A travers des documents d’archives originaux, cette exposition permet de retracer l’histoire des femmes issues de l’immigration qui, à travers leurs combats, ont contribué à promouvoir l’égale dignité de toutes et tous de 1970 jusqu’au milieu des années 1990. Arrivées en France comme étudiantes, immigrées économiques qualifiées ou non-qualifiées, exilées politiques, ou dans le cadre du regroupement familial, les femmes de l’immigration, parce que femmes et étrangères, ont subi de multiples discriminations tant en raison de leur genre que de leur origine et de leur situation familiale.
Comme le montre cette exposition, en dépit d’une invisibilité toujours d’actualité, les femmes de l’immigration ont joué un rôle important dans la vie civique, sociale et culturelle et restent des actrices trop négligées dans l’analyse des revendications de droits et d’égalité. Par leurs parcours et leurs engagements, elles ont souvent été porteuses des valeurs d’égalité, de citoyenneté et de vivre-ensemble, sans renoncer à deux luttes, en réalité indissociables, celle contre les discriminations liées à l’origine et celle contre le sexisme.
"As mulheres falam dos seus problemas...", Do Povo n° 2, années 1970.
"Nos as empregadas de casa!...", O Alarme n° 5, janvier 1973.
La femme immigrée dans la presse militante portugaise
La presse militante portugaise éditée en France dans les années 1970 accorde une large place aux femmes immigrées. Dès le début des années 1970, le mensuel d’extrême-gauche O Salto (1970-1974), qui s'intéresse aussi bien à la situation politique au Portugal qu'à la condition des travailleurs immigrés portugais en France, y consacre une rubrique intitulée « A mulher emigrada » (La femme émigrée). Dans cette rubrique, l’immigrée portugaise y est décrite comme victime d’une double discrimination de par sa condition de femme et d’employée de maison « bonne à tout faire ». Son quotidien y est raconté à travers des témoignages (anonymes pour la plupart), des entretiens et des récits.
En 1977, Coleçao Do Povo consacre un numéro entier aux femmes immigrées intitulé, « A mulheres falam dos seus problemas » (Les femmes parlent de leurs problèmes).
« A mulher emigrada », O Salto, n° 2, 1971.
Affiche du comité de soutien à Lorette Fonseca menacée d'expulsion dans les années 1970.
Lorette Fonseca (aussi Laurete Da Fonseca)
Après avoir quitté le Portugal salazariste et passé quelques années en Algérie, Lorette Fonseca, son mari Carlos et leurs enfants s’installent dans l’Essonne dans les années 1960. Le couple s’engage assez rapidement auprès de leurs compatriotes et des autres populations immigrées, souvent analphabètes, pour l’obtention de leurs papiers. Au début des années 1970, le gouvernement français lance une vaste opération de résorption des bidonvilles dans la région parisienne, dont celui de Massy où vivent plus de 1 000 immigrés, principalement portugais et nord-africains. Obligés de quitter leurs baraques, mais sans aucune alternative de logement, les immigrés se mobilisent autour de Lorette Fonseca dans le Comité de défense du bidonville, dont elle devient la porte-parole et la figure emblématique.
Menacée d’expulsion vers le Portugal en 1971, Lorette Fonseca est soutenue par le Comité Lorette Fonseca qui se constitue afin d’empêcher son retour forcé vers le Portugal. Le Comité publie des tracts et des affiches, organise des manifestations de soutien et créé une permanence à l’église Saint-Paul à Massy. Une lutte longue et difficile s’engage alors entre, d’un côté, le Comité de défense du bidonville et le Comité Lorette Fonseca et, de l’autre, les autorités françaises. Celles-ci exercent des pressions répétées sur Lorette Fonseca (menaces d’expulsion, difficulté de prolongation de son titre de séjour...). Elle résiste et, en 1981, son arrêté d’expulsion est finalement abrogé. Elle décède en France en 2001.
Le 25 avril 2014, en présence de la famille de Lorette Fonseca (Carlos son époux ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants), la ville de Massy lui rend hommage en nommant « allée Laurete Da Fonseca » l'allée principale du parc Georges Brassens, là où se situait, dans les années 1960-1970, un bidonville portugais. Comme le souligne Carlos Fonseca, cette allée qui porte le nom de sa femme est un bel hommage « à Lorette, à sa famille et à la femme immigrée.»
Bulletin de l'association des femmes marocaines de Toulouse.
Cahiers du féminisme, n° 5, juin-juillet-août 1978.
Bulletin du collectif Mujeres libres, n° 46, 1976 (4° P 8972)
La culture et le théâtre militant
Dans les années 1970 et 1980, de nombreux groupes de femmes issues de l'immigration investissent le champ culturel, comme la musique et le théâtre. C’est le cas, notamment, du groupe Djurdjura ou de la troupe de théâtre Kahina. Celle-ci produit sa première pièce, « Pour que les larmes de nos mères deviennent une légende », en 1975. Cette pièce parle des traditions lourdes qui pèsent sur les épaules des femmes arabes immigrées et les violences psychologiques qu’elles induisent en imposant aux femmes des coutumes et des pratiques en décalage avec la société d’accueil. Basées sur les difficultés réelles que vivent les femmes de l’immigration, surtout les jeunes filles qui sont nées ou/et ont grandi en France, les pièces de la troupe Kahina sont aussi inspirées de revendications féministes et égalitaires (contre le mariage forcé ou arrangé, les violences faites aux femmes au sein des familles, les relations sœurs-frères et filles-parents).
"Pour que les larmes de nos mère deviennent une légende", affiche de la troupe Kahina, 1975
Salika Amara milite pour les droits des immigrés, et des femmes immigrées en particulier, depuis la fin des années 1960. Revendiquant le droit à l’égalité et à la dignité pour tous, elle est à l’initiative de plusieurs collectifs et associations situés au croisement des mouvements de libération des femmes et des luttes de l’immigration : troupe de théâtre militant Kahina, marches pour l’égalité et contre le racisme, journal Sans Frontière, l'Association nouvelle génération immigrée etc.
Dans le témoignage ci-dessous, Salika Amara parle des pièces de théâtre « Pour que les larmes de nos mères deviennent une légende » et « La famille Bendjelloul, en France depuis 25 ans » produites par la troupe Kahina dans les années 1970.
Salika Amara sur la troupe de théâtre militant Kahina.
Journée femmes immigrées à la maison des Amandiers, Paris, 1979.
Coordination des femmes noires, brochure, juillet 1978.
Herejias, revue des femmes latino-américaines, 1979-1980.
Appel de la Coordination internationale des femmes pour l'organisation du 8 mars 1978 publié dans les Cahiers du féminisme, n° 3, mars 1978.
"Avortement: du côté des immigrées", couverture de Sans Frontière, 4 décembre 1979.
Affiche du Parti communiste français, Paris, 1978.
Bulletin de l'AMEEF (Association de femmes émigrées espagnoles en France ), n°1, juin 1981.
Première rencontre nationale des femmes des ASTI (Associations de solidarité avec les travailleur-euse-s mmigré-e-s), Melun, 1982.
Brochure du groupe Saïda, années 1980.
5° festival de l’immigration, une journée pour les femmes, affiche, 1980.
Point de rencontre femmes, FASTI (Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s), n° 7, octobre 1983.
Couverture des Cahiers du féminisme, n° 26, 1983.
Les femmes et la lutte contre le racisme
Les femmes occupent une place essentielle dans l’histoire de la lutte contre le racisme en France. Même si les attaques à caractère raciste visent principalement les hommes, les femmes (mères, sœurs, tantes...) sont à l’origine de nombreuses initiatives et associations de lutte contre le racisme. C’est le cas, notamment, de l’Association des familles victimes des crimes racistes et sécuritaires créée en novembre 1983 et qui réunit des parents (surtout des mères) de victimes de « tontons flingueurs » et de violences policières. Présidée par Madame Hachichi, dont le fils Wahid, âgé de 16 ans, est tué par balle à Lyon le 28 octobre 1982 (son meurtrier affirmera avoir tiré depuis sa fenêtre pour faire fuir des jeunes qui se trouvaient trop près de sa voiture), l’association rassemble des familles d’origines diverses : Africains, Maghrébins, Antillais, Espagnols, Portugais… L’objectif est de sensibiliser les autorités et la société à la gravité des crimes racistes, la banalisation du discours sécuritaire et l’impunité dont bénéficient les « tueurs de frisés ».
Dossier réalisé par FLORA (Femmes en lutte organisation régionale autonome), association féministe de Marseille, années 1980.
Manifestation contre le racisme à Marseille, début des années 1980, ©Pierre Ciot
Manifestation contre le racisme, Marseille, début des années 1980, © Ph. Pierre Ciot.
Le 21 mars 1984, à l’occasion de la journée internationale contre le racisme, l’association organise un premier rassemblement de familles de victimes devant les bureaux du ministère de la Justice, situés place Vendôme à Paris, avec l’espoir de rencontrer le garde des Sceaux, Robert Badinter… qui ne les recevra pas. Surnommées les « Folles de la place Vendôme » en référence aux mères « folles » de la place de mai à Buenos Aires qui militaient pour que lumière soit faite sur la disparation de leurs enfants sous la dictature militaire en Argentine, ces mères et l’Association des familles victimes des crimes racistes et sécuritaires organisent un second rassemblement place Vendôme le 27 octobre 1984.
2e rassemblement des mères de famille en lutte contre les crimes racistes et sécuritaires, place Vendôme, Paris, 27 octobre 1984.
Marche pour l'égalité et contre les discriminations, Levallois, décembre 1983, ©Joss Dray
Les marches pour l’égalité et contre le racisme
Les trois marches pour l’égalité et contre le racisme de 1983, 1984 et 1985 donnent aussi à voir la participation active des femmes, essentiellement des jeunes filles issues de l’immigration. Leur rôle dans l’histoire de ces mouvements de lutte pour l’égalité et contre les discriminations est essentiel puisqu’elles sont à la fois créatrices, animatrices et coordinatrices de nombreux collectifs et associations qui mènent et participent aux marches.
Même si certaines de ces filles refusent de dissocier la lutte pour l’égalité des droits de la lutte pour l’égalité femmes-hommes, d’autres, à la faveur du foisonnement associatif qui découle des marches, créent des structures destinées spécifiquement aux femmes de l’immigration. C’est le cas, notamment, de l’association Nanas beurs (fondée en 1985) qui s’intéresse principalement aux droits des femmes issues de l’immigration et à la citoyenneté des étrangers, objet central des trois marches pour l’égalité et contre le racisme.
Originaire de la cité Bassens à Marseille, Yamina Benchenni milite dans plusieurs collectifs et associations contre le racisme depuis le début des années 1980, dont, notamment, le collectif local d’organisation de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 et Radio Gazelle. Dans ce témoignage, elle raconte les raisons qui l’ont poussée à s’engager dans la lutte contre le racisme à Marseille en tant que jeune fille issue de l’immigration.
Yamina Benchenni sur son engagement dans la lutte contre le racisme à Marseille au début des années 1980.
Convergence, Paris, 1984
Troisième marche, Paris, 1985, ©Joss Dray
Manifestation contre la loi Pasqua, Paris, 1986, ©Joss Dray
Les yeux ouverts, bulletin de l'association des femmes maghrébines immigrées, n° 0, février 1984.
Gala de soutien à la lutte des femmes algériennes organisé par le Comité de refus du code de la famille en Algérie, mars 1982.
Carnets des Nanas beurs, n° 1, 1990.
Brochure du Collectif Femmes Immigrées sur le droit de vivre en famille, 1984.
Alima Boumediene-Thiery est originaire d’Argenteuil (Val d’Oise) où elle grandit dans un bidonville. Après un parcours universitaire brillant, elle participe à un certain nombre d’actions en faveur des immigrés, notamment des femmes immigrées et des jeunes. Elle participe notamment aux 3 marches pour l’égalité et contre le racisme. Dans ce témoignage, elle revient sur les positions de l’association Expressions maghrébines au féminin (EMAF) qu’elle dirige pendant plusieurs années.
Alima Boumediene-Thiery sur l'association Expressions maghrébines au féminin (EMAF).
Colloque organisé par l'EMAF, Paris, 1991.
Tract du Collectif femmes immigrées, années 1980.
Exposition "Visages de femmes iraniennes" organisée par le Collectif des femmes immigrées à Paris, 1984.
Tract de l’Association des Iraniennes réfugiées en France sur la condition de la femme en Iran, années 1980.
« Les femmes du monde entier doivent s’insurger pour défendre la femme iranienne », Comité provisoire iranien pour la célébration du 8 mars, janvier 1984.
L’engagement des filles issues de l’immigration et les rapports intergénérationnels
Les filles issues de l’immigration (la « seconde génération ») occupent une place essentielle dans l’histoire des luttes contre les discriminations et pour l’égalité femmes-hommes. Dès les années 1970, mais surtout après 1981 avec la loi du 9 octobre (81-909) qui ouvre la pleine et entière liberté d'association aux étrangers, on retrouve les filles à la tête de plusieurs initiatives et associations de l’immigration. Leurs combats multiples et variés témoignent des nombreuses discriminations dont sont victimes les femmes immigrées : discriminations à l’embauche et au travail, droit au séjour, lutte contre le sexisme, lutte contre les mariages forcés ou/et contre le retour au pays d’origine des parents, combat contre le racisme, accès à la santé, à l’éducation et à la culture, droit à la contraception et à l’avortement, etc.
En s’engageant dans ces luttes porteuses de valeurs d’égalité et de vivre-ensemble, les filles issues de l’immigration ont su démontrer leur volonté de participer pleinement à la vie civique, sociale et culturelle française. Mais, comme le reconnaissent certain-e-s responsables associatifs et des chercheurs-e-s, cet engagement en faveur de l’égalité a un prix et les relations filles-parents ou filles-frères ont parfois été mises à rude épreuve dans des familles où la place de la femme reste centrée sur les sphères domestique, familiale et maternelle.
Gaye Petek arrive très jeune en France. Après des études de lettres humaines et de théâtre, elle travaille au sein du Service social d'aide aux émigrants à partir des années 1970. Femme de terrain et d’action, elle milite pour les droits des immigrés turcs, notamment des femmes, et crée l’association ELELE (1982), qui œuvre à l'insertion des immigrés turcs et de leurs enfants. Dans le témoignage ci-dessous, elle parle des rapports mères/filles et de la place de la femme dans l'immigration turque.
Gaye Petek sur les rapports mères/filles et la place de la femme dans l'immigration turque.
« Expressions femmes », manifestation culturelles organisée par ELELE et la Maison des Travailleurs de Turquie, 26 et 27 novembre 1988.
Les 10 ans du Mouvement pour la défense des droits de la femme noire, 1991.
Dans les années 1990, les femmes de l’immigration deviennent objet d’étude et de recherche. Suite aux nombreuses initiatives et actions militantes lancées par les associations, les pouvoirs publics et la société en général prennent enfin en compte la dimension féminine de l’immigration, avec tous les enjeux sociaux, économiques, culturels et politiques qui la caractérisent, dont la question de l’égalité femmes-hommes et des discriminations. Plusieurs rencontres (conférences, colloques…) sont ainsi organisées en France, mais aussi en Europe, afin de présenter et de faire le bilan sur la question des femmes immigrées.
Colloque européen organisé par l'association ELELE au Sénat, Paris, 1994.
Première conférence européenne par et pour les femmes migrantes, Athènes, 1994.
Affiche pour la journée internationale de la femme. Association tunisienne des femmes démocrates, 8 mars 1996.
Femmes aux mille portes, exposition de Joss Dray à Génériques, 1996
Cette exposition a été conçue par l'association Génériques qui a pour objectif de préserver, sauvegarder et valoriser l’histoire et la mémoire de l’immigration en France et en Europe, notamment à travers des activités scientifiques et culturelles. Une partie des documents iconographiques présentés dans cette exposition est issue du portail numérique Odysséo (http://odysseo.generiques.org) mis en ligne par Génériques en 2009. Ce portail permet d’identifier et de localiser les sources sur l’histoire de l’immigration en France de 1800 à nos jours.
L’association Génériques remercie les personnes et les associations qui ont contribué à cette exposition en partageant leurs documents ou/et leurs témoignages : Anne-Marie Pavillard, Claudie Lesselier, Salika Amara, Gaye Petek, Yamina Benchenni, Alima Boumediene-Thiery, Marie-Christine Volovitch-Tavares, Francine Noël, Chahala Chafiq, Francisca Guëmes, la Fédération d’associations et centres d’émigrés espagnols en France (FACEEF), la FASTI (Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s), la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine) ainsi que les photographes Joss Dray et Pierre Ciot.
Cette exposition virtuelle est soutenue par le Conseil régional d'Île-de-France, l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances et le ministère de la Culture et de la Communication.
Conception—Louisa Zanoun, Historienne, Responsable du pôle scientifique et culturel à Génériques