Au XIXe siècle, entre progrès et tradition, alors que le costume masculin perd rapidement son éclat, la mode féminine, recherche à l’inverse, de plus en plus l’opulence. Suivant l’évolution des arts décoratifs, elle interprète les styles du passé, s’inspirant de l’Antiquité, dans la lignée de la fin du siècle précédent, puis du Moyen Age, de la Renaissance et du XVIIIe siècle. Si la production de luxe n’est pas née au XIXe siècle, elle prend une dimension plus commerciale. De nouvelles méthodes de promotion des articles de mode apparaissent. La révolution industrielle permet des gains de productivité. Ces deux phénomènes, conjugués à l’apparition de nouveaux circuits commerciaux, permettent aux prix de baisser. Ainsi, dentelles, broderies, tissus imprimés, jusqu’alors réservés à une élite, deviennent peu à peu accessibles. Mais à l’époque où l’industrialisation promet une démocratisation de la mode, dans le même temps, est créée en 1858, la haute couture, dont les principes sont opposés. Apparue dès la fin du XVIIIe siècle, la presse de mode, en pleine expansion, diffuse auprès d'un large public les nouvelles créations parisiennes et participe à l'accélération des rythmes de mode.
Cothurne (1804)Musée des Arts Décoratifs
Textile et politique
S’il ne reste aucun des vêtements, robe ou manteau de cour, portés par l’impératrice Joséphine le jour du sacre en 1804, les souliers ont pu être conservés. La différenciation pied droit – pied gauche n’est pas encore effective ; les talons ont été abandonnés depuis la Révolution.
Paire de chaussures portées par l’impératrice Joséphine le jour du sacre (1804)
Brodés d’étoiles et d’abeilles, ces souliers donnent une idée du luxe déployé lors des évènements officiels et de la forte charge symbolique dont est parfois chargé le vestiaire impérial. En effet, l’abeille est un des emblèmes choisis par Napoléon Ier (1804-1815) pour symboliser le labeur mais également pour sa référence à des parures retrouvées dans le tombeau d’un roi mérovingien, assurant ainsi une filiation avec la première dynastie des rois de France.
Alors qu’il n’était encore que consul (1799-1804), Bonaparte avait promis à la ville de Lyon, dont les activités textiles étaient dévastées par la chute de l’Ancien Régime, de relancer et soutenir la production par des commandes publiques. Les tentures et les garnitures de siège des nombreuses résidences impériales ont été renouvelées, tandis que s’imposait à la cour, une nouvelle étiquette vestimentaire.
Robe de mariée (1810 (vers))Musée des Arts Décoratifs
Une silhouette féminine nouvelle
La quête de liberté politique au moment de la Révolution de 1789, a trouvé un écho dans la libération de la silhouette féminine. Celle-ci s’est exprimée par l’apparition, en 1795, de robes à taille haute tombant verticalement, interprétant vaguement le costume antique. Ces tenues sont en rupture radicale avec les habitudes des classes sociales privilégiées prisant l’expansion en largeur des jupes. Ainsi, après presque trois siècles d’usage, les accessoires féminins modelant artificiellement la silhouette sont supprimés. Cependant, des brassières, soutenant la poitrine, viennent au secours des femmes. Au fil du temps, celles-ci, de plus en plus étroitement serrées, se dotent d'un discret baleinage. La libération n’a donc été que de courte durée !
Robe de mariée (vers 1810)
Eté comme hiver, les robes sont taillées la plupart du temps, dans de légers tissus blancs, mousseline de coton ou linon. Alors que les broderies n’étaient pas fréquentes dans le vestiaire féminin d’Ancien Régime, elles font ici une timide apparition, préfigurant un retour au luxe.
Aux manches longues terminées en mitaine, succèdent les manches « ballon » courtes tandis que le décolleté carré dévoile largement la poitrine.
Engouement pour les châles cachemire
Permettant de réchauffer les robes légères afin d’affronter les rigueurs de l’hiver, le châle est l’accessoire indispensable. Les plus luxueux, les plus chauds, sont tissés en Inde, dans la vallée du Cachemire à partir de duvet de chèvres angora vivant sur les hauts-plateaux himalayens. Mais en raison du blocus continental, ces produits d’exportation ne sont plus disponibles. Encouragés en haut lieu, des entrepreneurs audacieux prennent le relai.
Écharpe (1812 (vers)), Guillaume TernauxMusée des Arts Décoratifs
Écharpe, Guillaume Ternaux (vers 1812)
Ternaux, ne reculant devant aucune contrainte, n’hésite pas financer un élevage où des chèvres venant d’Asie sont croisées avec des chèvres locales afin de produire une matière première à la fois fine et chaude.
Le châle de Ternaux interprète avec poésie la palmette cachemire et répond à la blancheur des robes Empire. Le châle rouge précédent, plus large, s’adapte à l’ampleur des nouvelles robes romantiques.
Vêtements de cour
La quête de luxe et d’apparat du début du siècle s’affirme par l’étiquette de cour imposée par l’empereur. Aux robes légères portées dans la vie courante, on préfère les lourdes soies agrémentées de broderies ou de dentelles.
Robe DosMusée des Arts Décoratifs
Robe (vers 1810)
Les coupes demeurent proches de celles initiées dès 1795, la traine donnant cependant plus de majesté.
Habit "à la française" CôtéMusée des Arts Décoratifs
Habit à la française (1804-1815)
Pour les hommes, bien que dans la vie quotidienne soient portés des vêtements plus sobres, fracs, redingotes et pantalon, « l'habit à la française » brodé d’Ancien Régime réapparait sans grand changement.
Apparue dès la fin du XVIIe siècle cette typologie de vêtements masculins comprend trois pièces. La culotte, arrêtée aux genoux, le gilet, blanc en général, l’habit à haut col officier porté par-dessus qui tranche par sa couleur sombre sans pour autant être austère. En effet, la broderie, aux riches motifs végétaux ponctue toutes les bordures et les rabats.
Le velours dont il est taillé dévoile ici de délicats petits motifs tissés, animant la surface discrètement.
Robe (1828-1829)Musée des Arts Décoratifs
Nostalgie à l’époque romantique
Dès les années 1820, l’époque romantique est marquée par un retour à la
couleur, au volume, aux motifs et ornements imposants dans le vestiaire,
comme dans les accessoires féminins.
Robe (1828-1829)
Cette robe présente un caractère beaucoup plus traditionnel et passéiste par rapport aux robes à la modernité radicale et verticale du début du XIXe siècle.
Alors que la Restauration politique s'installe (1815-1830), le corps baleiné est lui-même restauré sous le nom de corset. La nostalgie des styles du passé s’affirme aussi par une référence aux manches « gigot » et aux jupes en cloche soutenues par un vertugadin de la Renaissance.
Des textiles imprimés aux couleurs vives tranchent avec les teintes édulcorées de l’Empire. Ils trouvent un contrepoint dans la surenchère décorative des bijoux, utilisant différentes typologies de techniques afin de varier textures et brillances.
Redingote Redingote (1840)Musée des Arts Décoratifs
Abandon de l’éclat dans l’habit masculin
Leur richesse tranche désormais avec l'austérité masculine. Si le divorce entre la ville et la cour est consommé dès la fin du XVIIIe siècle, la préséance de la bourgeoisie dans la vie économique sous Louis-Philippe (1830-1848), supprime le costume d'apparat brodé et mène à une longue éclipse de la mode masculine. Les aristocrates oisifs ne sont plus les modèles à imiter ! Ce sont désormais uniquement les femmes qui reflètent le niveau de réussite sociale par l’ampleur de leur robe et la qualité des tissus, des ornements et des bijoux.
Redingote portée par Barbey d’Aurevilly (vers 1840)
A la fin de l’Ancien Régime, une vague d’anglomanie a fait apparaitre en France, la redingote en lainage issue du riding coat. Ce vêtement symbolisant l’élégance masculine du XIXe siècle, suit timidement un temps l’accroissement du volume de la jupe féminine.
On aurait imaginé cette redingote, portée par l’écrivain-dandy Barbey d’Aurevilly plus excentrique, mais ainsi que le souligne Baudelaire, évoquant Barbey : Aussi à ses yeux épris avant tout de distinction, la perfection de la toilette consiste-t-elle dans la simplicité absolue, qui est en effet la meilleure manière de se distinguer !
A l’époque des crinolines
Dans les années 1840, si le volume des manches décroit, la multiplication des ornements le compense. Le buste aminci par un corset toujours plus serré, émerge de la corolle de la jupe soutenue par plusieurs jupons puis par une crinoline inspirée du panier, indice d’historicisme XVIIIe.
Crinoline Crinoline (1867/1868)Musée des Arts Décoratifs
Crinoline (1867-1868)
En ces temps de révolution industrielle et financière, la réussite sociale s'affiche par l'ampleur de la jupe. La forme de la crinoline évolue rapidement. Ronde jusqu'en 1860, elle adopte ensuite une forme conique, puis s'aplatit sur le devant et se projette vers l’arrière dans la deuxième partie des années 1860, pour disparaître avant la fin de la décennie.
Robe Robe (1854-1855)Musée des Arts Décoratifs
Robe en deux parties (1854-1855)
Il convient de souligner le double enfermement des femmes, moral, en étant esclave des conventions sociales, physique, par le laçage de leur corset et la cage de leur crinoline.
Bracelet Deux femmes et coffret vinaigrette par François-Désiré Froment-MeuriceMusée des Arts Décoratifs
Bracelet deux femmes et coffret vinaigrette (1841)
Les bijoux-vinaigrettes ou flacons à sels conservés au musée des Arts Décoratifs tentent de palier aux nombreux malaises féminins dus à ces étouffants accessoires.
Indispensables accessoires
Le goût pour les colifichets caractérise une époque avide de surenchère décorative. Dans les boutiques élégantes des passages couverts puis des grands magasins, les propositions commerciales se multiplient.
Chapeau (1890 (vers))Musée des Arts Décoratifs
Chapeau (vers 1890)
La capote, le chapeau le plus typique au XIXe siècle, détrône le bonnet du passé dont elle a conservé le fond souple abritant le chignon. Nouée sous le cou par un large ruban, elle s’évase autour du visage.
Collet (1895-1899)Musée des Arts Décoratifs
Collet (1895-1899)
Le collet, combiné à des tenues différentes, permet de varier les propositions et d’agrémenter les robes en demi-saison.
Ombrelle (1860 (vers))Musée des Arts Décoratifs
Ombrelle (vers 1860)
Si la première destination de l’ombrelle est de se protéger du soleil, fermée et servant d’appui, elle permet aussi de se déhancher gracieusement.
Tournure et visite
La perspective du centenaire de la Révolution, relance l’intérêt pour le XVIIIe siècle. Aux palmettes cachemire, répond l’inspiration tirée de l’ornementation brodée du vestiaire masculin du siècle précédent qui est toutefois interprétée ici par une technique moins couteuse, l’impression. La copie est rarement servile !
Robe Robe (1885)Musée des Arts Décoratifs
Robe en deux parties (vers 1885)
En revanche, le volume de cette robe est nouveau, car, à partir de 1869, la tournure s'impose aux dépens de la crinoline.
Les robes forment désormais un pouf sur l'arrière, accentué par des effets de sur-jupe drapée. Dessous, plusieurs accessoires de soutien plus ou moins réglables, se succèdent ou entrent en concurrence. Echelle de volants armés de crin ou queue d’écrevisse faite de demi-cerceaux de métal ou d'osier superposés descendent presque jusqu'au sol, coussin rembourré de crin, faux-cul, ou strapontin, par leur hauteur réduite, accentuent les fesses.
Visite Visite (1870/1879)Musée des Arts Décoratifs
Visite (1870-1879)
Les châles cachemire, prisés durant une bonne partie du siècle, sont délaissés par les élégantes devant la recrudescence de versions imprimées bon marché. Certains châles sont recyclés, comme ici.
Symptomatique de l’inconfort des tenues féminines, victimes des dictats de mode, cette veste courte dite « visite », présente une coupe contraignante des manches qui, emprisonnant tout le haut du corps, ne permet que des mouvements limités. Elle s’adapte à la forme relevée de la jupe et exprime l’engouement pour le style « tapissier ».
Aux Buttes Chaumont (1888 : date de dépôt légal), Chéret, Jules JeanMusée des Arts Décoratifs
Nouveaux circuits commerciaux
Le vestiaire masculin s’étant considérablement appauvri et normalisé, celui-ci peut être désormais fabriqué en série, même si la réalisation « sur mesures » continue à être un signe de distinction. Le pantalon et le haut-de-forme apparaissent quasiment avec le siècle. La redingote, toujours appréciée est concurrencée par la jaquette, plus courte aux basques arrondies, et le veston, court lui aussi, mais à l’arrondi moins accentué. Longtemps dépareillés, le « complet » aux trois pièces assorties, s’impose vers 1875.
Affiche (1888)
Les premiers signes d'innovation industrielle sont sensibles dès le début du siècle. Dans le domaine du tissage, les métiers Jacquard permettent de programmer en partie les motifs tissés. Puis, l'assemblage des vêtements est bouleversé par la diffusion de la machine à coudre. La machine à broder apparait tandis que l'impression des textiles bénéficie de nouvelles techniques. Enfin, les progrès de la chimie enrichissent la gamme de colorants textiles. Grâce à ces innovations, les prix de vente baissent ; un embryon de confection voit le jour. Les circuits de production se distinguent désormais des circuits de vente. Allant au-devant des besoins de la clientèle, des temples dédiés au commerce sont élevés à travers le nouveau modèle du grand magasin. La publicité, touchant des cibles toujours plus larges, participe au développement économique.
Textes et choix des images : Corinne Dumas-Toulouse, historienne de l'art et conférencière au musée des Arts décoratifs
Coordination éditoriale de l'exposition virtuelle : Maude Bass-Krueger, assistée d'Alexandra Harwood et de César Imbert