Ruby’s Place, Dawson, Yukon

Saviez-vous que Parcs Canada est propriétaire d’un ancien bordel? Faites la connaissance de la tenancière Ruby Scott et des femmes parties vers le Nord en quête de bonne fortune.

Vue en grand angle de Dawson depuis l’autre côté du fleuve (2015), Parks CanadaParcs Canada

Tout est une question d’emplacement

Dawson se trouve au Yukon, à 100 kilomètres à l’est de la frontière avec l’Alaska, au confluent du fleuve Yukon et de la rivière Klondike. Avant l’aménagement des routes, ces cours d’eau étaient des voies de navigation pour transporter les gens et les biens.

Avant la ruée vers l’or

Les ancêtres des Tr'ondëk Hwëch'in vivaient dans la région aujourd’hui appelée Dawson bien avant l’arrivée des premiers colons, à la fin des années 1800. Depuis des millénaires, ils y pêchent le saumon et chassent le caribou, cultivant une relation réciproque avec la terre et ses occupants.

Visite à pied de Dawson, guidée par un interprète costumé, avec Moosehide Slide au loin. (2015), Parks CanadaParcs Canada

Moosehide Slide

Au nord de la ville, une colline a gardé les traces d’un glissement de terrain. Le site est appelé Ëdhä dädhëchą, ou Moosehide Slide en anglais. 

Point de repère utile pour les voyageurs qui arrivent par le fleuve, la colline figure dans de nombreuses histoires orales des Tr'ondëk Hwëch’in.

« Landahl’s Emporium, Dawson Second Avenue from Queen Street, Midnight, Dawson Y.T. » (1904), Canadian Photo ArchiveSource d'origine : Dawson City Museum

Bienvenue à Dawson

À Dawson, les fausses façades, les rues en gravier et les trottoirs en bois surélevés évoquent l’histoire de la ruée vers l’or. Ces hautes fausses façades donnent aux bâtiments une allure imposante – une solution plus économique et rapide que d’avoir à bâtir une structure entière de grande qualité.

Dawson aujourd’hui 

De nos jours, Parcs Canada protège plus de 20 bâtiments à Dawson, dont Ruby's Place, qui perpétuent non seulement le souvenir des anciens résidents, mais aussi celui de leurs labeurs, de leurs joies et de leurs peines. Bien des bâtiments sont encore utilisés par les résidents.

Route vers l’or du Klondike, intitulé à l’origine « Chilkoot Pass in ’98 ». (1898), Canadian Photo ArchiveSource d'origine : Dawson City Museum

De l’or!

Après la découverte d’or en 1896, cent mille personnes, surtout des hommes célibataires, partent vers le Nord. Cet engouement généralisé est ce que l’on appellera la ruée vers l’or du Klondike. Toutefois, moins de la moitié des prospecteurs arriveront à Dawson.

Intitulé à l’origine « Packing Up Chilkoot Pass" (1898), Canadian Photo ArchiveSource d'origine : Dawson City Museum

Un parcours périlleux

Le premier de nombreux obstacles sur le chemin le plus achalandé vers Dawson est la piste Chilkoot, une importante voie commerciale pour les Tlingit qui fourmille rapidement de chercheurs d’or. La souffrance est grande tant pour les hommes que pour les femmes, portés par l’espoir de s’enrichir.

Un groupe de travailleuses du sexe, à l’origine « A Group of Hard Workers, Dawson YT » (1899), Larss & DuclosSource d'origine : Dawson City Museum

Carte blanche aux quartiers chauds

Les premières années, les travailleuses du sexe qui font le voyage jusqu’à Dawson peuvent exercer librement leur métier, et la plupart le font dans le quartier chaud non officiel de la Second Avenue. Bon nombre travaillent dans des saloons ou des maisonnettes privées ou dans la rue.

Une rue de domiciles à Lousetown, à l’origine « ’White Chapel’ of Dawson ». (1898), Canadian Photo ArchiveSource d'origine : Dawson City Museum

Après la ruée vers l’or

Avec la ruée vers l’or qui s’essouffle vers 1899, la population de Dawson chute et compte désormais surtout les employés des entreprises minières industrielles. Ce changement démographique apporte des perceptions plus conservatrices et la répression des jeux d’argent, des saloons, de l’alcool et de la prostitution.

En 1899, un incendie au centre-ville de Dawson donne aux autorités un prétexte pour obliger les travailleuses du sexe à quitter la ville. Nombre d’entre elles s’installent alors de l’autre côté de la rivière Klondike, dans un secteur appelé Klondike City, ou Lousetown (ville de voyous). 

Toutefois, ce ne sont pas là les noms originaux de l’endroit. Les Tr'ondëk Hwëch’in appelaient cet endroit Tr’ochëk et l’ont utilisé comme camp de pêche saisonnier pendant des générations. Aujourd’hui, le paysage culturel de Tr’ochëk est un lieu historique national.

Quatre travailleuses du sexe, à l’origine « Goddesses of Liberty Enlightening Dawson YT » (1899), Larss & DuclosSource d'origine : Dawson City Museum

Le début d’un temps nouveau

À mesure que Dawson devient une collectivité habitée par des familles, le travail du sexe se réinvente. Le nombre de femmes offrant elles-mêmes leurs services diminue et, en 1930, ce modèle d’affaires fait davantage place aux bordels, ou maisons closes, dirigées par des maquerelles.

La majorité des prostituées arrivent à Dawson au printemps et repartent avant l’hiver. On ne sait pas d’où elles viennent, mais certaines finissent par s’établir à Dawson. Pour ces femmes marginalisées, la transition vers les bordels organisés est sans doute bienvenue et sécurisante.

Mathilde « Ruby » Scott à l’extérieur de Ruby’s Place (1935), Parks Canada Bobillier CollectionParcs Canada

Madame Ruby

Mathilde « Ruby » Scott a laissé sa marque à Dawson. En tant que tenancière de Ruby’s Place, elle est responsable de l’entreprise et des femmes qui travaillent pour elle. Elle est par ailleurs une membre influente et respectée de la communauté.

Ruby achète le bâtiment de la Second Avenue en 1935 et y exploite une maison close pendant plus de deux décennies. En 1961, elle ferme le bordel puis ouvre une maison de pension dont elle s’occupe jusqu’à sa retraite, en 1969.

De nombreux résidents de Dawson, tous âges confondus, gardent un souvenir impérissable de Ruby. Sa générosité était légendaire, à l’instar de sa réputation de cuisinière, d’hôtesse et de « brave femme ».

Des hommes cherchant de l’or sous les bâtiments en face de Ruby’s Place. (1936), Gordon ScholefieldSource d'origine : Dawson City Museum

Ruby’s Place

Ruby’s Place est l’un des premiers bordels de Dawson, en exploitation de 1935 à 1961; le bâtiment appartient maintenant à Parcs Canada, qui voit aussi à son entretien, et fait partie du lieu historique national du Complexe-Historique-de-Dawson.

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Mais Ruby’s Place n’est pas qu’un bordel. C’est aussi un bar-salon où les gens du coin bavardent en prenant un verre. Comme l’explique le professeur L.K Bertram de l’Université de Toronto, Ruby’s Place, à l’instar de la plupart des bordels, ou maisons de débauche, est aussi un lieu d’apprentissage.

De nombreuses travailleuses du sexe considèrent qu’elles jouent un rôle essentiel dans la communauté : en éduquant les hommes dans les maisons closes, elles protègent les autres femmes.

Travailleuses du sexe, à l’origine « A Drinking Bee at White Chapel Dawson » (1900), Larss & DuclosSource d'origine : Dawson City Museum

Une « mauvaise » influence

Alors que bien des gens croient que les bordels jouent un rôle nécessaire (pour autant qu’ils aient un permis de maison de chambres), d’autres considèrent que le travail du sexe et l’alcool sont de mauvaises influences.

Après son arrivée à Dawson, un nouveau ministre du culte se plaint au premier ministre Louis St-Laurent et la GRC est forcée d’intervenir. Des accusations sont déposées et des amendes imposées, lesquelles grugent les bénéfices de Ruby. Épuisée par ces épreuves, elle ferme son bordel en 1961.

Chambre à l’étage de Ruby’s Place, faisant face à l’ouest (1971), Parks CanadaParcs Canada

Bienvenue chez Ruby

Les photos de l’intérieur datent de l’époque à laquelle Parcs Canada a pris possession de Ruby's Place et montrent le mobilier tel que Ruby l’a laissé.

Ruby`s Place Front Sitting Room, Facing East Ruby`s Place Front Sitting Room, Facing East (1971), Parks CanadaParcs Canada

On en sait très peu sur Ruby avant son arrivée à Dawson. Née dans le Nord de la France dans les années 1880, Mathilde de Lignères de son vrai nom vit à Paris, Strasbourg, San Francisco, Honolulu et Keno City (une autre ville minière du Yukon) et tient des bordels dans quelques-unes de ces villes.

Plan d’étage de Ruby’s Place (2022), Parks CanadaParcs Canada

Portrait intime de l’intérieur

Ruby’s Place comprend un salon, une salle à manger et une cuisine au rez-de-chaussée, ainsi que quatre chambres à coucher à l’étage.

Chambre à l’étage de Ruby’s Place, faisant face à l’est (1971), Parcs CanadaParcs Canada

Les chambres à l’étage

Si on sait peu de choses sur Ruby, on en sait encore moins sur les femmes qui travaillaient pour elle, puisqu’elles sont rarement mentionnées dans les documents historiques. On sait par contre qu’elles travaillaient dans ces chambres.

Une robe d’été à manches courtes trouvée dans les murs de Ruby’s Place (2018), Parks CanadaParcs Canada

Sur son trente et un!

On a un indice de la façon dont elles dépensaient parfois leur argent : une robe des années 1930, découverte dans les murs pendant les travaux de restauration, qui aurait été à la mode du temps de Ruby. On ne sait pas à qui elle a appartenu, mais l’histoire qu’elle raconte sur la mode dans le Nord est intéressante.

Une robe d’été à manches courtes trouvée dans les murs de Ruby’s Place (2018), Parks CanadaParcs Canada

Il s’agit en fait d’une robe d’été légère, pleine longueur, munie d’un ruban à la taille. Elle est tachée et froissée en raison des dizaines d’années pendant lesquelles elle était cachée dans un mur, mais était, à l’origine, violette avec un motif à damier blanc.

Étiquette de la robe de Billie Burke - gros plan de la robe d’été (2018), Parks CanadaParcs Canada

La mode dans le Nord

Sur l’étiquette de la robe, on peut lire « Billie Burke Registered. » Actrice connue surtout pour son rôle de Glinda, la bonne sorcière du Nord, dans le film Le Magicien d’Oz, Billie Burke avait sa propre ligne de vêtements, comme bien des célébrités aujourd’hui.

Défilé du jour de la Découverte annonçant la réouverture de Ruby’s Place (1970), Jones, Ed and StarSource d'origine : Dawson City Museum

La réouverture de Ruby's Place!

Au début des années 1960, tandis que Ruby réduit progressivement ses activités et que les activités minières diminuent dans la région, Parcs Canada décide de jouer un rôle actif dans la préservation de l’histoire… et de plusieurs bâtiments à Dawson.

Une promenade dans la nature menée par une interprète costumée de Parcs Canada (2015), Parks CanadaParcs Canada

Une visite à Dawson

Les lieux historiques nationaux du Complexe-Historique-de-Dawson et du Klondike sont ouverts toute l’année. Des activités spéciales et des visites guidées, dont certaines en compagnie d’interprètes en costume d’époque (photo), sont offertes de mai à septembre.

Il y a tant à voir 

Explorez les champs aurifères, un paysage désert empreint de rêves. Visitez la cabane en bois rond du célèbre poète Robert Service ou l’élégant Palace Grand Theatre. Laissez la magie d’un petit village isolé vous envoûter sous le soleil de minuit.

Panneau d’autoroute en quittant Dawson (1975), Harold DinesSource d'origine : Dawson City Museum

Pour vous y rendre

Dawson se trouve au Yukon, à 525 kilomètres au nord-ouest de Whitehorse. L’aéroport est ouvert toute l’année si vous voulez prendre l’avion ou, si vous aimez les longs voyages en voiture, Dawson se trouve à environ 27 heures de route d’Edmonton, en Alberta.

Ruby's Place Exterior Ruby's Place Exterior (2022-07-05/2022-07-05), Dylan MeyerhofferParcs Canada

ReTrouver : Ruby au cœur d’or

Pour poursuivre votre découverte du personnage qu’était Ruby Scott et de l’histoire de Dawson, écoutez l’épisode Ruby au cœur d’or du balado ReTrouver

Un grand merci à Nancy McCarthy, Karen Routledge, Shelley Bruce, Marvin Dubois, Lenore Calnan, Jeff Thorsteinson, et L.K. Bertram. Pour en savoir plus sur le sujet, lisez « The Other Little House », un article écrit par L.K. sur le travail du sexe dans les villes champignons du Canada et publié dans le Journal of Social History.

Crédits : histoire

Crédits : tous les supports
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