La "grammaire" des mangas

Découvrez les modes d'expression uniques dans les mangas

Conception : Ministry of Economy, Trade and Industry

Arawi, Keiichi (2018). CITY (Vol. 4, ch. 53), pp.2-3. ©︎Keiichi ARAWI

Natsume, Fusanosuke, et al. (1995). “Manga no Yomikata [How to Read Manga]”, Takarajimasha, p.106.Source d'origine : -

Mangas et expressions symboliques
En général, les mangas sont considérés comme étant faciles à comprendre ou à lire, mais leurs expressions font appel aux connaissances du lecteur.
Comme on le voit par exemple sur cette illustration, le lecteur peut percevoir des émotions même au niveau d'objets inorganiques grâce à des symboles appelés "manpu".
Le recours à ce système en tant que convention d'expression s'est imposé au fil du temps, sous l'influence de l'animation et des bandes dessinées occidentales, à partir de la fin du XIXe siècle.

Kono, Fumiyo (2018). Giga Town Manpu Zufu, p.23.Source d'origine : Asahi Shimbun Publications

L'univers foisonnant des manpu
Tout comme la signification des mots change en fonction du contexte, les expressions symboliques telles que les manpu ne veulent pas toujours dire la même chose. Dans quelles situations et à quels endroits ces signes sont-ils utilisés ? Quelles sont les diverses tailles et formes ? Avec quels autres symboles les manpu sont-ils combinés ? Les personnes qui ont l'habitude de lire des mangas décodent instinctivement ces signes grâce à leur expérience. Le manga "Giga Town Manpu Zufu" (Giga Town : Un catalogue des symboles de manga) de Fumiyo Kono, publié par Asahi Shimbun en 2018, met en lumière la grande polyvalence de ces symboles à la manière d'un dictionnaire

“Kirin-gō no Tabi” [Journeys Aboard Robot Giraffe](1949) from Sugiura Shigeru Mangakan (1) Shirarezaru Kessakushū [Shigeru Sugiura Manga Library (1): Unknown Masterpieces], Chikuma Shobo, 1993, pp. 252-253.Source d'origine : ©️Shigeru Sugiura

Dans quel ordre lire les cases ?
Bien qu'il aille maintenant de soi qu'il faut lire les cases des mangas japonais de droite à gauche et de haut en bas, cette convention s'est établie progressivement. Auparavant, les cases étaient numérotées pour indiquer leur enchaînement. Aujourd'hui, même la composition de chaque scène et l'organisation des dialogues dans chaque case sont astucieusement pensées pour offrir une expérience de lecture naturelle de droite à gauche quand on parcourt la page du regard. C'est pourquoi un lecteur contemporain pourrait avoir l'impression que le personnage de la case 19 de ce manga dit "Tu m'as eu !" avant de se faire tirer dessus. 
Cette image est issue d'une œuvre de Shigeru Sugiura qui a été publiée à une époque où la "grammaire" des mangas était plus laxiste qu'à l'heure actuelle.

Arawi, Keiichi (2018). CITY (Vol. 4, ch. 53), pp.2-3.Source d'origine : ©︎Keiichi ARAWI

Les "mankei" : l'esprit espiègle des mangas
Bien que les mangas disposent d'une "grammaire" sophistiquée qui définit, entre autres, l'ordre de lecture des cases, l'esprit espiègle qui consiste à créer délibérément le chaos total fait partie de leur essence.

Dans les "mankei" (de grandes cases qui contiennent un grand nombre de personnages enchevêtrés de manière désordonnée où chacun s'exprime et vaque à ses occupations), 

Cette illustration de Keiichi Arawi montre que les "mankei" constituent une forme fascinante d'expression encore employée au XXIe siècle.

le lecteur décide librement de l'ordre dans lequel il regarde les détails de la scène. Cette disposition était souvent utilisée par les premiers mangakas, comme Osamu Tezuka.

Araki, Hirohiko (1987). Jojo's Bizarre Adventure, Vol. 1, p.81.Source d'origine : JOJO'S BIZARRE ADVENTURE © 1986 by Hirohiko Araki/SHUEISHA Inc.

Onomatopées
À côté de symboles tels que les manpu, les onomatopées sont devenues une importante convention d'expression dans les mangas. Contrairement aux anime et autres formats vidéo, les mangas ne peuvent pas comporter de sons. Il est donc primordial de pouvoir transcrire les onomatopées et les mots mimétiques pour rendre le récit vivant.
Il ne s'agit pas simplement de reproduire des sons physiques. Les onomatopées forment aujourd'hui un système de représentations symboliques qui permettent d'exprimer des états psychologiques et peuvent même constituer une scène à part entière, par exemple si le bruit d'un bisou éclate comme un coup de feu dans la case. Cette image est l'œuvre d'Hirohiko Araki, connu pour son usage particulier des onomatopées.

Fujiko Fujio (A) (1996). “Manga Michi [Path of Manga] ”(Vol. 1), p.235.Source d'origine : ©︎Fujiko Studio, Chuokoron-Shinsha

L'énergie vrombissante des mangas muets
Lorsqu'une case est dépourvue d'onomatopée, les lecteurs de mangas ne perçoivent pas la scène comme étant totalement silencieuse. Ils imaginent inconsciemment les bruits de fond appropriés à la situation.

Étant donné que les mangas ne peuvent pas contenir de son, l'utilisation d'onomatopées telles que "shin" (le "son" du silence en japonais) est devenue nécessaire pour souligner le silence total de certaines séquences.

Comme le prouve brillamment cette scène de Fujiko Fujio A., qui décrit la nervosité de deux garçons sur le point de rencontrer une personne qu'ils admirent profondément, l'univers des mangas déborde toujours d'une énergie vrombissante, qu'il y ait du bruit ou non.

Kono, Fumiyo (2018). “Giga Town Manpu Zufu”, p.122.Source d'origine : Asahi Shimbun Publications

La magie des bulles
Dans les mangas japonais, les dialogues et la narration sont souvent dactylographiés (si la composition était autrefois physique, elle est aujourd'hui numérique). À première vue, ce texte peut sembler moins "vivant" que des onomatopées rédigées à la main, mais les artistes (et les éditeurs) prêtent une attention particulière aux changements de nuance apportés par les choix de taille et de police.
La forme des phylactères peut également entraîner de grandes variations de ton dans les mangas, qui sont dépourvus de son. Ces contours, qui ne sont ni des images concrètes, ni des termes conceptuels, constituent des formes abstraites qui traduisent l'intonation de la voix des personnages.

Iwadate, Mariko (1987). “Marude Shabon” (Vol. 2), p.185.Source d'origine : MARUDE SHABON © 1986 by Mariko Iwadate/SHUEISHA Inc.

Les mots résonnent les uns avec les autres à plusieurs niveaux
Par exemple, dans les mangas "shojo" (pour filles) à partir des années 1970, l'utilisation (ou l'absence) de bulles et leurs différentes formes permettent de faire la distinction entre les répliques prononcées par les personnages et les monologues intérieurs. Les deux peuvent ainsi coexister dans la même scène afin de refléter de manière multidimensionnelle l'état d'esprit des protagonistes.
Sur cette planche issue du manga "Marude Shabon" (Comme une bulle de savon) de Mariko Iwadate (Shueisha, 1987), le dialogue prononcé par le personnage est mis en parallèle avec ses pensées inarticulées. Cela permet de représenter son conflit intérieur et de dresser un portrait psychologique complexe.

Tezuka, Osamu, and Sakai, “Shichima” (2009). Kanzen Fukkokuban Shin Takarajima [Complete Reprint Edition: New Treasure Island], p.XX.Source d'origine : (C)Tezuka Productions

Lien entre les cases
Contrairement aux illustrations qui occupent tout l'espace, les mangas sont composés de plusieurs "cases". Mais comment sont-elles reliées entre elles ? Le lien entre les cases d'un manga est souvent comparé au montage d'un film. Tout comme un film construit un monde imaginaire en assemblant plusieurs plans au moment du montage, un manga définit également le temps et l'espace en associant plusieurs cases comme si elles avaient fait l'objet d'un montage.
Par exemple, dans le manga "Shin Takarajima" (La nouvelle île au trésor) d'Osamu Tezuka et de Shichima Sakai, publié aux éditions Ikuei en 1947, une case qui représente un personnage regardant quelque chose est immédiatement suivie par une autre qui montre l'objet observé. Cette technique est semblable à celle du "raccord regard" utilisée dans le montage de film.

Takahashi, Rumiko (1980). “Maison Ikkoku” (Vol. 15), p.147.Source d'origine : -

Superposition de cases
Il existe également de nombreuses différences entre les cases d'un manga et les séquences d'un film. Pour varier les mises en page, la forme et la taille des cases peuvent être librement adaptées. Une planche comporte plusieurs cases qui sont organisées de manière précise et qui, parfois, peuvent se superposer.
Cette célèbre scène imaginée par Rumiko Takahashi dans "Maison Ikkoku" (Shogakukan, 1980) est un exemple de superposition de cases. Elles illustrent le visage vu de front de deux protagonistes qui en réalité se font face. Les contours de ces cases ne suivent pas rigoureusement les images qu'ils sont censés encadrer. Pour comprendre cette forme d'expression, le lecteur doit avoir des connaissances assez pointues.

Hagio, Moto (1995). “Thomas no Shinzō [The Heart of Thomas]”,Shogakukan Inc, p.88.Source d'origine : -

Les possibilités offertes par les différentes dispositions des cases
Quand vous regardez un film, vous voyez les séquences les unes après les autres. À l'inverse, un lecteur de manga peut suivre les cases dans l'ordre, tout en ayant un aperçu général de la composition sur la page. Moto Hagio et d'autres mangakas "shojo" des années 1970 ont pleinement exploité cet aspect des mangas et l'ont affiné. L'imbrication sophistiquée de leurs cases dépeint remarquablement la nature complexe, déconcertante, voire conflictuelle de la conscience humaine.

La disposition en cases, qui permet de diviser l'histoire en scènes et de les répartir sur la page, est l'une des techniques d'expression les plus importantes propres aux mangas.

Higashimura, Akiko (2017). “Gisō Furin [Fake Affair]”.Source d'origine : -

Vers de nouveaux modes d'expression
Bien que nous ayons qualifié ces conventions d'expression de "grammaire" des mangas, il n'existe pas de règles absolues ni de style universel.

Avec le format "webtoon" qui est apparu ces dernières années, par exemple, contrairement au format papier où le récit est lu horizontalement une planche à la fois, le lecteur visionne l'histoire et la fait défiler verticalement sur l'écran, qui n'est pas nécessairement divisé en pages.

Tout comme la langue, la "grammaire" des mangas évolue avec le temps. En réponse à ces changements, les artistes vont continuer à créer d'autres styles dans leurs œuvres.

Crédits : histoire

Texte : Kentaro Miwa
Révision : Yuka Miyazaki(BIJUTSU SHUPPAN-SHA CO., LTD.)
Supervision : Hirohito Miyamoto(Université Meiji)
Production : BIJUTSU SHUPPAN-SHA CO., LTD.

Crédits : tous les supports
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