une logique paradoxale : celle d'un
Théâtre où l'on va moins pour voir que pour être vu; un
Théâtre d'égoïsmes, de préséances et de conventions, où
le public constitue un spectacle en soi, au détriment du
véritable spectacle
Passons maintenant à la scène. On verra que dans le
Théâtre à l'italienne, elle
n'est pas moins absurdement
conçue que la salle.
La tragédie grecque et le mystère de Notre-Dame
offraient des spectacles de plein air où, bien que des
foules immenses fussent rassemblées, les acteurs se
trouvaient en quelque sorte de plain-pied avec le public.
Le Théâtre elizabethain était un dispositif scénique
élémentaire, nécessaire, que rien ne séparait de la salle.
La tragédie classique française était jouée à l'intérieur
d'une sorte de « carré magique >> illuminé par des
chandelles, avec des spectateurs installés sur la scène,
donc en communion avec les interprètes.
A partir du XVIII° siècle, une révolution s'accomplit
au Théâtre. Devant une salle compartimentée, la scène,
à son tour, se compartimente. Elle retranche du public
et transforme le tréteau en une sorte de «boite >>
encadrée par des portants, protégée par une rampe et
cachée par un rideau. Entre le public et cette «boite >>
on creuse un fossé : la fosse d'orchestre. Désormais, le
spectacle n'est plus dans le public. Il est en montre >>
en vitrine. Ainsi s'est créée une nouvelle dimension théa-
trale, une dimension bâtarde qui va immédiatement
fausser l'optique scénique, les rapports de la salle et de
la scène et jusqu'au jeu des acteurs.
« Ni
Les spectateurs de la tragédie grecque, rassemblés
assez près,
dans l'amphithéâtre, voyaient de loin. Les spectateurs
ni assez loin >> raciniens installés sur la scène, voyaient de près. La
scène italienne, elle, n'est ni proche, ni lointaine, mais
située dans un lieu intermédiaire qui ne correspond plus
à aucune rigueur visuelle ou auditive. Prenons l'exemple
d'une lorgnette. On peut voir de deux manières à l'aide
d'une lorgnette. D'abord, en regardant par le petit bout :
alors, les objets apparaissent grossis et d'une grande
netteté dans les moindres détails. Ensuite, en regardant