La mer, image d'une Bretagne rêvée

Dans l’imaginaire collectif, qui dit Bretagne, dit façade maritime. Les touristes, en quête d’un grand bol d’air et attirés par la mer et les embruns, déferlent sur les côtes sauvages bretonnes.

La carte postale n’échappe pas à la règle et sublime les paysages bretons. Elle valorise les landes, dépourvues d’âmes qui vivent, et bordant des roches déchiquetées, frappées par une mer déchainée.

Ces « images de cartes postales » répondent à l’attente des vacanciers qui veulent partager le dépaysement ressenti tout au « bout de la terre » en Finistère. Les éditeurs privilégient les vues côtières, les ports mais aussi les plages, casinos et autres lieux touristiques. Les premières stations balnéaires, dont se feront l’écho les voyageurs, trouvent ainsi à travers la carte postale un excellent support publicitaire.

Loup de mer, Brave, Mousse et son patron, Marins islandais et autres Gens de mer, nombreux sont les portraits de pêcheurs posant fièrement pour la postérité ou photographiés sur le vif dans leur quotidien.

Ces marins bretons, avec leurs visages burinés et mains calleuses façonnés par une vie rude, sont de parfaits modèles pour les photographes à la recherche de vraies « tronches ».

Partis au loin plus de la moitié de l’année, après la sardine, le thon ou la morue, ces hommes personnifient la rude vie en mer dont ils tirent courageusement leur subsistance et celle de leur famille.

Ils sont souvent représentés casiers ou lignes en mains, préparant la cotriade ou simplement pipe en bouche.

On les retrouve encore bardés de médailles pour les nombreux sauvetages réalisés. Prenons l’exemple de René Autret, patron de l’Amiral Roze qui en 141 sorties à la barre d’un canot d’à peine plus de 10 mètres, sauva la vie à 233 personnes et fut fait chevalier de la légion d’honneur en 1891.

La célèbre marinière popularisée par Coco Chanel puis par Jean-Paul Gaultier, ne doit pas faire de l’ombre aux nombreuses déclinaisons des tenues de travail portées par les marins bretons.
Composées de vêtements avant tout pratiques, et inusables de préférence, elles doivent survivre aussi bien à tous les paquets de mer et tempêtes essuyés par le pêcheur, qu’à l’érosion du quotidien.
Les couleurs sont semblables à celles de leurs bateaux : ocre comme les voiles tannées par un mélange de saindoux, d’eau de mer et d’écorce de pin ; ou bleu comme les filets des sardiniers que l’on trempe dans un bain de sulfate de fer.

En cas de gros temps, le loup de mer résiste à tout avec pantalon, vareuse et chapeau en toile cirée.
Ils sont souvent représentés coiffés d’un béret ; les pêcheurs du Léon dans le nord Finistère portent, eux, d’étranges bonnets appelés « calaboussen ».

La carte postale renvoie l’image d’un monde maritime difficile dans lequel il faut faire preuve de courage et d’humilité. Les éditeurs forcent particulièrement le trait en mettant en lumière certaines figures comme les épouses inquiètes attendant le retour de leur mari, les marins expérimentés ou les mousses si juvéniles.

En l’absence de documents d’archives prouvant leur existence, la légende des naufrageurs, ces effrayants pilleurs de bateaux rejetés à terre, persistera longtemps.

La carte postale véhicule aussi la misère de ces gens de mer : entre les crises sardinières, les familles nombreuses et les veuves qui doivent assumer seules la charge familiale, la pauvreté est fréquente et s’installe durablement.

« Pour savoir prier, il faut avoir été marin ».
Face à un océan immense et tempétueux, des mécanismes sont mis en place pour attirer les bonnes grâces de la Providence.
Risquant naufrage et noyade, les équipages se tournent vers la prière en faisant un vœu qui implique la réalisation d’une promesse s’ils revoient la terre. Ainsi, les ex-voto maritimes peuvent être des tableaux, plaques gravées ou maquettes de bateaux que les marins portent en procession chaque année et qu’ils offrent en remerciement à la Vierge.

Au moment de son lancement, chaque nouveau bateau est baptisé durant une cérémonie religieuse permettant aux marins d’embarquer Dieu avec eux. Chaque année, avant le début de la campagne de pêche, navires et barques décorés sont bénis par le curé afin de protéger les hommes partant pour de longs mois en mer.

En Bretagne, de nombreux intersignes annoncent la mort prochaine. Pour les épouses de marins de la région de Plouézec restant longtemps sans nouvelle, un cierge allumé auprès de la statue de Saint-Loup révèle comment va l’absent : si la flamme brûle claire et droite alors l’homme se porte bien ; mais gare si elle crachote ou s’éteint soudainement, la mort du marin est alors certaine.
Reste alors le souvenir de l’époux, matérialisé au cimetière sur le mur des disparus en mer à Ploubazlanec ou par la pratique de la Proëlla à Ouessant, où une petite croix de cire est veillée et même enterrée en lieu et place du corps à jamais perdu.

La chanson maritime raconte pêle-mêle les fortunes de mer, la beauté des filles et le courage des matelots. Le chant sert aussi à rythmer les tâches répétitives, à redonner du courage aux cœurs défaillant et des forces aux énergies déclinantes. Tout comme la danse vient délasser les ouvrières après de longues heures passées à leur poste de travail.

La mer constitue une source inépuisable d’inspiration à des centaines de paroliers et interprètes. Parmi les plus connus : Théodore Botrel et sa célèbre Paimpolaise ; la chanteuse Fréhel, de son vrai nom Marguerite Bloc’h, qui pris le nom du Cap ; ou Suzy Solidor, Suzanne Rocher rebaptisée comme la tour malouine, chantant la mer et les filles de Saint-Malo…
Les bretons peuvent se procurer les paroles des chansons de Botrel sous forme de cartes postales au rythme d’une par strophe.

Têtus, promptes à s’enflammer voire parfois à se révolter pour défendre leur profession, les pêcheurs bretons sont aussi très attachés à leur terre.

L’engagement des pêcheurs n’est pas uniquement lié à une identité géographique. Il s’enracine dans un sentiment plus large d’appartenance à une culture, qu’ils naviguent sur les mers du globe ou qu’ils soient rentrés à leur port d’attache. Tout comme la musique, la danse et la langue, l’océan a forgé l’identité bretonne.