Nantes est un port maritime et industriel très actif au XIXe siècle.
Parmi les industries nantaises, l’industrie agroalimentaire tient une place de
choix. Les conserveries ainsi que les biscuiteries sont les plus représentées. C’est
à partir des années 1860 que l’industrie
biscuitière prend de l’ampleur en France, et particulièrement à Nantes et à Bordeaux. La baisse des prix du sucre et des matières grasses
permet de faire basculer le biscuit de la boulangerie vers la pâtisserie, pour le
transformer en un produit de luxe.
De la petite boutique à la manufacture
L’histoire de l’industrie LU commence avec l’arrivée de Jean-Romain Lefèvre, pâtissier originaire de Varennes-en-Argonne, à Nantes, en 1846. Jean-Romain est engagé dans une pâtisserie, rue Boileau. En 1850 il épouse Pauline-Isabelle Utile, et le couple décide de racheter la pâtisserie pour en faire une « Fabrique de biscuits de Reims et de bonbons secs ».
Au début, l’affaire reste modeste et la vente des biscuits s’organise directement à leur sortie du four, sur une table, dans la cour de la pâtisserie. Le succès est très vite au rendez-vous et le couple ouvre un second magasin en 1854, sous la raison sociale « Lefèvre-Utile ». Suite à cela, Jean-Romain reçoit la médaille d’or lors de l’Exposition industrielle de Nantes, en 1882, pour récompenser la qualité de ses biscuits. Mais ses problèmes de santé l’emportent l’année suivante, laissant l’entreprise entre les mains de son épouse et de son fils cadet, Louis Lefèvre-Utile.
À la fin du XIXe siècle, les biscuits sont vendus en vrac. Louis opte pour un conditionnement plus moderne, en boîtes métalliques, appelées « tin box ». Elles représentent un gage de qualité. La réclame de Lefèvre-Utile est entièrement fondée sur la qualité du produit. Celle-ci est légitimée par le fait que l’entreprise remporte des concours et gagne des médailles. Fier de ces distinctions, Louis Lefèvre-Utile les fait représenter sur ses emballages, développant la réclame pour séduire l’œil du consommateur.
Sachet emballage LU (1890), HOUIX-POTTIERChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
L’identité de la marque est déjà créée dans les années 1860 avec Jean-Romain Lefèvre et Pauline-Isabelle Utile qui choisissent l’allégorie de la Renommée pour affirmer la qualité de leurs produits et une certaine volonté conquérante. Les emballages deviennent, en cette fin de XIXe siècle, un support publicitaire.
Boîte « Départ de la pêche » (1902), LEFEVRE-UTILEChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
Par la suite, en 1892, l’entreprise développe une gamme de boîtes lithographiées. Les illustrations sont principalement inspirées de la Bretagne avec par exemple la boîte à biscuits du Retour de la pêche datant de 1892, les Régates de la Loire en 1894 ou le Banquet breton datant de 1902.
Une nouvelle usine
Louis hérite alors d’une structure composée de quatorze ouvriers. Les produits de la pâtisserie sont prisés de la bourgeoisie et, pour répondre à une demande toujours plus grande, Louis achète, dès 1885, une ancienne usine de filature sur les terrains de l’île de la Madeleine, face au château des ducs de Bretagne et proche de la gare. Il peut ainsi répondre aux principales problématiques d’une usine biscuitière au XIXe siècle. Imitant le modèle anglais, alors prépondérant sur le marché, il modernise les outils de production en introduisant des méthodes de production mécaniques dans l’industrie et acquiert un matériel anglais flambant neuf, dont une machine à vapeur. L’usine s’accroît régulièrement au point de devenir un véritable quartier dans la ville.
Boîte « Vues de Nantes » (1901), Alexis de BROCAChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
Louis Lefèvre-Utile fait de la ville de Nantes un élément indissociable de la communication de l’entreprise. La réalisation de la boîte Vues de Nantes par Alexis de Broca en 1895 en est l’illustration. La ville de Nantes est constamment présente dans l’univers biscuitier de Louis.
Dessin du découpoir du Petit-Beurre avec son abécédaire (1886), Louis LEFEVRE-UTILEChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
En 1886, Louis Lefèvre-Utile met au point la recette et le dessin de ce qui sera son plus grand succès : le Petit-Beurre. Il consigne l’empreinte définitive des moules du « Petit-Beurre LU Nantes » mais ne dépose la forme et la marque au tribunal de commerce que le 9 avril 1888. Grâce à son prix relativement modique, ce biscuit s’échappe du circuit mondain ; sa distribution se tourne plus largement vers les classes modestes.
Le 1er février 1887, Louis Lefèvre-Utile s’associe à son beau-frère Ernest Lefièvre et ensemble, ils fondent officiellement la société Lefèvre-Utile. Ernest s’occupe de la gestion de l’entreprise et Louis se dédie à la production. L’année suivante, un incendie ravage l’usine et Louis en profite pour proposer un programme d’agrandissement de l’usine, en l’agrémentant d’ateliers, de bureaux, de laboratoires, de ferblanteries, de magasins, de hangars, d’écuries et d’une centrale électrique.
Au début du XXe siècle, l’entreprise LU propose un catalogue de 200 biscuits différents. Les biscuits LU sont vendus en France, et sont exportés dès 1898, principalement vers les colonies.
L’art dans la réclame
Louis Lefèvre-Utile accorde une attention particulière à l’esthétique des emballages et des biscuits. Il pense que séduire l’œil du client est le premier pas de la gourmandise. Il fait donc intervenir différents artistes dans l’élaboration de la réclame de la marque.
Boîte à biscuits « Iceberg » (1903), LEFEVRE-UTILEChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
Les boîtes représentent des événements particuliers, comme l’illustration de la boîte des gaufrettes Iceberg, en 1903, inspirée de l’expédition en Antarctique de l’océanographe Jean Charcot. Cette boîte a été réalisée par Luigi Loir. Beaucoup d’artistes de renom collaborent avec les industriels par la suite. Mais Louis Lefèvre-Utile et un précurseur en la matière. En collaborant avec des artistes célèbres, il donne à l’entreprise une image moderne et définitivement novatrice.
Esquisses orginales du Petit-écolier (1897), Firmin BOUISSETChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
En 1897, il envoie des esquisses de son fils à Firmin Bouisset qui en fait le Petit écolier. Et en 1905, au moment de l’âge d’or de l’entreprise, Lefèvre-Utile sort la Paille d’Or. Le biscuit représente à lui seul un support graphique.
Louis fait appel dans un premier temps à des artistes locaux, puis parisiens et étrangers. Il collabore par exemple avec Alfons Mucha entre 1896 et 1903. En 1903, ce dernier réalise un portrait de Sarah Bernhardt pour la réclame de LU. Les tableaux publicitaires de l’entreprise sont de véritables œuvres d’art. Inspirés de l’Art déco, ils se déclinent en affiches, en publicités murales peintes sur des pignons d’immeubles, sur des panneaux-réclames attachés aux tramways ou exposés lors de grandes manifestations comme les expositions universelles.
En ce qui concerne le biscuit, la production est orientée vers une image de marque élitiste. La présentation des biscuits est soignée et artistique, elle s’adresse à une clientèle bourgeoise. La qualité reste la ligne directrice de l’entreprise. Les ingrédients sont choisis minutieusement par Louis lui-même. Ils sont issus de la production locale : le beurre, le lait et le miel viennent de Bretagne, les œufs de Vendée, les farines des moulins nantais et les produits exotiques tels que le sucre ou la vanille proviennent des colonies et sont acheminés directement depuis les avant-ports de Nantes vers l’usine.
Toujours dans cette logique de développement de l’entreprise, Louis Lefèvre-Utile la fait participer à l’Exposition universelle de Paris en 1900, pour laquelle il demande à Auguste Bluysen la construction d’une tour de 36 mètres de haut. S’inspirant des phares, cette tour devient un élément emblématique de la marque puisque par la suite, deux tours vont être construites à Nantes. L’idée de ces réalisations est de montrer que l’entreprise est un phare pour la ville. À l’intérieur du pavillon, des faïences d’Eugène Martial Simas ornent les murs dans un style résolument Art déco.
Au debut du XXe siècle
Avant la Première Guerre mondiale, 500 ouvriers et presque autant d’ouvrières travaillent à l’usine. Les hommes sont affectés aux tâches les plus physiques comme le pétrissage, le laminage, la découpe de la pâte et la cuisson ; tandis que les femmes s’occupent du cassage des œufs et de l’emballage des biscuits sortant du four. Les conditions de travail sont pénibles dans l’usine. Tournant jour et nuit, des équipes se relaient pour continuer la production. La chaleur et le bruit sont des facteurs rendant le travail rude, mais pas aussi difficile que dans les conserveries ou les raffineries. Et bien que les salaires soient modestes, la société propose des avantages sociaux, comme : l’intéressement aux bénéfices, des soins médicaux gratuits, une caisse de secours en cas de maladie et un versement supplémentaire pour les retraites. En revanche, les syndicats sont interdits. Une tentative avait fait renvoyer une soixantaine d’ouvriers de l’usine. Être employé à LU est une situation recherchée, mais pas accessible à tous. De ce fait, le recrutement se fait par recommandation.
L’activité en temps de guerre
Au commencement de la Première Guerre mondiale, les trois principales fabriques de biscuits de Nantes, LU, la Biscuiterie Nantaise (BN) et la Biscuiterie de l’Union, sont réquisitionnées pour la production de pain de guerre. Les biscuiteries produisent du « hard bread », un biscuit carré composé de farine et d’eau. Les contrats passés avec les diverses administrations permettent à l’usine LU et à la BN de continuer à fonctionner durant le conflit. À la signature de l’armistice, les engagements pris sont résiliés, mais de nouveaux contrats sont signés avec l’administration américaine pour la production de biscuits sucrés.
Distributeur de Petit-Beurre LU (1932), LEFEVRE-UTILEChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
Pendant l’entre-deux-guerres, la consommation de biscuits se démocratise. Mais la société LU est en mauvaise posture à cause du vieillissement des machines, de la concurrence nationale et d’une succession longue et chaotique entre Louis Lefèvre-Utile et son fils Michel. De plus, la crise de 1929 entraîne vers le déclin de nombreuses sociétés, dont LU. L’usine ferme momentanément ses portes en 1936, elle licencie 750 ouvriers et ouvrières.
Photographie du pavillon Lefèvre-Utile, vue de l'extérieur, à l'exposition universelle de Paris 1937 (1937), LEFEVRE-UTILEChâteau des ducs de Bretagne - Musée d'histoire de Nantes
Malgré tout, Michel Lefèvre-Utile se rend à l’Exposition universelle de 1937 pour y exposer un pavillon Art déco dans le but d’affirmer la modernité de la marque. Les recherches novatrices de Bluysen fils, dans le domaine de l’architecture et de l’art graphique, permettent de réaliser une construction originale tout en faisant de la publicité pour l’entreprise Lefèvre-Utile.
La Seconde Guerre mondiale permet à l’usine de relancer la production de pain de guerre et de biscuits. Louis Lefèvre-Utile meurt en 1940 et Michel, son fils, prend définitivement sa succession à la tête de l’usine en cogérance avec les familles Lefièvre et Binet. Le décès de Louis marque une étape dans l’histoire de l’entreprise. Désormais à la tête de la société, Michel améliore le réseau de distribution grâce à la mise en place du container. Il met également de nouveaux emballages en aluminium en circulation. Mais le manque de matières premières entraîne l’arrêt de la production de Petit-Beurre en avril 1942, puis, une seconde fois, en juin 1944. LU continue malgré tout à produire grâce au pain de guerre. Dès 1947, l’entreprise bénéficie des aides de l’État et se modernise. Une « bataille de production » s’engage entre les plus grandes biscuiteries nationales. À partir de 1951, la ligne de Petit-Beurre est complètement automatisée, le réseau de distribution est amélioré et de nouveaux emballages sont mis en circulation pour l’exportation. Le biscuit n’est plus un luxe et LU produit en masse.
Michel intègre à son tour son fils, Patrick Lefèvre-Utile, à l’entreprise. Ce dernier reprend la tradition innovatrice de son grand-père en matière de publicité, en introduisant, en 1950, la photographie en couleur du produit sur les emballages. Puis, en 1957, il demande à Raymond Loewy, l’auteur de la bouteille de Coca-Cola, de repenser l’emballage du Petit-Beurre LU. C’est un changement complet de matériau, de design et de couleur.
La fin de l’entreprise familiale
Au début des années soixante, face à l’invasion de produits américains sur le marché, Michel Lefèvre-Utile propose à son ami et confrère, Georges Cossé, à la tête de la BN, de coordonner leurs politiques industrielles et commerciales. À la fin des années soixante, Patrick Lefèvre-Utile passe à la tête de l’entreprise, en remplacement de son père, Michel. La situation financière de l’usine étant peu reluisante, il devient impératif pour lui de créer des alliances sur le plan national. C’est la raison pour laquelle, en 1969, LU fusionne avec Brun pour devenir LU-Brun.
Cette restructuration annonce la fin de l’entreprise familiale. Quelques années plus tard, en 1975, LU-Brun associés est racheté pour former le groupe Céraliment LU-Brun. Le nom change à nouveau en 1978 pour Générale Biscuit et en 1987, une nouvelle usine est construite à La Haye-Fouassière, près de Nantes.
Aujourd’hui encore ces produits sont vendus dans le commerce. L’entreprise a continué à innover sur le plan publicitaire avec de nouvelles iconographies rappelant les débuts de la marque à la fin du XIXe siècle.
L’ancienne usine est laissée à l’abandon jusque dans les années quatre-vingt-dix. Dès 1988, le bâtiment des expéditions au fronton orné du Petit-Beurre est restauré. Dix ans plus tard, une des deux tours LU est restaurée à son tour. Alors que LU est devenu une branche du groupe Mondelez International, l’ancienne usine est aujourd’hui reconvertie en un espace dédié au spectacle vivant et appelé le Lieu Unique. Patrick Bouchain, l’architecte, le conçoit comme pouvant accueillir n’importe quel type de représentation. Le musée d’histoire de Nantes a reçu, en 2004, un fonds important de l’entreprise Lefèvre-Utile, lui permettant ainsi de dédier des salles à la production agroalimentaire, en particulier à l’entreprise LU.
Cette exposition a été réalisée par les équipes du château des ducs de Bretagne - musée d'Histoire de Nantes.