Gravé dans la roche

Comment protéger les premières œuvres d'art ?

Conception : Google Arts & Culture

Par Ralph MorseLIFE Photo Collection

Si l'art rupestre est l'un des plus vieux témoignages de la créativité humaine, il représente aussi un patrimoine fragile et méconnu. Il a survécu pendant des millénaires, gravé sur les roches de l'Outback australien, dans les sculptures ornant les corniches des montagnes de l'Ouest américain ou encore dans les représentations d'animaux disparus, peints à la lueur du feu dans les grottes d'Europe.

 En visitant les célèbres peintures rupestres de Lascaux, Picasso aurait dit de ses lointains prédécesseurs : "Ils ont tout inventé".

Rosetta Stone (4000BP-100BP), Southern SanThe Rock Art Research Institute, University of the Witwatersrand, Johannesburg

Pourtant, dans le monde entier, ces vestiges inestimables de la préhistoire ont été vandalisés, méprisés et détruits au bulldozer. La péninsule isolée de Burrup, en Australie occidentale, regroupe l'une des plus grandes concentrations de pétroglyphes au monde, comptant plus d'un demi-million de gravures sur roc, ainsi que l'une des premières représentations connues du visage humain. 

Ces pétroglyphes permettent de retracer l'évolution de l'environnement au fil des millénaires. Des images de poissons et de crabes font leur apparition dans l'ère post-glaciaire, à la suite de l'élévation du niveau de la mer qui a transformé les montagnes en îles. Divers pétroglyphes reproduisent la silhouette svelte du tigre de Tasmanie, un mammifère marsupial disparu depuis des milliers d'années. 

Long Panel (4000BP-100BP), Southern SanThe Rock Art Research Institute, University of the Witwatersrand, Johannesburg

À partir des années 1960, dans la course à l'exploitation des ressources minérales et gazières de la région, des dizaines de milliers de pétroglyphes de Burrup ont été progressivement détruits ou déplacés. Le développement de zones industrielles a entraîné la construction de pipelines qui détruisent ce patrimoine et l'émission d'acides qui contribuent à son érosion. Les sites abritant cet art rupestre déplacé l'ont éloigné de la population autochtone. La Mona Lisa n'aurait pas subi un traitement aussi désinvolte. 

Le Burrup n'est pas le seul site menacé. Bien d'autres, autrefois isolés, sont aujourd'hui en passe d'être envahis. L'art rupestre du Lower Pecos, à la frontière du Texas et du Mexique, est l'un des plus riches au monde. Ses pétroglyphes ont été décrits comme les premiers "livres" connus en Amérique du Nord. Le site est en proie à la dégradation et à l'érosion provoquées par les crues soudaines, qui risquent de s'aggraver en raison de la crise climatique. La présence industrielle joue aussi un rôle néfaste.

Par Ralph MorseLIFE Photo Collection

Quant aux peintures rupestres préhistoriques découvertes en Europe, elles connaissent des problèmes d'une tout autre nature. Elles souffrent moins d'indifférence que d'admiration excessive. Les peintures de Lascaux ont été découvertes en 1940, quand un chien est tombé dans une crevasse. 

Dans les années qui ont suivi, la chaleur et l'humidité produites par des milliers de visiteurs ont provoqué la formation de champignons, de lichens et de cristaux qui ont gravement endommagé les parois peintes. La grotte a été fermée au public en 1963, et une réplique a été construite à proximité, sans pour autant résoudre les problèmes affectant la grotte d'origine. Les peintures rupestres d'Altamira en Espagne ont subi le même sort. Les grottes sont aujourd'hui fermées aux visiteurs, et une réplique de la grotte a été créée.  

Fresque des félins - salle du Fond (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO

Heureusement, les mésaventures de Lascaux et d'Altamira ont servi de leçon. Ainsi, la grotte Chauvet-Pont d'Arc a été interdite au public dès sa découverte fortuite en 1994. Ses galeries contiennent des centaines de peintures d'animaux datant de dizaines de milliers d'années : chevaux, mammouths, lions des cavernes ou encore rhinocéros laineux qui s'affrontent. Ce sont parmi les plus anciennes œuvres d'art préhistorique découvertes en Europe. On y trouve aussi une rare représentation partielle du corps humain, une 'Vénus" dessinée. 

Panneau des chevaux (grotte Chauvet, Adèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO

En 2015, la plus grande réplique de grotte jamais construite a ouvert ses portes à quelques kilomètres de la grotte Chauvet. L'art rupestre est reproduit grandeur nature dans une structure circulaire qui recrée les conditions d'obscurité, de température et d'humidité. Les responsables de la grotte Chauvet se montrent si prudents que lorsque Werner Herzog a tourné son documentaire 3D La grotte des rêves perdus en 2010, son équipe de tournage réduite a dû porter des vêtements spéciaux, utiliser des lumières froides et emprunter uniquement une passerelle étroite. 

Félins de la salle du Fond (grotte Chauvet, Ardèche) (2008/2008), L. Guichard/Perazio/smergcLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO

La plate-forme Google Arts & Culture travaille en partenariat avec l'équipe de Chauvet pour faire découvrir l'art et l'histoire de la grotte à un public mondial en utilisant la technologie de réalité virtuelle immersive. 

La grotte Chauvet, face au panneau des Chevaux (France) (2015/2015), J.PachoudLa grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO

La question de savoir qui a créé ces peintures rupestres, et pourquoi, reste ouverte.  Récemment, des chercheurs ont avancé que, d'après la taille des empreintes de mains que l'on y trouve, les peintures sont en grande partie l'œuvre de femmes. Certains spécialistes estiment que les peintures de Chauvet ont une signification rituelle ou chamaniste, comme c'est le cas d'autres représentations d'art rupestre dans le monde.

"L'art rupestre est avant tout une pratique spirituelle, même si nous ne connaissons ni ne connaîtrons sans doute jamais ses interprétations précises", fait remarquer Jean Clottes, spécialiste en art préhistorique qui a dirigé l'équipe scientifique de la grotte Chauvet. "Il n'existe aucune preuve dans un sens ou dans l'autre. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons situer avec exactitude à quand remonte l'émergence de l'art. Ensuite, il y a le problème de notre propre notion de l'art. Ce qu'on qualifie d'art est apparu à des périodes très espacées dans le temps et dans diverses civilisations."

Une chose est sûre : pendant des millénaires, la peinture rupestre a peu évolué sur le plan stylistique, ce qui est le signe d'une civilisation durable, stable et prolifique. 

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La recherche évolue en permanence : des figures d'animaux et traces de main découvertes dans les années 1950 sur l'île indonésienne de Sulawesi ont récemment été redatés par les chercheurs. A plus de 35 000 ans d'âge, cela en fait certains des plus anciens dessins connus.

Lascaux (Montignac) Caves par Ralph MorseLIFE Photo Collection

Bien qu'il s'agisse d'une reconnaissance tardive, l'art rupestre de Burrup serait candidat pour être classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. De l'autre côté du continent australien, à Gabarnmang, se trouve ce qui a été décrit comme la chapelle Sixtine de l'art préhistorique. On dénombre 36 piliers en grès peints dans un abri sous roche. La datation est en cours, mais certains estiment qu'il pourrait s'agir du plus ancien art rupestre jamais découvert. 

Jean-Michel Geneste, archéologue qui a travaillé aux grottes de Lascaux et de Chauvet, souligne la différence entre les grottes situées en France et celle de Gabarnmang, près de laquelle vivent encore les peuples aborigènes Jawoyn qui sont à l'origine de cet art : "Nul ne peut nous expliquer la grotte Chauvet", écrit-il. "Dans le cas de Gabarnmang, il y a une culture vivante, une mémoire collective. Les Jawoyn peuvent nous aider à acquérir de nouveaux savoirs."

L'Abbé Breuil dans la grotte de Lascaux fface au panneau de la Licorne. (1940/1940)La grotte Chauvet - Patrimoine mondial de l'UNESCO

Le charme de l'art rupestre réside en partie dans le fait qu'il reste mystérieux, qu'il nous parle de nos origines et qu'il nous fournit des indices sur des croyances et des modes de vie disparus : la naissance de la civilisation bien avant la sédentarisation des groupes humains.  Ainsi, se priver de l'art rupestre, c'est oublier notre identité collective, oublier ce que cela signifie que d'être humain. 

Crédits : histoire

Texte : Robert Bevan

Crédits : tous les supports
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