Les origines indienne et arabe
La plus ancienne description d'une machine à mouvement perpétuel remonte au VIIe siècle en Inde. Souhaitant représenter le mouvement cyclique et éternel des cieux, le mathématicien Brahmagupta a conçu une roue déséquilibrée dont la rotation était alimentée par le flux de mercure à l'intérieur de ses rayons creux. Au XIIe siècle, un autre mathématicien indien, Bhāskara, a modifié la conception de la roue en donnant aux rayons creux une forme incurvée pour produire une trajectoire asymétrique en constant déséquilibre.
Perpetual wheel with oscillating masses (1201/1300), AnonymousMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Les premiers témoignages du monde arabe datent de la même époque : un manuscrit anonyme du XIIIe siècle sur les roues hydrauliques contient des dessins et des explications concernant huit roues à mouvement perpétuel. L'idée d'une machine à mouvement perpétuel a commencé à se répandre en Occident au milieu du XIIIe siècle.
Le mouvement perpétuel au Moyen Âge
La plus ancienne référence à une machine à mouvement perpétuel en Europe est le dessin d'une roue déséquilibrée, manifestement influencée par les modèles arabes, dans le carnet de Villard de Honnecourt, un architecte picard du XIIIe siècle. Au cours du même siècle, le scientifique Pierre de Maricourt, lui aussi d'origine picarde, présente dans son étude sur la pierre de lune une curieuse roue à mouvement perpétuel fonctionnant par "induction magnétique".
Mechanical overbalanced wheel (1225/1235), Villard de HonnecourtMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Les preuves médiévales sont généralement rares, car les artisans et les ingénieurs n'avaient pas l'habitude de communiquer leurs connaissances sous forme écrite. Cependant, les discussions sur le mouvement perpétuel étaient courantes au milieu du XIVe siècle, comme le laissent supposer entre autres les ouvrages de deux auteurs renvoyant à un débat entre maîtres-artisans et artisans qui sévissait déjà depuis un certain temps.
Les ingénieurs siennois
Les manuscrits des ingénieurs italiens du XVe siècle montrent leurs tentatives d'appliquer le concept de mouvement perpétuel à des machines fonctionnelles.
Perpetual overbalanced wheel (1419/1450), Mariano di Jacopo known as TaccolaMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Dans son livre "De ingeneis", le siennois Mariano di Jacopo, dit Taccola (1381-env. 1458), décrit la roue déséquilibrée avec des bras articulés illustrée par Villard de Honnecourt et dans les manuscrits arabes.
Recirculation mills (1478/1481), Francesco di Giorgio MartiniMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Il fournit également des modèles de roues déséquilibrées et de ce qui semble être une roue équipée de bras mobiles et de godets pour l'excavation. Un autre ingénieur siennois, Francesco di Giorgio (1439-1501), a exploré le concept du moulin à recirculation.
Recirculation mill (1465/1470), Francesco di Giorgio MartiniMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Il a même imaginé de véritables centrales hydrauliques composées de plusieurs roues alimentées par le bassin du moulin dans lequel l'eau serait acheminée par des vis d'Archimède ou des pompes actionnées par les moteurs.
Études du jeune Léonard de Vinci
Fasciné par les dessins de moulins à recirculation d'eau qu'il a découverts dans les manuscrits d'autres ingénieurs, le jeune Léonard de Vinci a étudié ce sujet en profondeur. Il a imaginé des bassins qui se rempliraient d'eau par des moyens automatiques.
Perpetual motion pump (1480/1482), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Il a dessiné un moteur hydraulique relié à une pompe à piston ou à une vis d'Archimède, censée être alimentée par la force de la chute de l'eau soulevée par le moteur lui-même.
Study of a self-powered water-lifting machine (1480 circa), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Léonard de Vinci avait sans doute compris la difficulté de produire un mouvement perpétuel, car il a augmenté la complexité de ces machines pour tenter de trouver la solution qui maintiendrait le système en mouvement.
Études sur les roues perpétuelles
Dans la première moitié des années 1490, Léonard de Vinci a abandonné la notion de moulin à recirculation pour étudier les roues déséquilibrées par des moyens mécaniques (avec des sphères mobiles ou oscillantes) ou hydrauliques (systèmes utilisant les vis d'Archimède pour faire monter et descendre l'eau). Il a conçu plusieurs modèles et a probablement essayé d'en fabriquer, avant de conclure ces recherches en écartant la possibilité du mouvement perpétuel. Identifiant la gravité et l'attrition comme les forces qui le rendent impossible, il a comparé le mouvement perpétuel aux recherches des alchimistes pour transmuter les métaux.
Self-propelling perpetual motion hydraulic system (1487/1490), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies of perpetual engines based on the Archimedean screw (1487/1490), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies of perpetual overbalanced wheels (1487/1490), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies for the design of a perpetual wheel (1490), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Perpetual motion pumping system (1490/1495), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Recto du feuillet 1062 du "Codex Atlanticus" et roues perpétuelles dans le "Codex Forster II"
Dans le recto du feuillet 1062 (env. 1497-1500) du "Codex Atlanticus", Léonard de Vinci présente les différentes roues mécaniques qu'il a étudiées jusque-là, dotées de bras oscillants et de boules mobiles.
Reflection on the impossibility of perpetual motion (1487/1490), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
En conclusion de son étude, il propose un nouveau système de roue perpétuelle, mis en mouvement par des boules roulant d'un bout à l'autre de deux canaux rectilignes reliés entre eux pour former une trajectoire continue. Ces modèles sont également reproduits et expliqués dans le "Codex Forster II".
Études complémentaires sur les roues perpétuelles
Au milieu des années 1490, si Léonard de Vinci est arrivé à la conclusion que le mouvement perpétuel était impossible, il a continué à envisager la construction de systèmes rotatifs capables de rester en mouvement. Ses études sur les vis d'Archimède présentent un intérêt particulier. Léonard de Vinci les a conçues et modifiées pour tenter d'exploiter le flux de l'eau afin de créer le déséquilibre nécessaire pour les faire tourner. Cela aurait permis de les utiliser comme moteurs pour alimenter des machines fonctionnelles.
Study for the design of an overbalanced wheel (1495 circa), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies for the design of a perpetual wheel with articulated arms (1493/1495), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies for the design of a mechanical perpetual wheel (1497), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies for the design of a mechanical perpetual wheel (1499/1500), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Un moteur perpétuel à pistons
Au verso du feuillet 1062 du "Codex Atlanticus", Léonard de Vinci décrit un modèle qui se distingue de ses autres études par l'attention portée aux matériaux. Il s'agit d'un moteur basé sur le déséquilibre, comportant deux cylindres et deux pistons reliés par un circuit hydraulique. D'après le dessin, la roue est équipée d'une paire de ces systèmes montés à angle droit l'un par rapport à l'autre. Cependant, Léonard de Vinci prévoyait d'en monter quatre sur le même essieu, de manière à avoir un cylindre, et donc une force motrice, tous les 30 degrés. En se déplaçant vers le bas, le piston pousse l'eau contenue dans le circuit vers l'autre cylindre. Cela augmente le déséquilibre et facilite ainsi la rotation. Le mouvement de la roue est réglé par un échappement à verge (foliot)
Une nouvelle idée
Au début des années 1500, les études de Léonard de Vinci sur le mouvement perpétuel ont connu un nouvel élan grâce à ses expériences avec l'eau. Considérant la pression hydrostatique comme une force antagoniste à celle de la gravité, il envisageait de l'utiliser pour assister le mo
Analysis of Domenico Balestrieri’s perpetual wheel (1508/1510), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies for the design of a mechanical perpetual wheel (1515), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Perpetual hydraulic wheel (1513/1514), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Studies for an Archimedean screw (1513/1514), Leonardo da VinciMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Galilée et le mouvement perpétuel
Mis à part quelques allusions dans le "Dialogue sur les deux grands systèmes du monde", Galilée ne nous a pas laissé d'études systématiques du mouvement perpétuel, probablement parce qu'il en reconnaissait l'impossibilité. Pour lui, seul un mouvement circulaire et uniforme, comme celui des planètes, pouvait être perpétuel. Surtout pas un mouvement rectiligne, constamment accéléré ou ralenti. Pour être en mouvement perpétuel, il faudrait que l'objet lui-même soit incorruptible et éternel, ces deux conditions étant nécessaires, mais jamais concomitantes dans la nature. Si les réponses de Galilée à quelques lettres décrivant des machines à mouvement perpétuel ont été perdues, on peut supposer qu'il invitait ses correspondants à rechercher les causes réelles du mouvement produit par ces machines, car il pensait qu'aucun artifice humain ne pouvait violer les lois de la nature
Entre incertitude et fraude
Au XVIIIe siècle, les opinions sur la possibilité du mouvement perpétuel restaient partagées. Dans le contexte de la physique développée par Isaac Newton, cependant, la conviction s'est imposée que, dans le monde réel, la valeur d'un effet dynamique ne pouvait jamais être exactement égale ou supérieure à sa propre cause. En d'autres termes, une partie, même infime, de la puissance d'un système mécanique est toujours perdue à cause de la résistance et de l'attrition. Cette thèse n'a pas arrêté les théoriciens, qui ont imaginé l'existence de forces naturelles d'un autre type que les trois connues à l'époque : la force gravitationnelle, la force électrique et la force magnétique. Elle n'a pas non plus découragé les inventeurs, toujours à la recherche d'une percée qui leur permettrait de réaliser leurs rêves mécaniques. Surtout, elle n'a pas dissuadé les escrocs qui, dans l'incertitude générale, ont souvent pu asseoir leur crédibilité et obtenir des financements
“Perpetual motion” clock (1660/1680), Giuseppe Campani (attr.)Museo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Perpetual overbalanced wheel with spheres (1724), Jacob LeupoldMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Mechanical paradox (1801/1820), Italian makeMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Zamboni’s “Perpetual electromotor” and its parts (1851/1900), Italian makeMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
"Descrizione ed uso dell’elettromotore perpetuo" (1814), Giuseppe ZamboniMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
New method of impelling machinery without the aid of steam, water, wind, air, or fire (1822), George LintonMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
La fin du mouvement perpétuel ?
Au début du XIXe siècle, la généralisation des machines à vapeur a favorisé le développement de la thermodynamique. Cette nouvelle branche de la physique n'a pas prouvé l'impossibilité du mouvement perpétuel, mais l'a posé comme axiome pour déduire que le rendement d'un moteur ne pourrait jamais atteindre 100 %. Une partie de l'énergie qui alimente un système thermomécanique est inévitablement dissipée. Par la suite, avec la découverte des processus atomiques à l'origine du mouvement et de la chaleur, et avec la définition statistique du concept d'irréversibilité des phénomènes naturels, la question du mouvement perpétuel a enfin trouvé une réponse. Si le mouvement perpétuel n'est pas impossible en théorie, il est extrêmement improbable. En fait, il est plus probable qu'un singe tapotant au hasard sur un clavier écrive "Guerre et Paix" que l'on puisse réaliser un jour le mouvement perpétuel
Réflexions sur la puissance motrice du feu... (1824), Nicolas Léonard Sadi CarnotMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Vorlesungen über Thermodynamik (1897), Max PlanckMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
Feynman Physics / The Feynman Lectures on Physics (1975), Richard P. Feynman, Robert B. Leighton et Matthew SandsMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
6 versus 9 (2019), Alberto Fabiani, Artes MechanicaeMuseo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza
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