en privé; et alors, c'est moi qui décide: sa, je le lui accorde, ça, je le lui nie;
sur une route, je la fais avancer, sur cette même route, plus tard, je la
renvoie un peu en arrière...
P. - Mais toi, pourquoi tu n'es pas fascinée par un homme sans pouvoir?
C. - Ca n'existe pas, c'est toujours un aspirant au pouvoir.
P. - Alors comment t'es-tu mis en tête d'attendre l'homme qui mettra le
pouvoir en crise?
C. - Je me mets en tête de voir les mécanismes qui écrasent la femme.
Nous sommes partis de l'idée d'une oppression. Cette oppression, étant donné
qu'elle perdure depuis des siècles, se présente comme quelque chose
d'inamovible. Mais moi, étant née femme, je ne peux m'intéresser qu'à un seul
argument qui est mon oppression. Tout le reste, pour moi, est une perte de
temps. Je dois vraiment dire ceci, que face à l'urgence et au drame que vit la
femme, pour moi, individu Carla Lonzi, tout le reste est pure distraction. Parce
que tout se fait sur ma peau, ce sont autant de jeux qui adviennent sur ma
peau, avec mon sang, avec ma folie, avec mon écrasement, par la ridiculisation
de ce que je tente, par l'annulation de ce que je donne...Mais, à la fin, qu'est-
ce qui m'oblige à regarder et admirer l'art, la poésie, le roman, l'écrivain, le
plan culturel, le plan politique...Je le dis et je l'affirme vraiment en conscience,
je ne peux plus m'intéresser à rien.. Mais que tout s'effondre si je me rends
compte qu'ils sont faits de peau humaine comme les abats-jours des nazis, et
que cette peau est la mienne! Si je pousse aux extremes, je ne veux même plus
avoir à faire avec ce monde, et à ce moment là, même Maïakovski peut toujours
attendre pour obtenir mon attention sur son être parce que moi, je suis
dégoutée d'écouter quelqu'un qui ne m'a jamais écoutée, je suis vraiment
dégoûtée de regarder une muraille qui a toujours été l'obstacle à mon entrée
dans le monde, même si cette muraille est une oeuvre d'art, telle église, un
dieu, n'importe quelle chose. Si je me rends compte qu'elle est faite avec mes
fibres, mes nervures, ma chair, mon oppression, je ne peux plus l'admirer, je
ne la considère pas comme une valeur...Je dois vraiment le dire: non seulement
je n'aspire pas à cette chose là, mais je ne peux même pas la regarder. A ce
point là, le poète me dégoûte, voilà. Et je dis poète parce que tu es un artiste
et que je ne peux pas dire que l'artiste me dégoute, mais...
P. - Hé, dis-le.
C. - Non, c'est comme lorsque j'ai dit "Crachons sur Hegel" (premier livre
de
Carla Lonzi) et que je voulais dire "Crachons sur Marx". Tout ce qui se
passe devant moi, qui est fait de moi, mais qui, ensuite, m'a effacée, fusse la
merveille des merveilles, n'a plus aucune suggestion sur moi, voilà. Ce n'est
pas idéologique, ce que je dis, c'est charnel, existentiel...J'entends quelqu'un
qui lit de la poésie et ça me laisse froide, je vois un artiste qui évoque des
mélodies, des climats spirituels, et ça me laisse froide. N'importe quelle chose
me laisse froide, qui ne soit pas l'affirmation de moi.
P. - Mais tu comprends que tu ne résouds rien, que tu n'aides à rien,
que tu ne participes à rien, que tu es seulement destructive, et cela,
pourquoi? Faire un harakiri pour quel motif?
C. - Ceci, que tu appelles "harakiri", en réalité, est ma vie. Me sentir