Conception : Musée de l’aviation et de l’espace du Canada
Canada Aviation and Space museum
Entre 1952 et 1959, Avro Canada a développé et perfectionné le CF-105 Arrow, un chasseur d’interception tout temps.Le CF-105 Arrow d’Avro avec le design épuré, futuriste aux ailes en delta a stimulé l’imagination des Canadiens comme peu de projets l’ont fait, et ce, auparavant ou depuis.
Introduction
Conçu pour défendre le Canada contre les offensives de bombardiers soviétiques, l’Arrow représentait de remarquables avancées en aérodynamique, technologie de l’aviation assistée par ordinateur, fabrication, commandes de vol, conception de moteurs, et vitesse. Le design épuré, futuriste aux ailes en delta a émerveillé le public canadien, encouragé par des publicités nationalistes et une couverture de presse populaire.
Malgré les avancées technologiques de l’aéronef, et la publicité dont il a bénéficié, le gouvernement canadien a annulé le projet en 1959 en raison des dépassements de coûts, des défis techniques et de la politique de la Guerre froide.
Malgré les avancées technologiques de l’aéronef, et la publicité dont il a bénéficié, le gouvernement canadien a annulé le projet en 1959 en raison des dépassements de coûts, des défis techniques et de la politique de la Guerre froide.
La guerre froide et l’ère de l’avion à réaction
À la fin des années 1940, une menace croissante provenant de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), un ancien allié de la Seconde Guerre mondiale, a pris la forme de ce que l’on a nommé la « guerre froide ».
Les relations entre les Étais-Unis et l’Union soviétique se sont aggravées pendant les années 1950. Des planificateurs de la défense avaient prédit que l’URSS passerait à l’attaque en envoyant des bombardiers au-dessus de l’Arctique canadien. Par conséquent, le Canada a été coincé entre les deux superpuissances, littéralement et figurativement.
Avro Canada a été créée dans cet environnement. L’entreprise a réussi à concevoir, à construire et faire voler le CF-105 Arrow, un chasseur tout temps, pour aider le Canada à contrer ces menaces.
L’histoire de l’Arrow commence avec la fondation d’Avro Canada, en décembre 1945.
L’entreprise, qui a repris l’exploitation d’une ancienne usine d’avions militaires du gouvernement, Victory Aircraft, a été créée pour concevoir des aéronefs au Canada et non seulement prendre des contrats pour construire des appareils conçus à l’étranger.
L’équipe d’Avro était jeune et ambitieuse. Les trois principaux joueurs étaient Frederick Smye, président d’Avro Aircraft durant le projet Arrow; Crawford Gordon, président d’A.V. Roe Canada entre 1951 et 1959; et James C. Floyd, ingénieur en chef d’Avro qui a dirigé l’équipe ayant conçu et construit le CF-105 Arrow d’Avro.
Au départ, l’équipe d’Avro Canada était formée de 350 anciens employés de Victory Aircraft pour finalement compter plus de 14 000 travailleurs.
Les installations de la petite ville de Malton se sont rapidement améliorées en raison de la présence d’Avro Canada, notamment les logements, les infrastructures et les commodités.
Entre 1946 et 1952, l’équipe d’Avro Canada a réalisé de nombreuses « premières » canadiennes impressionnantes, comme la conception et la production du Jetliner (premier avion à réaction commercial conçu et piloté en Amérique du Nord) et du CF-100 (premier avion-chasseur de conception canadienne à l’entrer en service).
En 1952, les tensions de la guerre froide montaient et les rumeurs de chasseurs supersoniques, de missiles guidés et d’espions soviétiques remplissaient les journaux.
Même si le CF-100 venait tout juste d’entrer en service, la course aux armements accrue entre les superpuissances le menaçait d’obsolescence. L’Aviation royale canadienne avait besoin d’un nouveau type d’aéronef, un appareil qui pourrait maintenir une vitesse supersonique pendant une durée prolongée, afin d'intercepter les futurs bombardiers ennemis survolant le nord du Canada.
La naissance de l’Arrow
En 1952, une nouvelle fiche technique a été énoncée par l’Aviation royale canadienne pour la prochaine génération de chasseurs.
Ces spécifications définissaient des capacités plus sophistiquées pour contrer la menace des bombardiers supersoniques nucléaires soviétiques qui pourraient s’infiltrer dans l’espace aérien du Canada.
Avro Canada a présenté plusieurs propositions pour que l’avion-chasseur aux ailes en delta respecte ces spécifications. Puis, en 1954, ils ont conclu une entente avec le gouvernement canadien pour la conception de l’Arrow.
Les spécifications de conception de par l’Aviation royale canadienne étaient colossales et surpassaient tout ce qui avait été documenté ailleurs dans le monde occidental.
L’ingénieur en chef, Jim Floyd, a commenté plus tard : « Ce que demandait l’état-major aérien n’était rien de moins que la Lune. »
––Jim C. Floyd (cité dans Shutting Down the National Dream p. 180, à partir d’une entrevue du 10 juin 1979)
Une équipe d’ingénieurs et de concepteurs dévouée, dirigée par Jim Floyd, s’est vue attribuer la tâche de proposer un aéronef qui respecterait ces caractéristiques techniques sophistiquées.
Pour passer de la planche à dessin à la chaîne de production, Avro Aircraft a mené l’un des plus ambitieux programmes d’essai en soufflerie, structurel et de système jamais entrepris.
Les essais étaient intenses. Ils comprenaient notamment un programme de grands modèles équipés à vol libre montés sur des propulseurs-fusées Nike et lancés au-dessus du lac Ontario pour vérifier l’aérodynamique.
Le matériel de construction était prêt à commencer la production dès que les spécifications étaient disponibles, dont un autoclave de collage métal-métal spécialisé, des fraiseuses et des bâtis de montage.
« Une maquette pleine grandeur en métal a été faite à l’aide des outils de production dès qu’ils étaient disponibles. De plus, cette maquette servait non seulement de dispositif d‘essai des outils, mais était également utilisée pour former les équipes de production. »
—Jim Floyd, British Commonwealth Lecture 1958, « The Canadian Approach to All-Weather Interceptor Development », publié dans le Journal of Aeronautical Engineers, vol. 62
Une maquette du poste de pilotage a même été fixée sur un camion et sa visibilité mise à l’essai sur la piste de décollage.
L’Arrow était également l’un des premiers aéronefs au monde à être doté d’un système de commande de vol électrique, remplaçant les commandes mécaniques par des fils électriques.
Outre un nouvel aéronef, les ingénieurs d’Avro Aircraft ont déterminé qu’aucun moteur existant ne serait suffisamment puissant pour respecter les spécifications sophistiquées de l’Aviation royale canadienne.
La société sœur, Orenda Engines, s’est proposée pour créer un successeur au moteur innovateur qu’elle avait conçu et construit pour le CF-100, l’Orenda.
Construire un nouvel avion et un nouveau moteur en même temps était risqué, mais Avro Canada a décidé d’aller de l’avant avec les deux projets.
Le nouveau moteur Iroquois était capable d’une poussée de 12 000 kg (23 450 lb).
La production du premier Arrow, numéro d’immatriculation RL201, a commencé en 1956. On prévoyait son premier vol pour la fin de 1957.
Des retards dans le calendrier et des problèmes techniques ont retardé cette date.
Le dévoilement de l’Arrow
Le 4 octobre 1957, une foule comptant plus de 13 000 personnes s’est rassemblée à l’extérieur de l’usine d’Avro Aircraft à Malton, en Ontario. Les gens attendaient impatiemment d’apercevoir l’aéronef entièrement assemblé et, parmi eux, bon nombre avaient participé à la conception, à la planification et à la construction.
Avant même son premier vol, l’apparence épurée de l’Arrow (et son coût onéreux) a sérieusement attiré l’attention du public et des médias.
C’était la première fois que l’Arrow était dévoilé au public et la première fois que de nombreux employés le voyaient assemblé.
Après les discours, le ministre de la Défense nationale, George Pearkes, a tiré sur une corde pour faire tomber le rideau doré, révélant à la foule l’aéronef blanc épuré aux ailes en delta.
Un groupe de musique jouait, des photographes de presse prenaient des photos et la foule applaudissait et acclamait.
Bien que le dévoilement ait été bien préparé par le service de relations publiques d’Avro Canada, jusqu’à la tenue de l’événement à 14 h pour garantir la possibilité de diffusion de l’information dans l’édition de soirée des journaux, la controverse entourait le projet. Plus de 4 000 emballages promotionnels glacés en 8 x 10 ont été envoyés.
Les coûts qui augmentaient et le changement de gouvernement de libéral majoritaire à conservateur minoritaire en 1957 ont exercé une pression extrême que le programme Arrow ait un bon rendement, particulièrement puisqu’il y avait de nombreuses discussions portant sur la fin possible de l’ère des avions pilotés.
Douglas Letterman, journaliste au Hamilton Spectator, a bien résumé ce numéro :
« L’Arrow, qui ne sera pas en service dans l’escadron avant 1961, sera-t-il bientôt distancé par les fusées Voilà la véritable course à laquelle l’Arrow est confronté. Il ne s’agit pas de faire face aux bombardiers russes, qu’il peut détruire de façon spectaculaire, mais à l’échelle de temps de l’ère des missiles qui réduit rapidement sa vie utile de combat. » (—Douglas Letterman, « Canada Unveils the H-Jet », Hamilton Spectator, le 4 octobre 1957)
Le pilote d’essai en chef d’origine polonaise, Janusz Zurakowski, a combattu pour l’Aviation royale canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait la réputation d’être un excellent pilote. Il avait fait l’essai du CF-100 et allait maintenant être le premier à piloter le CF-105 Arrow.
L’Arrow vole
Bien que l’Aviation royale canadienne et le gouvernement aient trouvé la situation de plus en plus alarmante en raison des coûts croissants du programme Arrow et des retards dans le calendrier, Avro Canada a décidé d’aller de l’avant avec la production.
Le 25 mars 1958, le premier CF-105 Arrow d’Avro était prêt à effectuer des vols d’essai. Le célèbre pilote d’essai Janusz Zurakowski était aux commandes et accompagné d’une escorte aérienne composée de deux des quatre hommes qui piloteraient un jour des CF-105 : le pilote d’essai, collègue chez Avro Canada, « Spud » Potocki, et le pilote de l’Aviation royale canadienne Jack Woodman.
Pendant que M. Zurakowski effectuait les dernières inspections, tous les employés non essentiels ont afflué dans l’aire de trafic pour assister au vol.
M. Zurakowski a décollé à 9 h 51, le 25 mars 1958, près de cinq mois après la présentation publique de l’Arrow.
Les employés étaient ravis de voir l’aéronef aux ailes en delta décoller, bien qu’ils aient aussi été nerveux à l’idée que quelque chose tourne mal.
Le premier vol, d’une durée de 35 minutes, s’est déroulé comme prévu. M. Zurakowski était satisfait de voir que l’aéronef réagissait beaucoup comme le simulateur de vol.
M. Zurakowski a plus tard déclaré :
« Le premier vol de l’Arrow, le 25 mars 1958, était très simple. Il ne fallait vérifier que la réponse des commandes, des moteurs, du train d’atterrissage et des aérofreins, la réaction de l’appareil à une vitesse de 400 nœuds (460 mi/h) et à faible vitesse dans une configuration d’atterrissage. Il y avait certainement plus de fébrilité chez les milliers d’employés d’Avro qui regardait mon premier vol que pour moi assis au poste de pilotage, tentant de me rappeler les centaines de choses à faire et à éviter. »
(« Test Flying the Arrow », J. Zurakowski, Canadian Aviation Historical Society Journal, 1979)
M. Zurakowski a accordé des entrevues à plusieurs journaux et stations de radio/télévision. De plus, des séquences filmées ont été présentées partout au pays.
Vol d’essai de l’Arrow
Quatre hommes ont finalement piloté le CF- 105 Arrow d’Avro : les pilotes d’essai d’Avro Aircraft Janusz Zurakowski (surnommé Zura), Wladyslaw « Spud » Potocki, Peter Cope et le pilote d’essai de l’Aviation royale canadienne, Jack Woodman. M. Zurakowski a continué de faire des vols d’essai du RL201, avec M. Woodman aux commandes pour la première fois le 22 avril 1958. M. Potocki a piloté le RL201 seulement une fois, le 23 avril.
Le RL202 était prêt en août, mais a été gravement endommagé en novembre 1958 lorsque les pneus ont éclaté à l’atterrissage. Le pilote, « Spud » Potocki, n’a heureusement pas été blessé. Plus tôt ce même jour, il a volé à Mach 1,98, la plus haute vitesse attente par l’Arrow.
Le RL203 est sorti de l’usine de production en septembre 1958. Il a été piloté à des vitesses supersoniques dès son premier vol, avec M. Zurakowski aux commandes.
Le RL204 a la particularité d’avoir été le seul Arrow à atterrir à l’extérieur de Malton. Le pilote d’essai, Peter Cope, a fait un arrêt non prévu à la base de l’Aviation royale canadienne à Trenton, en février 1959, à cause d’une piste bloquée.
Le RL205 n’a été piloté qu’une seule fois, en janvier 1959. Des problèmes de moteur ont forcé l’aéronef à rester au sol et il n’a jamais plus volé.
Le RL201 a été piloté pour la dernière fois par « Spud » Potocki le 19 février 1959. Le lendemain, le programme était annulé.
Éclipsé par les événements
La journée même du dévoilement public de l’Arrow en octobre 1957, l’Union soviétique lançait le premier satellite au monde, Sputnik 1. Le lancement a non seulement éclipsé la cérémonie de l’Arrow dans les journaux, mais il a également joué un rôle décisif dans l’annulation complète du programme canadien de chasseur à réaction moins de 15 mois plus tard.
Le RL206 était presque terminé quand le gouvernement a annulé le programme Arrow le 20 février 1959.
Le 23 février 1959 marquait le 50e anniversaire du vol propulsé au Canada et Avro avait intensifié la publicité menant à une série d’événements planifiés.
Malheureusement, le projet Arrow a été annulé seulement trois jours avant les festivités.
Le premier ministre Diefenbaker qui faisait l’annonce de l’annulation à la Chambre des communes a déclaré :
« Malheureusement, ces réalisations exceptionnelles ont été éclipsées par les événements. Au cours des derniers mois, on en est venu à la conclusion que la menace du bombardier contre lequel le CF-105 était censé nous défendre a diminuée… Les agresseurs potentiels semblent plus portés à cibler leurs efforts sur le développement de missiles. »
(Hansard, le 20 février 1959)
« [L’Arrow] aurait été obsolète avant même d’être prêt à être utilisé dans l’escadron. On ne peut justifier la construction de chariots dans l’ère des véhicules à moteur. »
(—Premier ministre John Diefenbaker, The Globe and Mail, le 24 février 1959)
Après l’annulation du programme Arrow, Avro Canada a mis à pied près de 14 000 employés (chez Avro Aircraft et Orenda Engines).
De nombreuses autres personnes ont perdu leur emploi chez les sous-traitants et les fournisseurs.
L’aéronef terminé, ainsi que de nombreux plans et modèles, a été détruit sur ordre du ministère de la Défense nationale, mais l’histoire et la controverse entourant l’Arrow se poursuivent toujours.
Le CF-105 Arrow d’Avro a stimulé l’imagination des Canadiens comme peu de projets l’ont fait, et ce, auparavant ou depuis.
La combinaison de la promotion nationaliste, des craintes de la guerre froide, et de l’allure futuriste et attrayante de l’aéronef ont laissé une impression persistante.
Même aujourd’hui, près de 60 ans plus tard, l’Arrow fait encore l’objet d’examens minutieux, de théories conspirationnistes, d’innombrables articles de journaux et de magazines, de livres et même d’émissions de télévision et de pièces de théâtre.
Bon nombre d’ingénieurs talentueux ayant travaillé sur le projet du CF-105 Arrow d’Avro sont ensuite entrés au service de diverses entreprises au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Certains ont même participé aux programmes Gemini et Apollo de la NASA, participant à l’envoi du premier humain sur la Lune.
Les avancées technologiques réalisées durant le développement de l’Arrow existent encore, dans la conception et le développement d’aéronefs partout au monde.
La collection
Plusieurs des principaux joueurs ayant participé au développement de l’Arrow ont conservé des souvenirs, des photographies, des bulletins de nouvelles, des notes et des modèles. Un de ces collectionneurs est le président d’Avro Aircraft, Fred Smye, qui a finalement remis ces objets au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Le Musée abrite en outre une collection de plus de 500 images de l’Arrow à différentes étapes de la planification, de la production, des vols d’essais et du désassemblage, lesquelles ont été remises par la société mère d’Avro Canada, le groupe Hawker Siddeley.
Bon nombre des photographies du personnel d’Avro, du CF- 105 Arrow d’Avro et des installations de production que possède le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada ont été prises pour le bulletin de nouvelles des employés, le Avro News Magazine, et autre matériel promotionnel.
Le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada a également une collection de plans et de plusieurs pièces provenant des six aéronefs Arrow produits.
Bien qu’aucun appareil Arrow complet n’ait survécu aux chalumeaux coupeurs, cet aéronef continue de voler grâce aux photographies, aux articles, aux documentaires et aux artéfacts.
Créé par le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, 2016.
Bibliographie
Avro News Magazine, divers numéros, de 1949 à 1959
L’Archives du MAEC
Campagna, Palmiro. Storms of Controversy: The Secret Avro Arrow Files Revealed.
Toronto, Canada : Stoddart, 1992.
Dow, James. The Arrow. Toronto : J. Lorimer, 1979.
Organ, Richard. Avro Arrow: The Story of the Avro Arrow from Its Evolution to Its Extinction. Cheltenham, Ont. : Boston Mills, 1980.
Stewart, Greig. An Arrow through the Heart: The Life and times of Crawford Gordon and the Avro Arrow. Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1998.
Stewart, Greig. Shutting down the National Dream: A.V. Roe and the Tragedy of the Avro Arrow. Toronto, Canada : McGraw-Hill Ryerson, 1988.
Valiquette, Marc-André. L’anéantissement d’un rêve : la tragédie d’Avro Canada et du CF-1 (vol. 1 à 3). Laval, Québec : 2009.