Dans les cours
Les œuvres de Thomas Schütte investissent l’espace public et s’exposent dans la totalité des cours intérieures avec des sculptures magistrales et inédites, accessibles à tous !
Thomas Schütte, Mann im Wind I (2018) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
« Mann im Wind est une des œuvres les plus récentes de l’exposition, elle a été créée en partie pour la Monnaie de Paris et l’artiste a souhaité la placer dans la Cour d’Honneur. C’est une série de trois hommes, qui sont des représentations assez nouvelles dans le travail de l’artiste, puisque jusqu’ici l’homme était représenté âgé, grimaçant, désagréable à regarder. Cet homme-là est plutôt un jeune adulte, le visage tourné vers le ciel, c’est une représentation plus optimiste du masculin, et qui selon les personnages est plus au moins en mouvement. Ces hommes sont plus ou moins habillés, et là aussi c’est assez nouveau, puisque la nudité est assez peu présente dans le travail de Thomas Schütte. On a un travail sur le corps, sur la musculature, le drapé. On ne peut pas s’empêcher de penser au Balzac de Rodin (…) »
Thomas Schütte, Man Without Face ; Mann mit Fahne (2018) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
Ces deux sculptures inédites, produites à l’occasion de cette exposition, reprennent la figure récurrente chez l’artiste de l’homme pris dans la boue. On y sent l’influence de sculptures classiques : l’homme sans visage peut trouver un écho avec le chef-d’oeuvre de la Renaissance Persée tenant la tête de méduse de Cellini, où le visage de Persée et la tête de méduse sont identiques.
Nommé d’après l’expression allemande désignant l’État, équivalent en français de « mère patrie », Vater Staat est un homme âgé immense, mais maigre, impuissant. Bien que dépossédé de sa capacité d’agir car sans bras et sans attributs de pouvoir, l’expression sévère de son visage suffit à affirmer son autorité. Lorsqu’on l’interroge sur sa conception de l’État, Schütte répond en citant Günter Eich qui écrit en 1968 : « Ce que je trouve le plus dégoûtant au monde, ce sont mes parents. Partout où je vais, ils me suivent (...). Dès que j’ai trouvé une chaise, la porte s’ouvre, et l’un des deux regarde à l’intérieur, État Père ou Mère Nature ». Par une autre pirouette, à la demande d’explication sur l’absence de bras, il invoque avec malice le manque de temps pour réaliser cette œuvre, pourtant monumentale.
Produite à l’occasion de l’exposition, cette sculpture s’inscrit dans une nouvelle et étonnante série de « fontaines » qui décline un bestiaire fantastique, renouant ainsi avec une veine peu connue de la sculpture extérieure de la Renaissance. Schütte dit s’être inspiré de figurines en pâte à modeler réalisées pour ses enfants. L’univers naïf de ces modelages bascule dans un univers fantastique une fois érigés à échelle monumentale. Nous sommes bien en peine de savoir si cette créature, à la fois terrestre et marine, appartient à un registre naturel ou surnaturel et, en quelque sorte, de comprendre ou justifier sa présence insolite. Le grotesque et l’absurde cohabitent avec le tragique et le solennel dans l’œuvre de l’artiste.
01 | Muses et héros
La figure humaine est l’un des fils rouges du travail de Thomas Schütte et devient au début des années 1980 le sujet de ses œuvres, d’abord à la taille d’une marionnette, puis à dimension monumentale. D’un côté, des bustes d’hommes, des figures grimaçantes et grotesques, hiératiques ou gesticulantes, dont on ne sait précisément ce qui motive leurs attitudes et de l’autre, la figure de la femme en lieu et place de la traditionnelle muse... Et vous de quel côté êtes-vous ?
Dans le prolongement des Ceramic Sketches où Schütte explorait le nu féminin, l’artiste commence en 1999 cette série de femmes allongées, assises, courbées ou agenouillées sur une table. Chacune d’elle possède un numéro et est en aluminium, acier ou bronze. Arrivé à la femme numéro 15, l’artiste déclare commencer à être lassé, mais « certaines choses ont simplement besoin d’être faites ». Il achève la série avec la numéro 18, deux ans plus tard. Tantôt sereines et lascives, tantôt mutilées et tordues, chacune d’elles se mesure aux épaisseurs de l’histoire de l’art, rappelant pour certaines Maillol, pour d’autres Picasso.
Thomas Schütte, Aluminiumfrau Nr. 17 (2009) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
« Cette œuvre fait partie d’une série qui est probablement une des plus célèbres de l'artiste, puisque c’est un moment où il va revenir sur la figure féminine, alors que pendant des années il a représenté essentiellement l’homme. Il s’agit d'agrandissements de modèles qu’il a réalisés d’abord en terre cuite. (…) On retrouve des évocations de Picasso, de Brâncuși, peut-être aussi du cubisme plus généralement, ou d’une méditation plus classique sur la figure féminine qui est représentée avec plus d’optimiste que le personnage masculin (…) ».
Thomas Schütte, United Enemies (1994) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
« United Enemies est d’abord une œuvre miniature réalisée dans les années 1990 par Thomas Schütte lors d’une résidence de l’artiste à Rome. C’est une de ses œuvres les plus célèbres, entrée dans les collections du Centre Pompidou à Paris. Face à ces figures doubles, inexplicablement liées entre elles, le regard ne sait où se poser (...) Ainsi les interprétations sont nombreuses et ont souvent varié d’un critique à un autre, d’une époque à une autre (...) Ces œuvres ont d’abord été vues comme une référence à la réunification de l’Allemagne. Plus récemment, on y a vu une représentation plus psychanalytique (...) Ces œuvres très figuratives ont suscité beaucoup d’interrogations lors de leur création. Pour y répondre, l’artiste les a prises en photos en gros plan que l’on peut observer derrière les sculptures elles-mêmes. Si au début de l’exposition, elles sont en pâte à modeler on les retrouve aussi en version monumentale dans les cours. Ce dialogue entre ces œuvres portant le même nom en différentes échelles illustre le jeu permanent de l’artiste entre le tout petit et l’infiniment grand ».
Thomas Schütte modèle des visages d’hommes en céramique dès les années 1990, période où ce medium n’est pratiquement pas utilisé dans l’art contemporain. Ces visages de vieux messieurs rappellent les bustes d’empereurs romains ; leurs expressions grimaçantes ne sont pas sans rappeler les caricatures du XIXe siècle, celles de Daumier notamment, et l’allure grotesque des masques typiques du carnaval bâlois.
Montrée pour la première fois à la Galerie Nelson (Lyon) en 1988, cette « pièce » en trois actes place l’artiste Mohr au cœur de l’intrigue : on y voit l’artiste peignant des paysages de nuages en observant un étendoir où sèchent des chaussettes, le marchand d’art vendant, semble-t-il, une vieille veste à un collectionneur et l’artiste sculpteur scrutant ou admirant sa propre création. Sommairement esquissées en pâte à modeler, vêtues de chutes des habits personnels de Schütte, les marionnettes prennent place dans un décor ébauché à partir d’objets trouvés. Ces saynètes au caractère autobiographique sont la parabole des mécanismes du monde de l’art où l’artiste est dépeint comme un paria.
Thomas Schütte, Glasgeister (2011) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
« Outre son travail sur le masculin et féminin, nous retrouvons un troisième personnage chez Thomas Schütte : le geister, qui signifie fantôme, esprit (...). Le geister se décline dans différents matériaux : cire, verre, aluminium. Il est porteur de la réflexion qu'engage l'artiste sur l’au-delà, traité ici d'une façon un peu grotesque au travers des mouvements incertains et indéterminés des personnages (...) ».
02 | L'autre et l'au-delà
Ironie, désespoir, contradiction insoluble, méditation légère ou sévère semblent se heurter violemment dans des œuvres de ce second acte qui expriment toute la difficulté d’« être-au-monde ». L’artiste fait basculer ses figures dans un registre autre, aussi inquiétant que frappant...
Schütte représente des fleurs depuis 1994, un sujet dont il s’étonne que si peu d’artistes l’abordent aujourd’hui car pour lui les « fleurs sont gratifiantes, parce qu’elles racontent toujours quelque chose ». Comme c’est souvent le cas dans le genre de la nature morte, les fleurs rappellent la fugacité de l’existence et font basculer ces aquarelles du réalisme au symbolisme. Placées à côté de sculptures, elles en sont comme des commentaires. Ainsi, l’artiste associe les fleurs coupées à ce masque funéraire gisant sur une couverture. Renouant avec la tradition d’immortaliser le visage d’un défunt, la mâchoire maintenue fermée par une bande de gaze, Schütte tente de « conjurer par le grotesque l’effroi qu’inspire la mort » comme l’exprime Dieter Schwarz dans le catalogue de l’exposition.
03 | Du modèle au monument
L’artiste passe de la maquette à l’architecture grandeur nature, de la miniature à la sculpture monumentale, tout en jouant autour de la relation de l’œuvre à l’espace, du modèle au monument. Réalisées avec presque rien, ces maquettes représentent une « maison pour une personne », un « musée » devenu lieu de loisir, ou encore... une « maison de vacances pour terroristes » ! Ces œuvres témoignent ainsi de sa troublante analyse de l’organisation de la société et de son impact sur les individus.
Dreiakter emprunte au théâtre l’idée du décor et de ses toiles de fond devant lesquelles se déroulent les actions. On y perçoit les symboles du pouvoir et du progrès ; des figurines s’organisent autour d’un bureau, d’une tribune et d’une barrière. Cette installation est singulière dans l’œuvre de Schütte, tout en synthétisant très tôt, dès 1982, des préoccupations auxquelles l’artiste ne cesse de revenir : la place des « regardeurs » de monuments fictifs ou réels, qu’il s’agisse des figures ou de nous, visiteurs de ses expositions ; la manière dont ses œuvres créent un décor tantôt autonome, tantôt dépendant de l’espace dans lequel il se trouve.
« La mort est une idée qui vous éloigne de toute absurdité. Ce qui est vraiment intéressant, c’est le choc que génère le sentiment d’être mortel, quand il se manifeste. » Ce choc, l’artiste semble l’éprouver tôt puisqu’il réalise une maquette de sa propre tombe, en 1981, à 27 ans, sur laquelle il inscrit une date de mort : le 25 mars 1996. Heureusement non prophétique, cette oeuvre inaugure une préoccupation constante de l’artiste pour la mort et l’altérité. Il revient à des motifs classiques de la peinture et de la sculpture, parfois très anciens : la fleur fanée, le masque mortuaire, l’urne funéraire, le mausolée, la tombe.
Les Modelle sont des objets à la taille de la main, souvent des assemblages faits à partir de presque rien, que Schütte conçoit depuis le milieu des années 1970. L’artiste a récemment pris la décision de révéler ce réservoir de formes. À l’image de ses carnets d’aquarelles, ce processus atteste de caractéristiques essentielles de son travail : tout ou presque était là depuis le début de sa pratique et toute œuvre résulte du passage du petit au grand ou d’une interrogation sur l’échelle.
L’artiste-architecte qu’est Thomas Schütte pousse sa réflexion sur le volume et l’espace jusqu’à décider de construire un lieu : une fondation dédiée à la sculpture qui atteste du renouveau de ce medium. L’artiste n’y montre son travail que par intermittence, entre deux expositions de sculpteurs qu’il admire ; le bâtiment est aussi dédié à ses archives et peut recevoir des chercheurs. Érigé aux environs de Neuss, l’édifice résulte d’un assemblage simple, une chips posée sur une boîte d’allumettes. De cette idée ont découlé des maquettes et dessins précis, réalisés en étroite collaboration avec les architectes Lars Klatte et Heinrich Heinemann. Construction la plus ambitieuse de toutes ses réalisations, elle sera complétée par une seconde aile, comportant un appartement à l’étage et un espace de stockage pour ses oeuvres au sous-sol.
Thomas Schütte, Erweiterungsbau Skulpturenhalle III (2018) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
« La Skulpturenhalle peut être considérée comme le parachèvement du travail sur l'architecture effectué par Thomas Schütte. Depuis la fin des années 1980, l'artiste s'emploie à construire à échelle 1 des maquettes qu'il a réalisées précédemment ou spécifiquement pour elle (...) Sa forme lui vient de l'assemblage d'une chips et d'une boîte d'allumettes, première maquette en quelque sorte du bâtiment. Dans les salons d'exposition de la Monnaie de Paris, on peut observer la maquette de ce musée ainsi de celle de son extension. »
Thomas Schütte, Kristall II (2014) by Thomas SchütteMonnaie de Paris
« Kristall II est une des maisons architecture réalisée à l’échelle 1 de l’artiste, qui travaille le modèle l’architecture depuis les années 1980. Des maisons qui ont pour certaines ou des fonctions précises et qui pour d’autres sont des sortes de pavillons, destinés à agrémenter de parcs ou des paysages. C’est le cas de Kristall II (...). C’est une maison qui a une forme assez étonnante, assez moderne et une forme naturelle et organique. En ce qui concerne sa position dans le salon Dupré, c’est évidemment une manière pour l’artiste de réfléchir à l’histoire de la Monnaie car elle est recouverte de cuivre, elle évoque la fabrication des pièces de monnaies et un matériau important dans l’histoire de la Monnaie de Paris (...) »
« Kristall II est aussi un point de vue, puisqu’en rentrant dans cette maison, on comprend que par les oculus on peut regarder le plafond du salon Dupré, l’architecture du balcon, un détail de la fresque. C’est aussi un point de vue sur un tableau que l’on découvre une fois que l’on est assis à l’intérieur de la maison. Un très joli tableau en céramique, qui représente un autoportrait de l’artiste. C’est donc aussi d’une certaine manière une sorte de mini-musée (…) »
Commissaires :
Camille MORINEAU, directrice des expositions et collections à la Monnaie de Paris,
Mathilde DE CROIX, commissaire d'exposition à la Monnaie de Paris pour l'exposition "Trois Actes"
Remerciements à Camille MORINEAU et Flora FETTAH qui ont commenté par leurs voix les œuvres présentées dans l'application.
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