Robert Motherwell étaient l'un des plus jeunes de l'extravagant groupe d'artistes abstraits américains qui naquit dans les années 1940 et qui, sur sa proposition, se fit connaître comme l'École de New York. Contrairement à d'autres expressionnistes abstraits comme Jackson Pollock et Mark Rothko, Motherwell passa ses années de formation à l'université, où il étudia la philosophie — et surtout, l'esthétique — avant de passer à l'histoire de l'art. Par l'intermédiaire de Meyer Schapiro, un historien d'art renommé de l'Université de Columbia, il fit la connaissance de divers artistes européens qui s'étaient réfugiés à New York lorsqu'éclata la Deuxième Guerre Mondiale, en particulier Matta et d'autres surréalistes, dont les méthodes automatistes eurent une énorme influence sur lui. En 1941, Motherwell décida de se consacrer à part entière à l'art et se fit rapidement remarquer par ses collages et ses peintures abstraites du début des années 1940, qu'il exposa au galerie-musée Art of This Century de Peggy Guggenheim et, en 1946, au Museum of Modern Art. La place occupée par Motherwell dans l'histoire de l'art américain n'est pas due seulement à son œuvre en tant que peintre mais aussi à ses prodigieux succès récoltés comme intellectuel public, en tant que porte-parole du groupe d'artistes de New York qui l'entouraient et auteur de multiples écrits.
Motherwell n'avait que 21 ans lorsque la guerre civile espagnole éclata en 1936, mais elle laissa en lui une marque indélébile ; à partir de 1948, il dédia celle qui serait sans doute sa série la plus célèbre, Élégies à la République espagnole (Elegies to the Spanish Republic), à ce thème. Les Élégies ne furent pas les seuls clins d'œil de Motherwell à l'Espagne. Parmi les nombreuses œuvres portant sur ce thème, on remarque la série Iberia, de 1958, qu'il commença durant sa première visite en Espagne la même année. Même avant son arrivée en Espagne, Motherwell était déjà bien conscient des ravages qu'avait causés le régime de Franco, mais, sa grande capacité d'observation lui permit sans aucun doute de sentir au plus profond de lui-même la triste situation qui régnait à l'époque dans le pays. Ce découragement est transcrit comme un état d'âme noir, qui menace de tout détruire. Dans Iberia, une œuvre de grandes dimensions qui appartient à la collection du Musée Guggenheim Bilbao et aussi une des plus dures de la série, l'obscurité superficielle n'est atténuée que par une minuscule ouverture au coin inférieur gauche. Motherwell travailla énormément cette surface. La lourdeur de l'obscurité est obtenue grâce aux multiples coups de pinceau qui se rejoignent et se séparent et suggèrent même un certain chaos infernal. À une certaine distance, l'atmosphère suffocante semble impénétrable. Cette œuvre personnifie l'approche audacieuse de Motherwell à un thème d'une grande charge émotionnelle.